Les développements du jour

Biden et De Niro

La police a neutralisé hier trois nouveaux colis suspects – deux adressés à l’ancien vice-président Joe Biden et un à l’acteur Robert De Niro. Ces colis étaient similaires aux bombes tuyaux rudimentaires envoyées plus tôt cette semaine à Bill et Hillary Clinton, à l’ancien président Barack Obama et à la chaîne CNN. Aucun des engins n’a explosé et on ne déplore aucun blessé. Mais ces nouveaux noms allongent la liste des démocrates et des détracteurs de Donald Trump à qui étaient destinés les 10 engins explosifs retrouvés jusqu’ici. En point de presse, le chef de la police de New York, James P. O’Neill, a estimé hier que ces colis devaient être traités « avec le plus grand sérieux », et qu’ils étaient à ses yeux des engins fonctionnels et non des canulars.

Les yeux sur la Floride

Les enquêteurs soupçonnent que certains des envois ont été acheminés à partir de la Floride. Des images du service des postes des États-Unis ont offert des indices ayant mené les enquêteurs vers cet État du Sud-Est. Beaucoup de questions demeurent sur ces engins explosifs, y compris sur la manière dont ils ont été livrés, et les autorités n’ont encore rien dit à propos de possibles suspects. Les détails ne font qu’indiquer un certain modus operandi – les articles ont été emballés dans des enveloppes, adressés à d’importants détracteurs de M. Trump, avec des timbres américains. Certains ont été découverts dans des centres de tri du courrier.

Terrorisme intérieur

Le maire de la ville de New York, Bill de Blasio, a déclaré que ces enveloppes constituaient « clairement un effort de terreur politique, un choix de cibles à des fins politiques pour attaquer les gens en raison de leurs convictions ». « Il y a quelqu’un qui correspond à la définition d’un criminel [bomber] en série et, oui, d’un terroriste », a ajouté le maire. Le FBI considère lui aussi la série d’envois de colis suspects comme un acte terroriste.

Nouvelles salves antimédias

Au moment où tous condamnaient l’expéditeur inconnu et que même Donald Trump dénonçait la violence politique, le président n’a pu s’empêcher d’attaquer une de ses cibles préférées : il a lancé sur Twitter, hier matin, que « la colère » qui se manifeste dans la société est attribuable aux « fausses nouvelles » rapportées intentionnellement par les médias. « Fausse nouvelle, fausse bombe : qui donc pourrait bénéficier d’autant de mensonges ? », a pour sa part demandé sur Twitter l’animateur de Fox News Lou Dobbs, avant de retirer son tweet quelques instants plus tard.

colis suspects

À la recherche d’une signature

L’enquête sur la série de colis suspects destinés à des personnalités politiques et médiatiques américaines se braque désormais sur le sud-ouest de la Floride, d’où auraient été expédiés quelques-uns des paquets. N’empêche, aucun suspect ne point encore à l’horizon. Mais comment les autorités amorcent-elles une enquête de cette ampleur ? La Presse a consulté deux experts pour y voir plus clair.

Signez ici

Lorsqu’une bombe est désamorcée ou neutralisée, les enquêteurs l’examinent sous toutes ses coutures afin de déterminer un élément bien précis : quelle est la signature de celui qui l’a fabriquée ? Que ce soit les matériaux utilisés, la technique d’assemblage ou le dispositif de mise à feu, rien n’est laissé au hasard. « Une bombe, c’est très signé », souligne Paul Laurier, ex-enquêteur à l’unité antiterroriste de la Sûreté du Québec. « Ça peut être des microdétails : le ruban gommé d’un côté, le fil rouge d’un autre… D’autres indices vont nous dire si c’est quelqu’un de l’armée ou si ç’a été enseigné par Al-Qaïda, par exemple. » Autre possibilité : l’auteur peut avoir imité la signature d’un autre pour brouiller les pistes. Dans sa carrière, M. Laurier raconte avoir assisté au cas loufoque d’un suspect qui avait largement aidé les policiers en oubliant un code à barres autocollant sur le tuyau d’acier qu’il avait utilisé pour fabriquer sa bombe.

