Chronique

Sacrifier 22 000 postes pour dégeler les salaires

Je croyais que le gouvernement libéral changerait de méthode. Que, en prenant acte de la rémunération plus faible de ses employés par rapport au marché, l’équipe de Philippe Couillard abolirait des postes plutôt que de geler encore les salaires.

Déjà, dans le budget de juin, Martin Coiteux avait laissé croire que ce serait la formule choisie puisqu’il parlait de gain de productivité équivalant à 2 % de la masse salariale. Et à la fin novembre, il est revenu à la charge en exigeant que les ministères se défassent de 2 % de leurs 59 000 employés, pour un total de 1150 postes.

Or, les offres dures déposées lundi par Martin Coiteux aux quelque 450 000 employés du gouvernement (profs et infirmières compris) reprennent la vieille formule : le gouvernement veut geler les salaires pendant deux ans et limiter les hausses à 1 % par année pour les trois années suivantes (1).

Devant cette décision, une question se pose : serait-il techniquement possible de réduire les effectifs du gouvernement pour accorder une hausse de salaire décente aux employés qui resteraient ? Et encore, combien le gouvernement devrait-il abolir de postes pour y parvenir, en supposant qu’on ne change pas la cible du déficit zéro ?

D’abord, il faut déterminer ce que serait une hausse décente. Au Québec, le taux d’inflation a été de 0,7 % en 2013 et il sera d’environ 1,4 % en 2014. Le Mouvement Desjardins prévoit 1,3 % en 2015, compte tenu de la baisse du prix de l’essence. Par la suite, le taux annuel devrait avoisiner les 2 %.

Entendons-nous donc sur une hausse respectable des salaires de 1,5 % par année, soit 7,5 % en cinq ans. Une telle augmentation représenterait une différence de 4,5 points avec l’offre actuelle de 3 %.

Puisque la masse salariale du gouvernement tourne autour de 35 à 40 milliards de dollars, cette augmentation de 4,5 points de plus représenterait une dépense d’environ 350 millions par année pour le gouvernement.

Maintenant, combien faut-il remercier d’employés pour obtenir l’équivalent de 350 millions ? Sachant que chaque employé coûte environ 80 000 $ au gouvernement (60 000 $ de salaire moyen, plus les avantages sociaux et de retraite), Québec devrait abolir environ 4400 postes par année pour pouvoir offrir cette hausse décente à ses employés (22 000 postes sur 5 ans).

L’objectif est costaud. Il faut savoir que l’effectif du gouvernement se gonfle de plus de 6000 postes par année depuis 5 ans en raison de l’embauche d’infirmières et de techniciennes en services de garde,entre autres.

Martin Coiteux a d’ailleurs décrété un gel total de l’embauche, qui rend la vie difficile à certains ministères. Offrir une hausse de salaire décente signifie donc sacrifier 10 400 postes par année parmi les fonctionnaires, les infirmières et les professeurs (4400 + 6000). Cette compression s’ajouterait aux 1150 suppressions de postes déjà annoncées par le président du Conseil du trésor.

Certains diront, à juste titre, que cette estimation ne tient pas compte du coût annuel des échelons, c’est-à-dire de la progression de 40 % des employés dans l’échelle salariale. La raison est simple : pour atteindre le déficit zéro, le gouvernement prévoit tout de même une hausse de 0,7 % de ses dépenses de programme, ce qui est suffisant pour payer la facture des échelons.

Cela dit, sacrifier 4 400 postes de plus par année ne serait pas impensable. Bon an mal an, environ 15 000 employés du secteur public prennent leur retraite. Le gouvernement pourrait donc ne remplacer qu’une partie des retraités pour y parvenir. Auparavant, cette formule avait cours, mais seulement pour la fonction publique.

L’objectif obligerait le gouvernement et les syndicats à changer radicalement la dynamique des négociations. Les deux parties devraient travailler ensemble pour trouver des solutions, repenser les façons de faire, abandonner des missions, etc. Pas question de réduire bêtement le nombre d’employés pour y parvenir ni d’alourdir la charge de ceux qui restent. Il faudrait être inventif, penser autrement.

L’objectif vaudrait autant pour les fonctionnaires dans les tours de bureaux que pour les infirmières, les profs ou les avocats. Pas si simple quand on constate la grogne que suscitent chez les enseignants, à juste titre, la hausse proposée du nombre d’élèves par classe, l’absence de prise en compte des élèves en difficulté d’apprentissage ou la hausse du nombre d’heures de travail…

1-Le chiffre de 450 000 ne comprend pas, notamment, les employés d’Hydro-Québec, ni les employés d’université, ni les médecins et autres professionnels de la santé, dont le salaire est négocié distinctement.

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