L’économie qui s’écrit

La précarisation du travail

Qu’il est loin, le temps béni où l’écrasante majorité des travailleurs étaient salariés permanents à temps plein et, souvent, syndiqués aussi !

Aujourd’hui, au Québec et ailleurs en Occident, l’emploi atypique, c’est-à-dire à temps partiel, contractuel, temporaire ou indépendant, est le lot plus ou moins volontaire d’un travailleur sur trois. En 1976, c’était un sur six.

L’Institut québécois de la statistique vient d’ailleurs de publier l’étude toute récente de Luc Cloutier-Villeneuve, qui renferme une interprétation des données les plus récentes.

Les mutations du statut du travailleur se sont accélérées depuis 30 ans, à mesure que l’idéologie keynésienne qui présidait jusque-là à la gouverne de l’État a été taillée en pièces par le triomphe des idées néolibérales. L’État s’est de moins en moins fait l’arbitre des rapports sur le marché du travail pour devenir plutôt le facilitateur des réformes exigées par les entreprises qui réclamaient et réclament encore une plus grande flexibilité des conditions de travail. L’État aurait favorisé la mise en concurrence des travailleurs.

S’ensuivirent « la centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail, […] la sous-rémunération de l’emploi atypique, […] l’accroissement de l’instabilité de la relation d’emploi et, plus encore, […] la mise en place de disparité de traitement en fonction du statut d’emploi », affirme Yanick Noiseux. Il souligne que dans cette dynamique, l’État n’a pas cherché à encadrer ou réglementer ces nouvelles formes de travail, ou si peu.

Dans Transformations des marchés du travail et innovations syndicales au Québec, l’essayiste retrace la mise en place de ces transformations une à une tout en expliquant les rouages de la mécanique qui les a favorisées.

Les premières brèches ont été réalisées aux dépens des travailleurs migrants non qualifiés : étudiants, main-d’œuvre agricole, aides familiales.

Une fois ce précédent créé, « l’État s’est plutôt engagé dans un partenariat à deux avec le milieu des affaires, faisant de la "rigidité" du marché du travail l’ennemi à combattre », poursuit Yanick Noiseux.

En une trentaine d’années, il en a résulté une rémunération moindre pour l’ensemble des travailleurs fondée sur l’écart grandissant entre celle des salariés classiques et celle des travailleurs atypiques.

SYNDICALISATION 

L’essayiste relève aussi les hésitations du monde syndical à organiser ces travailleurs, peu associés aux métiers ouvriers, berceau du syndicalisme. D’abord, il a cherché à enrayer ou à tout le moins contenir ces nouvelles formes d’emploi afin de protéger ses membres. On n’a qu’à penser aux batailles contre la sous-traitance et l’impartition.

Il rappelle ensuite avec force détails les efforts réels de quelques syndicats pour organiser ces travailleurs ou pour élever leur statut dans la nouvelle hiérarchisation de l’emploi. Le lecteur a ainsi droit au rappel détaillé des batailles pour la syndicalisation chez Walmart, la longue lutte des employés de bureau de la SAQ (en 2004-2005), celle des étudiants-employés des universités, celle des camionneurs indépendants et celle des migrants saisonniers dans les fermes maraîchères.

Au cours de cette narration historique, il fait aussi ressortir que de vieux réflexes corporatifs des centrales syndicales ont parfois pris le dessus sur les enjeux des luttes menées par ou pour ces travailleurs atypiques, souvent divisés entre eux.

Noiseux tente enfin de dégager des pistes de solution pour faciliter l’organisation (lire la syndicalisation) de ces travailleurs atypiques. Pour ce faire, il puise dans les travaux réalisés par le sociologue de gauche Boaventura de Sousa Santos, analyste de longue date du travail atypique latino-américain et des énergies déployées pour mieux l’encadrer.

Il préconise la refondation des objectifs et méthodes de l’action syndicale pour s’attaquer à ce qu’il appelle « l’institutionnalisation de la précarité » qui touche particulièrement les femmes et les jeunes.

Devant ce défi peut-être hors de portée, Noiseux reprend à son compte la recommandation d’inclure dans le Code du travail le « principe d’égalité de traitement, peu importe le statut d’emploi ».

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