L’ADN : oui, mais…

La base de l’investigation passe sans surprise par des mécanismes d’enquête connus : retracer le trajet des colis par l’entremise des services postaux, consulter des caméras de surveillance, interroger des témoins, etc. Les empreintes digitales et traces d’ADN sur les engins explosifs peuvent également donner des réponses, mais encore faut-il que le pedigree des suspects soit déjà fiché par les autorités. « Si la personne n’a jamais commis de crime, il n’y aura pas de [correspondance] », résume Paul Laurier. Et encore, les résultats peuvent mettre des années à devenir concluants. « L’émission CSI, c’est assez loin de la réalité », ricane celui qui enseigne aujourd’hui les stratégies d’enquête à l’Université de Montréal.

Peu de suspects

Selon Michel Wilson, ex-commandant du SWAT au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), les auteurs potentiels d’engins explosifs sont moins nombreux qu’on peut l’imaginer. « Ce n’est pas tout le monde qui monte des bombes. C’est même une minorité de personnes. » Bien sûr, des « recettes » circulent sur l’internet et peuvent compliquer la vie des enquêteurs. Toutefois, « c’est une chose de regarder une vidéo, mais c’en est une autre de passer à l’acte », estime Paul Laurier. « On ne manipule pas des engins explosifs comme ça. Tu peux jouer à l’apprenti sorcier, mais il va te manquer des doigts à la fin de la journée. »

Pas des pros

Bien des observateurs l’ont signalé depuis que les premiers colis suspects ont été découverts : les « bombes tuyaux » (pipe bombs, en anglais) dont les images ont été dévoilées semblent assez rudimentaires. Le mécanisme de mise à feu – un simple cadran numérique – ne semble pas l’œuvre d’un « spécialiste en électronique », selon Michel Wilson. Il ne faut pas prendre ces événements à la légère pour autant. « Canular ou pas, même s’il n’est pas conçu pour faire tomber un édifice, [un engin explosif] aurait pu sauter en pleine face d’un postier, d’un enfant », rappelle Paul Laurier. Une source citée par le réseau CNN estimait hier que soit la personne qui a fabriqué les bombes « était assez bonne pour s’assurer qu’elles n’explosent pas », soit les engins avaient été mal conçus. De la poudre explosive a néanmoins été retrouvée et aurait pu causer des dégâts sérieux.

L’extrême droite en cause ?

Une photo de l’engin explosif destiné au réseau CNN mercredi semble révéler un détail bien particulier – la présence d’un drapeau trafiqué du groupe État islamique. Sur cette image, la silhouette de trois femmes remplace les caractères arabes, et l’on peut lire l’expression « Get ’Er Done » – une boutade qui se traduirait par « achève-le ». Le drapeau « Get ’Er Done », diffusé pour la première fois en 2014 par le site parodique World News Bureau, circule depuis sur des plateformes d’extrême droite. C’est le réseau NBC qui a révélé ce détail mercredi soir. Les autorités n’ont toutefois pas donné de détails supplémentaires à ce sujet hier.

Montréal sous les bombes

Il y a une vingtaine d’années, en pleine guerre des motards, les policiers de Montréal composaient régulièrement avec des engins explosifs. Une époque qui semble bien lointaine, vu la tension observée au sud de la frontière depuis le 11-Septembre. « Avant 2001, on avait plus de bombes ici que dans les grandes villes américaines, se souvient Michel Wilson, qui était alors technicien en explosifs pour le SWAT. Dans ce temps-là, on défaisait plus d’une vingtaine de bombes et on avait peut-être 200 appels par année pour des colis suspects. On dirait que les criminels d’ici adoraient les bombes ! Mais ce type de criminalité a beaucoup diminué. »

— Simon-Olivier Lorange, La Presse

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