Le Club Med de tous les espoirs

Il y a 15 ans, Petite-Rivière-Saint-François a failli perdre son école primaire. Il y a trois ans, c’était le tour de son unique dépanneur. Avec l’ouverture imminente du Club Med, le petit village de Charlevoix va-t-il enfin pouvoir relancer son cœur historique ? Les candidats à la mairie espèrent que oui.

Petite-Rivière-Saint-François — Lison Harrisson se souvient de la surprise. Il y a deux ans, elle était de passage à Petite-Rivière-Saint-François quand elle s’est butée à la porte close du dépanneur.

L’affiche sur la porte ne laissait pas de doute : le commerce était fermé pour de bon. Pour le petit village de près de 900 âmes, blotti au pied de l’une des plus belles stations de ski de l’Est de l’Amérique du Nord, la fermeture du seul dépanneur et unique station d’essence représentait un coup dur.

« L’essence la plus proche était à 25 minutes d’ici, à Baie-Saint-Paul. Alors, si vous en manquiez, c’était une heure aller-retour. »

Puis, Mme Harrisson a été surprise de nouveau, cette fois par sa réaction. La femme de Québec s’est tournée vers son conjoint et a lancé : « On va l’acheter ! »

« Finalement, on a tout quitté, on a tout vendu. J’ai laissé mon emploi que j’avais depuis 25 ans à Québec. Par la suite, mon conjoint a laissé son travail et on est les deux ici à temps plein. »

— Lison Harrisson, propriétaire de l’Épicerie du village à Petite-Rivière-Saint-François

Le couple a relancé la petite Épicerie du village, au soulagement de bien des « Riverains », le joli gentilé des habitants.

L’histoire du dépanneur peut paraître banale. Elle symbolise pourtant ce qui se passe ici depuis des années : le développement d’une station de ski de premier plan avec le Massif, la construction de centaines de résidences secondaires ou de tourisme, mais la stagnation du vieux cœur villageois.

Le Programme particulier d’urbanisme (PPU) de la municipalité dressait un constat implacable il y a deux ans.

« La problématique se résume comme suit : le secteur du village n’a pas profité de l’essor récréotouristique du Massif au cours des dernières décennies. Au contraire, il a connu une dévitalisation commerciale, malgré une croissance de la villégiature sur le territoire de la Municipalité », peut-on y lire.

Une occasion à saisir

L’ouverture du Club Med de Charlevoix le 3 décembre représente donc pour les deux candidats à la mairie et plusieurs citoyens rencontrés à Petite-Rivière une occasion en or de relancer le cœur villageois.

Il y a bien sûr des inquiétudes. Il y a la petite route en cul-de-sac, avec sa pente abrupte, vouée à accueillir plus de voitures et d’autocars.

Il y a la quiétude, la tranquillité de ce petit paradis en bord de fleuve, que certains ont peur de perdre. Il y a le mot « Tremblant », entendu quelques fois, surtout dans la bouche de ceux qui redoutent ce scénario.

Mais il y a aussi l’espoir d’attirer de nouveaux résidants et de nouveaux commerces dans ce village qui en a bien besoin.

« Il faut d’autres commerces, il faut redynamiser le village commercialement. Il faut un village vivant où les gens veulent vivre », lance avec fermeté le candidat à la mairie Jean-Guy Bouchard.

L’homme de 70 ans connaît bien Petite-Rivière. Il y est né. Et il en a été maire de 1988 à 2009.

Son passage à la mairie s’est terminé dans une certaine controverse puisqu’il avait été déclaré inhabile à siéger par les tribunaux. L’ancien maire ne s’était pas retiré au moment des délibérations sur l’installation du réseau d’alimentation en eau et des égouts dans un secteur où il possédait un terrain et des biens immobiliers.

