Afghanistan

Le temps est venu de partir

L’incident relatif au ministre de la Défense et à l’opération Méduse en Afghanistan nous a rappelé tant l’héroïsme de nos forces dans un dur combat contre-insurrectionel que l’amnésie canadienne envers un conflit interminable dont nous nous sommes retirés il y a trois ans et qui reste à décrire, comprendre et repenser.

Il faut écouter les généraux Fraser, Milner, Day, Lessard, ou Vance expliquer cette guerre, ou relire les remarquables reportages du journaliste Matt Fisher, pour se rendre compte de la qualité exceptionnelle de nos Forces armées.

Mais c’est cette qualité même des forces engagées en Afghanistan qui oblige à se demander « qu’ossa donne » de continuer.

Les talibans reprennent progressivement le contrôle des principales villes du pays et les opérations américaines sont obérées par le nouvel axe Pakistan-Chine-Russie-Iran, ces deux derniers étant accusés de fournir des armes aux talibans.

La version américaine actuelle voudrait que l’administration Trump ait hérité d’un cloaque avec insuffisamment de ressources pour y remédier. En fait, « l’ennemi » qui s’est transformé en hydre – talibans afghans et pakistanais, Daesh, le réseau Haqqani – fait face à des forces afghanes mal entraînées, appuyées par des forces américaines intervenant au coup par coup, sans vision ni intention stratégique, refusant presque de reconnaître la réalité de la remontée en puissance des forces talibanes.

Aide et guerre

La conquête de la confiance, des « cœurs et des esprits » des Afghans ne s’est jamais vraiment produite et les programmes d’aide, correspondant souvent à une vision étrangère des besoins locaux, n’ont pas donné les résultats escomptés. En outre, il est rare qu’aide et guerre aillent de pair, faute de sécurité et de stabilité dans un contexte insurrectionnel. La fluctuation des volumes d’aide, les clivages au sein des forces nationales afghanes et la corruption ont fait le reste. Kaboul n’est la capitale que de moignons de territoires. Certains parlent du « Kabulistan ».

L’administration Trump risque de se prendre au piège de ceux qui prêchent l’approfondissement de la présence militaire et civile américaine – on parle déjà d’une augmentation de 3000 hommes – alors que cette présence est généralement honnie.

L’habile dénonciation de l’agression contre un pays musulman par des infidèles attise la haine contre les occupants occidentaux.

Du côté américain, certains suggèrent que l’expansion de l’aide militaire et civile soit « conditionnelle » à des progrès en matière de gouvernance ; la conditionnalité, bien que justifiée, suscite un rejet au nom de l’indépendance nationale.

Mais la bonne gouvernance est indispensable. La condition fondamentale, c’est le leadership national. Même avec Ghani à la présidence après Karzai, on est loin du compte. L’Afghanistan doit s’aider lui-même. L’aide extérieure annuelle à l’Afghanistan, dont les deux tiers vont à l’aide militaire et au secteur de la sécurité, représente presque l’équivalent du PNB du pays qui est de 16 milliards de dollars. Dans le contexte actuel du climat de guerre, de l’incompétence et de la corruption, le progrès reste profondément limité.

Le rôle du Pakistan

La vraie question qui se pose est celle de l’importance stratégique de l’Afghanistan, tant dans l’espace régional qu’au plan de la lutte contre le terrorisme. Ce pays enclavé et pauvre n’a qu’une faible importance stratégique. Pour le terrorisme, la Russie, la Chine, l’Iran et l’Inde, qui y investit beaucoup, ont des intérêts de proximité tandis que Daesh, bien qu’implanté en Afghanistan, n’y représente pas la menace majeure. C’est le Pakistan qui est l’acteur essentiel dans cette équation. Mais sa relation avec les États-Unis est complexe.

Le Pakistan, à la recherche de protecteurs, oscillant entre la Chine et les États-Unis, a toujours été un allié instable de ces derniers. Les États-Unis ont été un partenaire dominant, exigeant et souvent ingrat face aux sacrifices consentis par le Pakistan. Alors que l’Afghanistan est le seul pays qui ait refusé de reconnaître la création du Pakistan en 1947 à cause d’un différend frontalier, le Pakistan voudrait que son voisin lui offre une profondeur stratégique en cas de conflit avec l’Inde.

C’est à cette fin que le Pakistan en est venu à armer les talibans. Mais le Pakistan, pays nucléaire, rongé par des dissensions internes, une démocratie chancelante et une omniprésence militaire, représente un verrou stratégique vital autant qu’un passage obligé dans la lutte contre le terrorisme.

Plutôt qu’une prolongation sans fin de l’intervention occidentale en Afghanistan, est-ce qu’un retrait total des forces du successeur de la FIAS, la « Mission de soutien déterminé » (Resolute Support Mission), pourrait obliger les voisins de l’Afghanistan, à commencer par le Pakistan, à prendre leurs responsabilités et précipiter un dialogue entre le régime en place et les talibans ?

Ceux-ci reprendraient sans doute le haut du pavé mais pourraient apprendre éventuellement à gouverner plutôt que terroriser. Un rapprochement à long terme avec l’Occident, fût-il envisageable, n’est même pas indispensable. Les États-Unis auraient toujours leurs drones à leur disposition pour liquider des groupes terroristes réfractaires au dialogue.

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