Compensation carbone

L’a b c du CO2

Devant la météo qui se détraque et les rapports affolants de l’ONU, les petits plaisirs de la vie – se sauver pendant l’hiver dans le Sud, écraser des bancs de neige en VUS ou même manger un steak – paraissent soudainement suspects. Le moindre vice devient une source honnie de gaz à effet de serre.

Alors, comment contribuer à la lutte contre le réchauffement planétaire sans renoncer aux plages de Cayo Santa Maria ? Il existe une solution aussi simple que méconnue : l’achat de crédits carbone sur le marché de la compensation volontaire.

Compensa… quoi ?

Voici, en gros, de quoi il s’agit.

Qu’est-ce qu’un crédit carbone ?

C’est une sorte de contrat par lequel on paie quelqu’un – un organisme sans but lucratif qui plante des arbres au Saguenay, une entreprise qui recycle des contenants de plastique contaminés par des hydrocarbures, ou même un promoteur éolien de la Nouvelle-Calédonie – pour qu’il réduise les émissions de gaz à effet de serre à notre place.

« Par exemple, une église de Notre-Dame-du-Lac a décidé de remplacer son système de chauffage au mazout par de la géothermie », explique Martin Clermont, PDG de Will Solutions, un des pionniers dans le domaine des crédits carbone au Québec.

« On calcule ses émissions de CO2 avant et après le projet, ça nous donne la réduction ; et tant que le système est en opération, on est capable de calculer les réductions de gaz à effet de serre année après année. Les réductions sont transformées en crédit de carbone que l’on met en marché. »

Où peut-on acheter ces fameux crédits ? Dois-je appeler le curé de Notre-Dame-du-Lac ?

Peut-être, mais il est bien plus simple d’avoir recours à l’un des nombreux courtiers en crédits carbone, qui en vendent même sur l’internet.

Au Québec, Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste de la chose, en recommande deux : Will Solutions, dont nous avons parlé plus haut, et le programme Planetair.

« Nous avons créé Planetair pour rendre disponibles les meilleurs crédits carbone sur le marché, avance la directrice de ce programme, Karine Oscarson. Nous voulons nous assurer que les gens auront entre les mains un produit de qualité, qui a vraiment un impact sur le climat, qui est certifié par un groupe sérieux. »

Alors que les projets de réduction de CO2 offerts par Planetair se déroulent un peu partout sur la planète – de la reforestation de l’île de Montréal à la distribution de fours de cuisson en Ouganda –, ceux de Will Solutions, une entreprise de Belœil, se trouvent tous au Québec.

« Mutualiser l’expertise et les coûts de l’émission de crédits carbone nous a permis de regrouper 817 projets au Québec, de la Gaspésie à l’Abitibi, qu’ils soient menés par des églises, des commissions scolaires, des cliniques de santé, des pourvoiries, des régies intermunicipales de gestion des matières résiduelles, des fermes, etc. », énumère Martin Clermont, de Will Solutions.

Mais attendez une minute… Mme Oscarson a dit qu’il existait plusieurs « qualités » de crédits carbone ?

Le marché de la compensation volontaire, c’est un peu le « Far West », dit la directrice de Planetair. Un « bon » crédit carbone sera certifié selon un standard reconnu, il aura un impact réel sur le climat, il sera mesurable, vérifié par une firme indépendante, et ne sera vendu qu’une fois.

« Vous avez plusieurs choix de standards ; c’est un peu comme une cave à vin, explique Martin Clermont. Les plus importants et les plus reconnus au niveau mondial sont le Verified Carbon Standard (VCS) et le Gold Standard. »

« Le Gold Standard, c’est la Cadillac du crédit carbone, ajoute Karine Oscarson. Il va s’intéresser non seulement à l’impact climatique du projet, mais aussi à tous les aspects sociaux et économiques de la génération d’un crédit.

« Par exemple, quand on va implanter des fours photovoltaïques en Afrique, ça permet d’enrayer la déforestation, ce qui va générer le crédit de carbone. Ce sont les jeunes femmes qui vont habituellement chercher le bois pour le feu ; leur éviter cette corvée leur permet donc plutôt de fréquenter l’école. On stoppe aussi l’émission de fines particules par la cuisson au bois et on restreint ainsi la propagation de maladies respiratoires. »

Splendide ! Mais combien ça coûte ?

Selon la rigueur, le type de projet, le lieu de réalisation et l’aspect social, chaque crédit coûte entre 10 cents et 70 $US. Un crédit correspond au retrait, à la capture ou à la séquestration d’une tonne de CO2 dans l’atmosphère.

Les crédits issus des projets offerts par Planetair et Will Solutions coûtent entre 29 $ et 50 $.

J’ai quand même envie d’un bon steak de surlonge ce soir. Combien de crédits dois-je acheter ?

Pour un seul steak, ce n’est pas la peine d’y penser.

Mais pour un séjour d’une semaine à Cuba, c’est une autre paire de manches.

Vous serez responsable de l’émission de presque une tonne de CO2 dans l’atmosphère en prenant l’avion aller-retour entre Montréal à Cayo Coco, selon le calculateur du site de Planetair. C’est l’équivalent de la pollution émise pendant quatre mois par une petite Volkswagen !

« Le transport aérien a un impact important sur l’environnement, rappelle Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal. Les pays hésitent à en réglementer les émissions parce que ça dépasse souvent leurs frontières. »

Je sais bien que je ne suis pas obligé d’en acheter, mais pourquoi parle-t-on d’un marché « volontaire » ?

Parce qu’il existe aussi au Québec et dans plusieurs autres pays un marché dit « réglementé », explique Pierre-Olivier Pineau. Le Canada suivra le 1er janvier 2019.

Dans la province, ce marché vise les entreprises qui émettent 25 000 tonnes métriques d’équivalents CO2 ou plus par année, essentiellement les grandes industries comme les alumineries, les producteurs d’électricité et les distributeurs de carburant, mais pas les producteurs agricoles et les lieux d’enfouissement.

« Quand on achète de l’essence au Québec, on achète déjà un crédit carbone des mains des pétrolières, on achète un droit d’émission qui est versé au Fonds vert », dit Pierre-Olivier Pineau.

« Présentement, ça coûte environ 4,5 cents le litre d’essence, mais le système prévoit que ça va augmenter dans les années à venir, au minimum de 5 % par année, plus l’inflation. »

Je peux donc continuer à rouler en VUS en toute quiétude ?

Minute, papillon ! La meilleure façon de neutraliser ses émissions de carbone, c’est d’abord de ne pas en émettre du tout.

Prendre des vacances près de la maison, remplacer sa voiture à essence par un véhicule électrique, ou encore sa chaudière au mazout par un système de chauffage électrique sont autant de moyens de réduire efficacement son empreinte.

« C’est une bonne chose de pouvoir compenser ses émissions, mais ce devrait être un dernier recours », dit Jérôme Laviolette, chercheur invité et spécialiste des transports à la Fondation David Suzuki.

« C’est comme l’usage du plastique : c’est bien de recycler, mais c’est encore mieux de ne pas en consommer. »

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