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« Grâce à toi, maman est en santé »

Lorsqu’il a su que sa conjointe Marie-Ève Jarry avait besoin d’un rein, Francis Forand n’a pas hésité à lui offrir l’un des siens. Récit.

Francis Forand avait déjà lancé à la blague à sa conjointe, Marie-Ève Jarry : « Lorsque ton rein ne sera plus bon, je te donnerai le mien. »

À 17 ans, Marie-Ève a appris qu’elle souffrait de la néphronophtise : une maladie génétique qui ne se guérit pas et qui allait aboutir à une insuffisance rénale terminale. En d’autres mots : ses reins allaient bientôt cesser de fonctionner.

Lorsque le diagnostic est tombé, il ne lui restait plus que 4 % de fonction rénale. « Ç’a a été un choc », se souvient celle qui a aujourd’hui 39 ans.

Son nom a été placé sur la liste d’attente pour recevoir un rein. Marie-Ève venait de commencer le cégep à l’époque. Elle a opté pour une solution de dialyse qui se pratique la nuit pour ne pas mettre en péril son trimestre.

Trois mois après le début de la dialyse, on lui a transplanté le rein d’une personne décédée. Tout s’est bien déroulé et elle a vite repris une vie normale.

Bien sûr, ses médicaments antirejet pris chaque jour agissaient comme un rappel quotidien de sa maladie, mais en même temps, explique-t-elle, c’est comme si elle en avait oublié la gravité puisque la dialyse n’était plus nécessaire.

Elle savait que son rein avait une date de péremption – la durée de vie moyenne d’un greffon provenant d’un donneur décédé est 12 ans –, mais cela n’occupait pas ses pensées. Tout allait si bien.

À 19 ans, elle est tombée amoureuse de Francis – « l’homme de sa vie ». Elle a ensuite fait des études en enseignement. En 2007, le couple a eu une fille, Noémy.

21 ans plus tard

Sa vie était à ce point normale que lorsqu’elle s’est sentie très fatiguée, début 2018, l’enseignante d’anglais au primaire s’est demandé si elle faisait un burn-out.

Ce n’était pas un épuisement professionnel. C’était son rein transplanté il y a 21 ans qui ne fonctionnait presque plus.

Son néphrologue, le Dr Michel R. Pâquet, lui a alors parlé du don vivant. Ce traitement consiste, comme son nom l’indique, à prélever un organe chez un donneur vivant. Il faut évidemment que le donneur et le receveur soient compatibles.

Marie-Ève en a parlé à ses parents et à son conjoint, mais sans insister sur les avantages pour ne pas mettre sur eux de pression. La durée de vie moyenne d’un greffon provenant d’un donneur vivant est de 20 ans, soit largement supérieure à celle d’un greffon provenant d’un donneur décédé.

Au Québec, il y a un nombre insuffisant de reins disponibles pour la transplantation provenant de donneurs décédés. Sans un don vivant, Marie-Ève aurait dû patienter des mois, voire des années sur une liste d’attente. Dans l’intervalle, elle aurait suivi un traitement de dialyse pour survivre. Or, l’espérance de vie des patients en dialyse est limitée – le taux de survie après cinq ans est d’environ 50 %.

« Dans la vie, en général, je ne suis pas du genre à demander de l’aide », dit Marie-Ève. La mère de famille n’a pas eu à demander. Son conjoint et son père lui ont offert un rein. Restait à savoir s’ils étaient compatibles.

Même s’ils n’avaient pas été compatibles, ils auraient pu faire un don croisé, qui permet à un donneur d’offrir son organe à un inconnu en échange de l’assurance que son proche recevra aussi un organe. Au Canada, il s’est fait plus de 630 greffes de rein grâce à ce programme de chaîne de dons depuis 10 ans.

Dès que Francis et le père de Marie-Ève ont commencé les démarches, ils ont été épatés par le professionnalisme et la gentillesse de l’équipe de l’unité de transplantation du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM). Une infirmière clinicienne les a accompagnés tout au long du processus. Elle a notamment coordonné les rendez-vous avec les spécialistes et les différents examens pour optimiser chacune de leur visite à l’hôpital.

Père et héros

Au total, il s’est écoulé six mois entre les premiers examens pour l’évaluation du donneur potentiel et la transplantation. En plus d’une batterie de tests, les candidats donneurs sont évalués par un psychologue pour s’assurer qu’ils ne subissent pas de pression du receveur.

