Livre  L’éthique du hamburger

De grands enjeux entre deux tranches de pain

L’agriculture de masse. L’uniformisation de l’alimentation. Les repas pris sur le pouce. Le traitement des animaux d’élevage. Et les gaz à effet de serre associés à la production de viande rouge. L’humble hamburger recèle des trésors pour les éthiciens, comme le montre la publication de L’éthique du hamburger. La Presse s’est entretenue avec la coauteure Lyne Létourneau, spécialiste de l’éthique de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval.

Quelle a été la genèse de votre livre ?

Mes étudiants en éthique agroalimentaire doivent souvent lire des textes en anglais, nous voulions faire le tour de la question en français. Le hamburger est un symbole du système agroalimentaire mondialisé, standardisé, de l’agriculture mécanisée et basée sur l’innovation. Il est aussi un symbole de l’embourgeoisement, avec ses déclinaisons plus coûteuses ; et des systèmes alternatifs, avec les boulettes végétariennes, les aliments locaux.

Le végétarisme est aussi un symbole d’embourgeoisement ?

Oui, absolument. C’est une réaction au système alimentaire mondialisé, à la production animale industrielle, qui a répondu aux désirs des anciennes classes ouvrières qui ont prospéré sur le plan socioéconomique.

Le livre n’aborde pas la culture, un sujet chaud depuis que le nouveau guide alimentaire a été accusé de préférer les traditions alimentaires de l’immigration récente à celles de l’immigration plus ancienne, plus portées sur la viande.

C’est un thème que j’aborde dans mon cours et on se penche là-dessus pour un chapitre d’un autre livre, Louis-Étienne et moi [le coéditeur du livre, Louis-Étienne Pigeon]. Le poids des traditions est une préoccupation éthique. Il y a un lien avec les thèses du relativisme éthique, l’idée qu’on ne pourrait jamais juger l’acceptabilité de pratiques culturelles des différentes communautés. En anthropologie, l’idée que les cultures s’équivalent est plutôt une thèse dominante. Ce n’est pas simple, mais il y a un lien avec les valeurs de tolérance au cœur du multiculturalisme et de l’interculturalisme. Quand vient le temps d’évaluer les pratiques cruelles ou dommageables pour l’environnement, cependant, il peut y avoir des tensions.

Que pensez-vous des critiques du guide alimentaire sur le plan des traditions alimentaires ?

Le plaisir de manger provient de plusieurs sources, qui sont indépendantes du plaisir immédiat procuré par l’acte de manger. Le plaisir de manger rejoint d’importantes valeurs affectives, sociales et culturelles. Il me semble que c’est ce que le passage du guide sur ce sujet souhaite : le plaisir de manger que l’on tire à célébrer sa culture gastronomique d’appartenance et le plaisir de manger que l’on tire à s’ouvrir à d’autres cultures gastronomiques. Et il faut faire attention quand on associe le végétarisme à certaines cultures, même l’association avec le bouddhisme doit être faite avec une certaine nuance.

Sur le plan des réglementations agroalimentaires, notamment l’interdiction ou la taxation des aliments jugés nocifs pour la santé, ne sous-estime-t-on pas la valeur du choix et de la liberté ?

Choisir pour choisir n’est pas un droit. Le choix doit être protégé seulement quand il est lié à la construction de notre personne autonome, d’un projet de vie. Dans le domaine de l’alimentation, il est difficile de cibler à travers quel choix le consommateur exerce sa capacité profonde d’autodétermination.

Peut-on, dans la réflexion éthique, faire une distinction entre des phénomènes locaux et mondiaux ? Par exemple, si le réchauffement de la planète s’avérait avoir moins d’impacts négatifs au Québec qu’ailleurs dans le monde, disons en Afrique, pourrait-on s’opposer à la taxation de la viande rouge ?

Il y a des thèses voulant qu’un gouvernement n’ait pas de responsabilités uniquement envers ses citoyens, mais aussi envers les autres pays. Et que les pays industrialisés ont une responsabilité rétrospective envers les problèmes qu’ils ont causés par leur comportement passé, l’insécurité alimentaire, l’instabilité politique, la pauvreté, les changements climatiques. On sent beaucoup cette théorie de la responsabilité rétrospective dans le dossier des Noirs à la suite de l’esclavage. Il faut cependant déterminer un lien de cause à effet.

Est-ce la seule théorie qu’on peut appliquer à la question des phénomènes locaux ou mondiaux ?

On peut aussi miser sur la charité : je ne peux pas me soustraire au devoir de charité, mais je peux aider qui je veux. On peut aussi évaluer le coût de l’aide pour soi-même.

Donc un gouvernement ne peut pas baser ses choix éthiques sur la nationalité, privilégier ses citoyens ?

Non, ç’a été vraiment bien rejeté par Peter Singer [un philosophe australien notamment connu pour sa défense des droits des animaux], qui a donné l’exemple d’un enfant qui se noie dans un étang : je dois sauver cet enfant même si ce n’est pas le mien. On peut introduire des nuances lorsqu’il est impossible d’aider tout le monde : si plusieurs enfants sont en train de se noyer, on peut commencer par sauver son propre enfant. Mais personne n’irait dire que les Québécois sont l’équivalent de membres de ma famille, quand on les compare avec des Africains.

L’éthique du hamburger – Penser l’agriculture et l’alimentation au XXIe siècle

Sous la direction de Lyne Létourneau et de Louis-Étienne Pigeon

Presses de l’Université Laval

404 pages

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