M. Bouchard a toujours clamé son innocence. Et voilà qu’il aimerait remplacer le maire sortant, Gérald Maltais.

« J’ai une vision pour le volet résidentiel au cœur du village. On veut permettre à de jeunes familles de s’implanter. La villégiature est intéressante sur le plan économique, mais souvent, ce sont des gens qui sont de passage. »

— Jean-Guy Bouchard, candidat à la mairie de Petite-Rivière-Saint-François, dont il a été maire de 1988 à 2009

Lison Harrisson, propriétaire de l’Épicerie du village, se demande si son commerce profitera de la manne.

« C’est l’inconnu. On ne sait pas ce que ça va amener. Quand on parle de resort, on reste autour de la piscine… Est-ce que les gens vont sortir du resort ? Les employés vont sûrement vouloir sortir ! »

Des logements qui se font rares

L’autre candidat à la mairie est un conseiller sortant qui connaît bien ses dossiers. Serge Bilodeau voit lui aussi dans le Club Med une occasion à saisir, avec les quelque 300 emplois qu’il doit créer.

« L’idée, on ne se le cachera pas, c’est qu’avec le Club Med qui s’en vient, il va falloir des logements pour les travailleurs. Le but, c’est d’avoir le maximum de rétention », explique M. Bilodeau.

Mais les logements pour les travailleurs se font rares. Ici, seules 45 % des résidences sont occupées de manière permanente. Le reste est constitué de maisons secondaires et de résidences de tourisme.

Quelque 300 maisons ont été bâties depuis 12 ans. La presque totalité sont des résidences de tourisme ou secondaires.

Nombre de ces nouvelles constructions ont été érigées sur « les plateaux » qui surplombent le village, près de la 138, loin de la rue Principale. Ceux qui restent là ne mettent souvent jamais les pieds au village. On peut se rendre à la station de ski sans passer par la rue Principale.

Le candidat à la mairie Serge Bilodeau explique que des projections de la municipalité ont conclu que si les résidences de tourisme n’étaient pas mieux encadrées, à terme, près de la moitié de tous les terrains lotis de la municipalité en seraient recouverts.

« En voyant ça, on s’est dit : wow, ça ne marche pas. Si on veut des résidences permanentes, des familles, il faut s’assurer que ces gens-là, quand ils se construisent, ils ne se retrouvent pas avec une résidence touristique à côté d’eux. On appelle ça une vie de quartier. »

— Serge Bilodeau, candidat à la mairie de Petite-Rivière-Saint-François

« Oui, on est une région touristique. Mais il ne faut pas tout miser là-dessus », ajoute Serge Bilodeau.

La municipalité a depuis adopté un règlement pour limiter les résidences de tourisme. Mais l’effet ne se fait pas encore sentir. De futurs travailleurs du Club Med ont du mal à se trouver un logement abordable dans le village. Beaucoup seront d’ailleurs logés à Baie-Saint-Paul.

Peu importe qui gagne le 7 novembre, les deux candidats à la mairie se disent conscients de l’occasion unique qui se présente à eux de relancer le cœur villageois.

Et déjà les choses vont mieux. Le dépanneur a rouvert en 2019 grâce au coup de cœur de Lison Harrisson. Le centre de services scolaire ne parle plus de fermer l’école.

« Il y a 15 ans, on parlait plus de décroissance que de croissance à Petite-Rivière, note le maire sortant, Gérald Maltais. Notre population avait baissé à 700 ; là, on est près de 900. C’était dans les plans de la commission scolaire de fermer l’école de Petite-Rivière ! »

L’homme de 75 ans, qui a réalisé trois mandats à la mairie, convient que le développement « inquiète » une bonne partie de la population.

« C’est sûr. Il faut être très attentif à ce qui s’en vient. Ça me préoccupe, mais ça ne me fait pas paniquer. Je pense que les choses sont bien alignées pour Petite-Rivière. »

150 : Nombre de postes que le Club Med cherche à pourvoir. Il a donc commencé début octobre à organiser des portes ouvertes.

703 : Nombre d’habitants de Petite-Rivière-Saint-François lors d’un creux démographique atteint en 2006. Il y en aurait aujourd’hui près de 900, selon le maire sortant.

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