« J’en ai profité pour parler de plein d’affaires. Je n’avais jamais rencontré une psychologue de ma vie », lance Francis à la blague durant l’entrevue avec La Presse.

Le couple s’échange alors un regard complice.

Finalement, le père et le conjoint se sont révélés compatibles. Et c’est Francis qui a été choisi. « Certains m’ont dit que je suis héros, mais en fait, moi aussi, j’en profite. Notre qualité de vie de famille sera améliorée », décrit-il.

« En fait, je ne trouvais aucune excuse pour ne pas le faire », ajoute-t-il en se tournant vers sa conjointe, qui éclate de rire.

Puis, la trentenaire devient sérieuse : « Je suis reconnaissante. Je ne pourrai jamais lui remettre ça. »

« Ouain, je m’attendais à ce que tu résistes un peu plus que ça à mon offre », répond Francis pour la faire rire à nouveau.

Le 18 décembre dernier, Francis est passé sous le bistouri le premier. Quelques heures plus tard, c’était au tour de Marie-Ève. Au bloc opératoire, un chirurgien a rassuré Marie-Ève. L’opération de Francis s’était bien déroulée. Il était même déjà réveillé.

La mère de famille a poussé un soupir de soulagement. Si jamais il lui arrivait quelque chose, son conjoint serait là pour s’occuper de leur fille de 11 ans.

Le soir même, Francis a marché jusqu’à la chambre de Marie-Ève. « Dans les premiers jours après l’opération, je me disais souvent : ça ne fait pas si mal que ça. Est-ce que c’est censé faire plus mal ? », décrit le père de famille, qui était de retour chez lui deux jours plus tard. Marie-Ève l’a rejoint peu de temps après. Elle n’a pas vécu de complications.

Francis ne se voit peut-être pas comme un héros, mais, aux yeux de sa fille, il en est bel et bien un. Le père de famille conservera pour toujours le petit mot manuscrit que sa fille lui a écrit dans lequel elle le remercie de redonner la santé à sa maman.

« Dans un hôpital, des évènements heureux, il n’y en a pas tant que ça : il y a des naissances et des transplantations », ajoute le néphrologue Michel R. Pâquet, qui se sent privilégié d’exercer une spécialité médicale lui permettant d’être témoin d’autant d’actes de générosité.

« Si le donneur maintient de bonnes habitudes de vie – il a un suivi médical une fois par an –, les risques ne sont pas élevés. Ça augmente un peu le risque d’avoir une tension artérielle plus haute plus tard dans sa vie, explique le Dr Pâquet. Il y a aussi un risque très bas qu’il se retrouve en dialyse un jour. C’est ce risque qu’on évalue pour déterminer s’il peut donner ou non. »

Le Québec à la traîne

Pour tout le Québec, il y a eu 54 donneurs vivants de rein au cours de l’année 2017.

« Au CHUM, nous avons réussi à doubler le nombre de transplantations rénales avec donneur vivant au cours des 10 dernières années, je suis persuadé qu’il est possible d’augmenter ce nombre », poursuit le médecin.

Le Québec a le taux de donneurs vivants le plus bas au Canada – il est de deux fois inférieur à la moyenne canadienne (15 donneurs par million d’habitants). Or, il n’y a pas de raisons qu’on n’en fasse pas autant qu’ailleurs, souligne le néphrologue.

Le Dr Pâquet a bon espoir de voir le Québec rejoindre la moyenne canadienne d’ici trois ans grâce à la création du programme québécois de don vivant de rein annoncé l’été dernier par le ministère de la Santé. Des effectifs professionnels sont maintenant affectés au don vivant dans chacun des cinq centres hospitaliers du Québec où se fait ce type de transplantation (CHUM, CUSM, Maisonneuve-Rosemont, Hôtel-Dieu de Québec et Sherbrooke).

Pour les patients atteints d’une insuffisance rénale sévère, le don vivant est le meilleur traitement, conclut le Dr Pâquet.

Marie-Ève peut en témoigner : l’an dernier, pendant des mois, elle n’a pas pu s’éloigner de l’hôpital en raison de ses traitements de dialyse. « Ma fille a eu un été vraiment plate », dit-elle. Cet été, la petite famille se promet de multiplier les escapades au Québec. L’été de Noémy s’annonce pas mal moins « plate » maintenant que papa a donné un rein à maman.

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