Chroniques pour jeunes en congé

Est-ce vraiment moins cher ?

À l’occasion de la semaine de relâche, les quatre chroniqueurs de la section Affaires de La Presse s’adressent aux jeunes, à tour de rôle. À lire jusqu’à vendredi.

Qu’est-ce qui coûte le plus cher, selon vous : un sac de quatre bulbes d’ail à 1 $ ou un seul bulbe à 2 $ ?

Allez-y, les jeunes, puisque cette chronique vous est destinée et consacrée, chers écoliers en pleine relâche et consommateurs en herbe ! Faites vos calculs.

Un bulbe coûte 2 $ et l’autre coûte… 1 $ divisé par quatre, donc 25 cents.

Donc c’est clair que c’est le bulbe tout seul à 2 $ qui est la moins bonne affaire. Dans l’autre paquet, ils coûtent 25 cents…

Mais est-ce que la réalité est si simple ?

Non.

Quand on se retrouve devant une situation comme celle-là au supermarché, on doit se poser d’autres questions.

Oui, c’est une aubaine, 25 cents plutôt que 2 $.

Mais qu’est-ce qui se cache derrière de tels bas prix ?

Qu’est-ce qui a permis aux personnes qui vendent l’ail vraiment pas cher de mettre ce prix et qu’est-ce qui oblige ceux qui demandent un prix plus élevé à agir ainsi ?

Est-ce qu’il y a autre chose qu’on devrait savoir quand on choisit d’acheter une chose plutôt qu’une autre ?

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De façon générale, dans la vie, on préfère payer le moins possible pour ce qu’on achète. C’est totalement courant, habituel, standard. On veut qu’il reste plus d’argent dans notre portefeuille. Probablement pour pouvoir acheter autre chose ensuite. Ou, tout simplement, parce que c’est tout l’argent qu’on a, pas plus.

Le désir de payer le moins possible fait partie des comportements qu’on appelle « rationnels ». Ou encore logiques. Notre intelligence nous dit de prendre cette décision.

Quand les économistes cherchent à comprendre comment le monde fonctionne, ils et elles se disent qu’on est tous et toutes comme ça. Des gens rationnels, des gens logiques. Mais parfois, les économistes oublient d’autres éléments qui font aussi partie de nos décisions. Et qui sont aussi rationnels et logiques.

Par exemple : si on sait que les vendeurs mettent des prix peu élevés pour de mauvaises raisons, on peut décider, intelligemment, de ne pas choisir le bas prix.

Mettre des prix peu élevés pour les mauvaises raisons ?

Je vous explique.

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Imaginez si un marchand vous vend des tomates vraiment pas cher, mais que vous réalisez, pas longtemps après, qu’elles étaient presque pourries.

Ou encore, imaginez si vous réalisez que les tomates ont été cultivées dans des champs par des fermiers qui ne paient pratiquement pas leurs employés et qui les traitent super mal. Avez-vous envie d’encourager ça ?

Le prix d’une tomate, ce n’est pas juste un chiffre décidé comme ça, dans les airs.

Normalement, quand on décide combien coûte quelque chose, on additionne le prix des matériaux nécessaires pour construire l’objet ou, dans le cas des tomates, par exemple, le prix des semences pour faire pousser les plants et ensuite le prix de l’électricité pour chauffer la serre où poussent les tomates. On additionne aussi le prix payé aux employés qui travaillent à la ferme. On met ensemble tous les coûts et on divise par le nombre de tomates.

Ça donne le prix de production de la tomate. Et ensuite on ajoute un petit montant, ce qu’on appelle le profit, pour se garder un peu de sous pour soi, pour avoir un salaire, et on vend la tomate à ce prix-là.

Pour choisir combien de profit on ajoute, on regarde combien les gens sont prêts à payer. Si les gens aiment vraiment beaucoup nos tomates et qu’il y en a peu d’offertes, on peut se permettre de mettre un prix plus élevé. Ça, c’est la loi de l’offre et de la demande. Plus quelque chose est rare – pensez aux vêtements Supreme ! – , plus les gens sont prêts à payer beaucoup. Plus c’est commun et facile à trouver, plus il faut mettre un prix bas pour être sûr de s’en débarrasser.

Mais revenons aux tomates.

Si le fermier qui produit les tomates paie bien ses employés et utilise de bons engrais et prend le temps de les faire pousser écologiquement, ça coûtera plus cher à produire que s’il prend des engrais de mauvaise qualité et bon marché, de la mauvaise terre et s’il paie mal ses employés.

Si un fermier choisit de demander à ses employés de prendre le temps d’arracher les mauvaises herbes à la main, et qu’il les paie à l’heure, correctement, ses tomates vont coûter plus cher à produire que s’il met du produit chimique qui tue les mauvaises herbes rapidement, mais pollue le sol.

Me suivez-vous ?

C’est pour ça que les bas prix, parfois, cachent des choses qu’on peut choisir de ne pas encourager.

Si acheter pas cher veut dire acheter des légumes qui ont poussé avec des engrais qui démolissent l’environnement, est-ce un bon choix ?

Et surtout, est-ce réellement pas cher ?

Parce que tôt ou tard, abîmer l’environnement finit par avoir un prix. Il faut décontaminer, il faut rebâtir les écosystèmes, il faut parfois aussi soigner les gens qui ont été rendus malades par les produits chimiques. C’est arrivé dans l’histoire avec des produits industriels dont on pensait qu’ils étaient inoffensifs.

Et ces questions ne doivent pas juste être posées pour les aliments.

Les vêtements vraiment pas chers, est-ce normal que leurs prix soient si bas ? Pensez-vous que les travailleurs qui les fabriquent sont bien payés ?

Et qui, pensez-vous, va payer, dans quelques années, quand tous ces vêtements pas chers, de mauvaise qualité, peu portés mais déjà abîmés, feront déborder les dépotoirs ? Voudrez-vous construire d’autres dépotoirs ? Peut-être qu’il faudra en faire un près de chez vous ?

Quand on achète, il faut se poser toutes ces questions.

C’est long et compliqué.

Mais c’est important.

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