Chronique

Un pacte ni à gauche ni à droite

Le compositeur Émile Proulx-Cloutier a raison : le projet n’est ni à gauche ni à droite. Et le pacte proposé cette semaine par un groupe de 400 personnalités artistiques, scientifiques et universitaires n’a rien de farfelu.

De quoi je parle ? Des démarches à entreprendre rapidement pour endiguer le réchauffement de la planète.

À Tout le monde en parle, dimanche dernier, Émile Proulx-Cloutier a lancé un appel à tous, à gauche comme à droite, en ville comme en région. Pour démontrer l’universalité du sujet, souvent associé à la gauche citadine, il a cité un chroniqueur de droite – Richard Martineau – qui appellerait, lui aussi, à la réduction de nos gaz à effet de serre (GES).

Et j’ajoute que tout récemment, l’ex-ministre conservateur et homme d’affaires Michael Fortier a exhorté François Legault à ne pas oublier l’environnement. « Les préoccupations des Québécois dans ce domaine ne sont pas exclusives au groupe d’âge associé à Québec solidaire ni aux seules personnes habitant les grandes villes », a-t-il écrit dans La Presse.

Cette semaine, sous le leadership du réalisateur Dominic Champagne, 400 personnalités ont invité les Québécois à signer un pacte les conviant à lutter contre les changements climatiques. Et aujourd’hui, à 14 h, il y a une grande marche pour l’environnement au centre-ville de Montréal.

D’entrée de jeu, le Pacte pour la transition se distingue des précédentes initiatives en ce qu’il ne jette pas le blâme sur les seuls entreprises ou gouvernements.

Il demande à chacun de fournir sa part, notamment en diminuant l’utilisation de sa voiture, en réduisant ou en compensant ses voyages en avion, en modifiant son régime alimentaire.

Il y a un an, justement, j’accouchais d’une longue étude détaillant nos impacts personnels sur les émissions de GES et la façon d’atteindre nos cibles. Et j’en concluais ceci : « Oubliez les seules politiques globales des gouvernements, qui nous portent à nous déresponsabiliser du problème. Pour freiner le réchauffement, il faut que chacun y mette du sien. »

Essentiellement, avais-je constaté, les ménages sont responsables, par leur consommation, d’environ 40 % des émissions totales de GES. Et en moyenne, les Québécois produisent chaque année 4,4 tonnes par habitant, qu’il faut réduire de 28 % pour atteindre l’objectif de 2030 (3,2 tonnes, selon mon barème).

Trois secteurs « carbonovores » doivent être particulièrement ciblés : l’automobile (1,9 tonne par habitant), l’alimentation (1,5 tonne) et le transport aérien (0,5 tonne, en forte croissance).

L’objectif peut être très ambitieux ou tout à fait réaliste, selon notre profil de consommation. Par exemple, pour un couple de grands consommateurs, qui parcourt 35 000 km par année avec ses deux VUS, fait deux voyages par année en avion, en plus d’avoir une alimentation riche en viande rouge, le total annuel de 8,1 tonnes par personne devrait être réduit de plus de 60 % d’ici 2030 ! Tout un défi !

Par contre, pour un couple qui roule 15 000 km par année avec sa voiture économe, mange flexitarien (très peu de bœuf) et prend l’avion pour ses loisirs tous les deux ou trois ans, la cible de 3,2 tonnes par habitant de 2030 est déjà atteinte.

Bref, le Pacte frappe dans le mille lorsqu’il demande à chacun de contribuer. Selon moi, le gouvernement pourrait inciter à l’atteinte de ces objectifs par une politique fiscale judicieuse.

En contrepartie de ces efforts individuels, le Pacte exige du gouvernement qu’il s’engage fermement, concrètement et rapidement à réduire ses propres émissions.

Parmi les requêtes ?

• Déclencher un chantier d’électrification des transports et d’efficacité énergétique des bâtiments

• S’assurer que les décisions de l’État passent au crible leurs impacts climatiques

• Adopter des lois forçant le respect des engagements climatiques

• Adopter des politiques sur la cohérence de l’aménagement du territoire

• S’engager à cesser toute exploitation des énergies fossiles

• Déployer une campagne d’éducation sur les changements climatiques et les mesures à mettre en œuvre

• Indemniser les travailleurs touchés par la transition

Quelques-unes de ces requêtes risquent de faire grincer des dents dans certains milieux d’affaires. Il rendrait plus difficile l’obtention de permis pour certains projets et plus ardue l’exploitation de ressources, qui sont centrales à l’économie de nombreuses régions du Québec. Il augmenterait aussi certaines dépenses gouvernementales, ce qui affecterait par ricochet la facture fiscale des contribuables.

Les écologistes les plus ardents devront accepter qu’il est impensable d’envisager zéro développement, zéro projet.

Mais au-delà des détails, avons-nous le choix ? Selon les scientifiques, plus on attend, plus ça coûtera cher, très cher, autant en drame humain et social qu’en dollars.

Certains détracteurs soutiennent que nos petites actions individuelles ou même celles du Québec tout entier sont bien peu en regard de ce que devraient faire les vrais grands pollueurs que sont les Américains ou les Russes.

Ce raisonnement est bancal, surtout pour une société riche comme le Québec. Il revient à dire : il est légitime que j’abuse de la planète tant que le voisin fait pire.

Au bout du compte, le Québec pourrait être gagnant à « être une inspiration pour le monde entier ». En effet, non seulement il y aura certains avantages financiers à décarboner notre économie, mais devancer la parade pourrait nous permettre de développer des technologies qui deviendront exportables pour nos entreprises.

Alors, on s’y met ?

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