Opinion : Renégociation de l'ALENA

La géopolitique pèsera lourd dans la balance

La première ronde de la renégociation de l’ALENA s’ouvre à Washington aujourd’hui. Bien que les grands enjeux soient connus, il est pour le moins étonnant de constater que les trois partenaires nord-américains sont encore loin d’un consensus. Pour certains, les États-Unis vont se contenter d'obtenir des concessions symboliques qui permettront au président Trump de sauver la face. Pour d’autres, l’administration Trump recherche une victoire décisive qui viendrait concrétiser sa politique de l’America First dans les relations commerciales.

L’incertitude quant à l’issue des négociations découle dans une large mesure de la conjoncture géopolitique nord-américaine. Même si les trois partenaires seraient affectés par le retrait unilatéral des États-Unis de l’ALENA, ces derniers sont mieux équipés pour absorber le choc. Il en va autrement du Canada et du Mexique, dont plus de 75 % des exportations totales vont vers les États-Unis. À noter que même si les États-Unis importent encore une grande partie de leur production pétrolière, ceux-ci se dirigent rapidement vers l’indépendance énergétique grâce à la fracturation hydraulique et à la levée des restrictions environnementales pour l’exploitation des énergies fossiles.

Depuis l'élection présidentielle aux États-Unis, Donald Trump et sa garde rapprochée demeurent vagues quant à leurs véritables intentions.

Un document publié le mois dernier clarifiant les objectifs des États-Unis a été jugé rassurant par certains parce que peu spécifique, et inquiétant par d’autres parce que les principes énoncés ouvrent la porte à toutes les revendications historiques des États-Unis, notamment l’élimination du mécanisme de règlement des différends, de la gestion de l’offre dans le secteur agricole et des « subventions » canadiennes au secteur forestier, en plus de l’augmentation du contenu américain dans les produits manufacturés pour être admissible à une exemption tarifaire.

Selon un scénario optimiste pour le Canada et le Mexique, les menaces qui pèsent sur l’administration américaine, dont l’enquête sur une possible collusion avec la Russie durant les élections, l’appui dont bénéficie le libre-échange au Congrès et chez plusieurs entreprises américaines, la gestion de plusieurs dossiers chauds comme la Corée du Nord et l’Iran et le désir d’éviter une confrontation avec ses deux voisins pour assurer la sécurité nationale, limiteront la marge de manœuvre de Trump dans les négociations, et le forceront à se contenter de gains relativement modestes.

Boucs émissaires

Par contre, un scénario plus pessimiste est tout aussi plausible. L’ALENA et le libre-échange ont servi de boucs émissaires pour les problèmes qui affligent la classe moyenne comme les pertes d’emplois et la stagnation des revenus, et ont largement contribué à la victoire de Donald Trump, notamment dans les États de la « Rust Belt » traditionnellement démocrates. Trump s’est formellement engagé à renégocier ou abolir l’ALENA dans l’intérêt des travailleurs américains. Avec la chute dramatique de son taux d’approbation, la fronde qui se dessine au Parti républicain, un bilan législatif catastrophique et l’étau des multiples enquêtes qui se resserre, Trump a désespérément besoin d’une « victoire ».

Quoi qu’ils en disent, le Canada et le Mexique ne souhaitaient pas renégocier l’ALENA, et se retrouvent aujourd’hui dans une position délicate. Depuis six mois, les représentants canadiens travaillent d’arrache-pied pour convaincre les législateurs et les gens d’affaires américains de l’importance des relations commerciales avec le Canada. Par rapport au Mexique, le Canada devra décider s’il se range du côté de la stratégie américaine qui vise à diviser pour mieux régner, ou s’il fera front commun face aux revendications américaines. Reste à voir si les États-Unis seront uniquement motivés par leurs intérêts économiques à court terme ou s’ils se laisseront convaincre par l’impératif géopolitique du bon voisinage et des alliances.

Quant au Mexique, les États-Unis auraient tort de sous-estimer l’intensité du ressentiment suscité par Donald Trump.

Selon un sondage récent du Pew Research Center, seulement 5 % des Mexicains font confiance à Trump, et la perception favorable des États-Unis a chuté de 66 % sous Obama à 30 % aujourd’hui. Bien qu’il soit impensable de remplacer les États-Unis comme principal partenaire économique à court ou moyen terme, le Mexique cherche activement à réduire sa dépendance, comme le démontre l’annonce récente d’importants investissements chinois au pays.

Sur le plan géopolitique, l’élection présidentielle de juillet 2018 n’annonce rien de bon pour les États-Unis. En plus de la corruption, la violence et la faible croissance économique, la popularité du parti au pouvoir (PRI) et du président Peña Nieto (qui n’est pas éligible pour un deuxième mandat) est plombée par la perception que sa riposte à Trump est insuffisante. Le candidat de la gauche populiste López Obrador, qui a perdu la dernière élection de justesse, est présentement en tête dans les sondages. Cela met une forte pression sur le Mexique de boucler les négociations avant janvier 2018, alors que la joute électorale se mettra en branle.

Malgré la complexité et l’importance des enjeux commerciaux, il y a fort à parier que la dynamique géopolitique continentale aura une forte influence sur l’issue des négociations.

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