Amazon et Montréal

Le buzz et le puzzle

Le buzz qu’il y a actuellement autour de Montréal est-il assez fort pour attirer l’attention et les bonnes grâces d’Amazon, en quête d’un nouveau nid urbain où injecter quelques milliards et amener 50 000 employés ?

L’équipe de Montréal International, qui a fait un aller-retour éclair pour aller déposer à Seattle la candidature officielle de la métropole pour ce prochain quartier général du géant du commerce en ligne, croit manifestement que oui.

« Le buzz est là et on va essayer d’en profiter », a lancé hier en entrevue Stéphane Paquet, vice-président de Montréal International. « Le Montréal techno n’a jamais été aussi attractif et concurrentiel », a ajouté son collègue Christian Bernard.

Bref, chez Montréal International, on ne doute pas de « se rendre à la prochaine étape », a affirmé pour sa part Hubert Bolduc, président de l’organisation.

Une centaine de villes de taille suffisante pour absorber un tel géant auraient postulé pour ce fameux HQ2. Les gens de Montréal International s’attendent à ce qu’une trentaine, dont leur ville, soient sur la liste des finalistes qui sera dévoilée d’ici la fin de l’année.

Les atouts qu’ils ont fait valoir ?

– Un bassin volumineux de main-d’œuvre qualifiée et des établissements de haut niveau pour en former. Montréal International a d’ailleurs eu l’appui des directions des cégeps et des universités pour mettre de l’avant cet argument qui ressemble aussi à un engagement.

– Une capacité d’aller chercher facilement et rapidement de la main-d’œuvre qualifiée à l’extérieur du pays. « On est capable de répondre aux besoins d’Amazon », affirme sans ambages Hubert Bolduc. À ce chapitre, Montréal peut presque remercier la phobie de Donald Trump pour les immigrés de pays à forte majorité musulmane. Au Canada, explique Bolduc, non seulement on n’est pas opposés à l’immigration, mais on a une stratégie spéciale pour aller chercher des talents qui mise sur la rapidité et l’efficacité. « Ça nous permet de recruter un ingénieur à Mumbai, par exemple, en 10 jours. » 

« Ce n’est pas pour rien que les sociétés de technologie ont été les premières à s’opposer aux mesures anti-immigration du président. »

— Hubert Bolduc, président de Montréal International

– Montréal International a aussi confié à Mercer le soin de trouver des chiffres montrant combien la métropole est abordable. Ainsi, même si les salaires sont plus bas ici – un avantage pour Amazon – et les impôts plus élevés, il reste plus d’argent dans les poches des travailleurs. Nos services publics – garderies, assurance maladie, etc. – aident en effet grandement à diminuer le coût de la vie en comparaison des grandes villes américaines. Une famille de quatre personnes dépendant du seul salaire d’un ingénieur chez Amazon gagnant par hypothèse 77 000 $US par année finirait l’année avec 487 $ en poche à Montréal. Aux États-Unis ? La famille serait en déficit de plus de 26 000 $, rendant donc incontournable un deuxième salaire familial.

– Autres avantages de Montréal, en plus du bas coût de la vie et de l’accès à la main-d’œuvre ? Ici, les gens sont beaucoup plus polyglottes que partout ailleurs, il y a une vie culturelle dynamique – le document pro-Montréal note même que les restaurants y sont nombreux –, il est facile d’y vivre – même le froid peut être vu comme un avantage pour refroidir les machines ! –, bref, tous les éléments sont là pour que les milléniaux y soient heureux. C’est ce qu’ont compris, disent les dirigeants de Montréal International, les Facebook, Google Deep Mind, Samsung, Thales et IBM de ce monde…

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Mais accueillir Amazon n’est pas la chose la plus simple du monde. Imaginez quelque 50 000 personnes qui débarquent avec leur famille, peut-être pas du jour au lendemain, mais relativement rapidement. Imaginez les besoins en logement, en écoles, en soins, en transport. Imaginez les demandes d’une entreprise qui apporte autant. Montréal aurait-il la force de demeurer lui-même, avec ses choix de société, sa culture de vie et de travail ?

Et les autorités, qui ont de la difficulté à gérer un dossier néo-socio-écono-techno comme celui d’Uber, seraient-elles prêtes à résoudre efficacement et rapidement la multitude de défis, demandes, questions soulevés par l’arrivée d’un tel géant ?

« Là-dedans, il y a beaucoup de beaux problèmes », m’a confié Jon Scholes, président et chef de la direction de la Seattle Downtown Association. « Mais encore faut-il les régler. »

« Juste pour les transports, note-t-il, il faut plus de bus, plus de trains, plus d’options efficaces, fiables. » En immobilier aussi, des problèmes se posent. Il faut leur trouver des réponses, et pas dans 10 ans. Il faut, par exemple, regarder les plans d’urbanisme selon le lieu où la société veut s’installer pour voir comment construire des bureaux et du résidentiel à proximité – Amazon a comme parti pris la densification urbaine – et encore là, agir relativement vite.

« Si vous n’êtes pas capables de bouger rapidement, de vous adapter, de prendre des décisions, alors vous n’êtes pas bien positionnés pour accueillir une entreprise techno de cet ordre. Ça grossit tellement vite. Les villes doivent bouger plus vite que jamais. »

Montréal est-il prêt à prendre autant de décisions efficacement, avec confiance et ouverture ?

Amazon n’est pas une entreprise docile… La spécialiste du développement urbain Cary Moon, l’une des candidates à la mairie de Seattle à qui j’ai parlé, m’a fait remarquer que l’arrivée au cœur d’une ville d’une telle entreprise entraînait bien des frais que celle-ci ne paie pas.

Donc, oui, l’afflux d’argent est important et, oui, la société amène en ville bien des contribuables bien payés, mais comment s’assurer que l’argent sera réinjecté dans la communauté au bénéfice de tous et pour payer la facture des besoins créés ?

Peut-être que les contribuables montréalais devraient avoir accès aussi à cette information.

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