Chronique

« Qu’attendent-ils pour passer la loi ? »

« Les gouvernements ne font rien. Qu’est-ce qu’ils attendent pour passer la loi sur les proxénètes ? Ils les connaissent, ces proxénètes. »

Patrick M., le père de Jade, portée disparue lundi pour une deuxième fois en deux mois, puis retrouvée hier soir, est soulagée, mais inquiet.

« C’est un cauchemar, m’a-t-il dit, visiblement très ébranlé. Pourtant, tout allait bien. Jade est allée à l’école lundi matin. On devait aller la chercher pour la ramener au centre jeunesse. Mais elle n’était pas là. Ils l’ont cherchée partout et ne l’ont pas trouvée. »

Depuis le 21 janvier, jour où elle avait été retrouvée une première fois par la police, grâce en grande partie au cri du cœur lancé par son père sur Facebook, Jade vit au centre jeunesse de Montréal. Elle avait néanmoins le droit de sortir depuis quelques semaines et avait repris l’école, à sa demande, la semaine dernière.

Sa fugue, le 16 janvier dernier, la première d’une longue série à Montréal et dans les environs, a mis en lumière la gravité du problème des jeunes filles qui tombent dans les griffes des proxénètes.

« Jade a passé le week-end à la maison, dit Patrick. Dimanche, en quittant pour retourner au centre, elle nous a dit : à demain soir. »

Lundi, comme prévu, elle est allée à l’école, mais elle n’est pas revenue après le lunch. L’école a communiqué avec le centre jeunesse qui a signalé sa disparition à la police. Un avis de recherche a été émis à 13 h, hier.

J’ai demandé à son père ce qui s’était passé pendant les quatre jours de sa disparition, en janvier.

« Elle l’a écrit dans un cahier et n’a pas voulu nous le faire lire. Elle a dit qu’un jour, elle nous le dirait. Mais on a appris qu’elle avait été invitée à un party par un gars une semaine plus tôt. Deux jours avant, le gars lui a dit : “Après le party, on part faire un tour à Ottawa ou à Toronto, je ne me souviens plus très bien. Viens avec nous.” Et Jade s’est laissée convaincre. Elle y est allée de son propre chef. Elle a dit qu’elle n’avait pas été kidnappée. »

La fête en question a lieu le samedi soir 16 janvier dans un hôtel de l’ouest de Montréal. Jade a suivi les gars après le party dans un autre hôtel, en prévision du « petit voyage » qu’ils devaient faire. Mais ils ne sont pas partis le lendemain, ni le surlendemain.

« Les gars ont commencé à lui confisquer ses affaires. Elle était tout le temps surveillée et enfermée dans une chambre. Ils ont effacé le contenu de son iPhone, toutes ses photos et sa musique. »

C’est un client de l’hôtel qui l’a reconnue et qui a prévenu la police.

D’autres adolescentes ont été portées disparues dans les jours et les semaines suivantes : Mathilde, Sarah, Kelly… Au point où l’on a cru avoir affaire à une épidémie. Plusieurs de ces jeunes filles avaient séjourné au centre jeunesse de Laval, un « bassin potentiel » pour les proxénètes à la recherche de nouvelles proies en raison de sa clientèle vulnérable.

Hier, le vérificateur nommé par Québec pour analyser le fonctionnement de ce centre a conclu que le phénomène des fugues, en hausse de façon générale, est québécois et non lavallois. Mais il constate qu’il y a davantage d’ados avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie et de jeunes filles qui sont sous le joug de proxénètes.

Ce n’est rien pour rassurer les parents des fugueuses.

Il faut certes s’interroger sur les moyens dont disposent les centres jeunesse pour venir en aide aux jeunes filles courtisées par les réseaux de prostitution, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi faciliter le travail policier en adoptant le projet de loi C-452, celui que réclame Patrick et qui pourrait contribuer à mettre fin à l’exploitation sexuelle des mineures.

Ce projet, qui amende le Code criminel, renverse le fardeau de la preuve. S’il est adopté, l’accusé pourra se faire saisir ses biens, à moins qu’il parvienne à démontrer qu’ils ne sont pas le fruit du crime. Et les peines pourront être cumulées (agression, voie de fait, proxénétisme, etc.) et seront plus sévères.

Cette loi a reçu la sanction royale en juin dernier, au terme de plusieurs années de travail. Elle aurait dû entrer en vigueur en juillet 2015, mais une clause prévoit qu’elle s’appliquera par un décret. Or, le décret se fait attendre. Qu’attend le gouvernement pour le signer ?

Ottawa veut s’assurer que C-452 « respecte la Charte »

Le gouvernement Trudeau, qui étudie le projet de loi C-452 sur la traite et l’exploitation des personnes, veut s’assurer que le projet de loi « respecte » la Charte canadienne des droits et libertés avant de signer le décret du Conseil des ministres qui le ferait entrer en vigueur. « Notre gouvernement prend très au sérieux la traite des personnes et l’exploitation des femmes et des jeunes filles. Nous sommes déterminés à atteindre les objectifs importants du projet de loi C-452, cependant, il nous faut le faire de façon responsable – d’une façon qui reflète nos valeurs et respecte la Charte », a indiqué l’attachée de presse de la ministre fédérale de la Justice Jody Wilson-Raybould, par courriel, à La Presse. Parrainé par l’ex-députée du NPD Maria Mourani, le projet de loi a été adopté par le Parlement en juin dernier (les libéraux ont voté en faveur en 2013), mais il n’entrera en vigueur qu’après un décret du Conseil des ministres. L’Association du Barreau canadien a notamment soulevé des enjeux de droit constitutionnel, et la Cour suprême du Canada a rendu depuis son étude par le Parlement des décisions sur la constitutionnalité des peines consécutives. 

— Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse

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