La Presse à Houston

la femme de l’astronaute

Oubliez la « veuve » de l’espace qui attend son astronaute de mari sagement à la maison. Et mettez de côté l’image de l’homme bionique qui flotte au-dessus de tout à neuf mois de son départ dans le cosmos. Le couple que forment l’astronaute David Saint-Jacques et la docteure Véronique Morin défie tant la gravité que les idées préconçues.

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Des trucs pour la conciliation travail-famille

Être créatif

« On a tendance à se mettre dans des ornières et à avoir peur de sortir des sentiers battus, dit Véronique Morin. Au début, par exemple, je me disais : “Je ne peux pas monter dans le Nord avec trois enfants. Ça ne se fait pas !” Puis je me suis dit : “Mais pourquoi pas ? Il y en a, des enfants, dans le Nord.” On a des filles au pair, ici, et je les emmène avec moi. Et nos enfants adorent le Nord ! »

Penser au couple

« Un couple solide, ça veut dire deux personnes qui sont elles-mêmes et bien ancrées, dit la Dre Morin. Dans notre cas, on est tous les deux bien ancrés dans nos passions et nos objectifs, et ça nous permet de nous appuyer l’un sur l’autre. Le couple, il faut le protéger et le nourrir. Et il faut qu’il passe avant les enfants. Nous, une stratégie pour nous voir, c’est de passer du temps en amoureux à Moscou pendant que les grands-parents viennent ici. »

Demander de l’aide

« Ça prend un village au complet, dit Véronique Morin. Au Canada, mon village est super fort. J’ai des cousines qui sont venues avec moi dans l’Arctique. Ma mère est venue, ma belle-mère aussi. Au Texas, ce village, on a dû le tricoter. On a des gens qui sont devenus les grands-parents adoptifs de nos enfants, qui nous donnent de la soupe en échange de câlins. Oui, c’est difficile de demander de l’aide. On n’ose pas. Mais j’ai appris à le faire. Il y a plein de gens qui veulent être dans mon village et j’ai compris que ce n’était pas leur rendre service que de refuser. »

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Trois enfants, une carrière… et un mari astronaute 

Quand son mari David Saint-Jacques a été nommé astronaute, Véronique Morin a été claire : elle n’allait pas mettre ses rêves de côté pour regarder son amoureux vivre les siens. Aujourd’hui, la mère de trois jeunes enfants pratique la médecine de santé publique au Nunavik, la médecine d’urgence à Houston et la conciliation travail-famille à l’extrême. Rencontre.

Le voyage est bourré d’imprévus. La mission requiert des années d’études et d’entraînement. Et l’environnement vers lequel on s’envole est très différent de celui de la maison. Une expédition vers la Station spatiale internationale ? Non. Un départ de Houston vers le Nunavik pour y pratiquer la médecine, avec des enfants de 1, 4 et 6 ans comme membres d’équipage.

Cette semaine, l’astronaute David Saint-Jacques a ébloui les médias canadiens par ses exploits à l’entraînement. Mais à Houston, il n’est pas le seul Québécois à avoir des choses à raconter. Pour affronter les situations délicates, sa femme Véronique Morin ne donne pas sa place.

« J’ai toujours eu peur de devoir arrêter de travailler dans le Nord, confie la Dre Morin à La Presse. Je suis passionnée par la médecine, et particulièrement par la médecine autochtone avec les Inuits. J’ai une grosse partie de mon cœur là-bas. »

Suivre ses ambitions professionnelles tout en partageant la vie d’un astronaute, Véronique Morin connaît. Quand David Saint-Jacques a été recruté par l’Agence spatiale canadienne, en 2009, elle a fait le chemin vers Houston avec lui pour se rapprocher des installations de la NASA. Les voyages de son mari pour l’entraînement se sont multipliés. Deux garçons, Pierre et Léon, sont venus grossir la famille. Malgré cela, Véronique Morin a continué ses propres expéditions au Nunavik pour y soigner les autochtones.

Puis, en mai 2016, la nouvelle est tombée : David Saint-Jacques avait été sélectionné pour s’envoler vers la Station spatiale internationale. Date du départ : novembre 2018. L’entraînement passait en vitesse supérieure. Les voyages, notamment à Moscou, allaient devenir encore plus fréquents.

« À l’époque, j’étais enceinte de Sophie. On a tout de suite vu que ça allait être un défi considérable. On s’est dit : “OK, ça commence. On a beaucoup de travail devant nous” », raconte Mme Morin.

A-t-elle pensé sacrifier son travail pour s’occuper des enfants ?

« J’entends David dire à tout le monde : “Suivez votre rêve, c’est tellement important.” Et moi, j’aurais mis mon propre rêve en veilleuse ? Pour moi, c’était impossible. Je ne pense pas que j’aurais été heureuse. »

— Véronique Morin

Loin de se détourner de ses ambitions, la Dre Morin en a développé de nouvelles. Elle vient de terminer une maîtrise en santé publique, dont elle applique les enseignements au Grand Nord canadien. Elle pratique aussi la médecine d’urgence mineure au Texas. Pour elle, pas question de compter les jours avant la fin de l’entraînement de son mari.

« L’entraînement, c’est deux ans et demi. On ne peut pas retenir son souffle pendant deux ans et demi. Il faut apprendre à bien vivre là-dedans », dit-elle.

Une famille « nomade »

C’est ainsi que la famille Morin-Saint-Jacques est devenue ce que Véronique Morin appelle une « famille nomade ». Houston, Moscou, le Québec, le Nunavik : ses différents membres se promènent sans cesse, avec des grands-parents, des cousins, des belles-mères et des filles au pair qui affluent à gauche et à droite pour donner un coup de pouce.

« Pour nous, la maison n’est pas un lieu. La maison, c’est quand on est ensemble », dit Mme Morin.

« Quand on a des vies très éclatées et très intenses, on se rend compte que les petites choses ont tellement de valeur », continue Véronique Morin. 

« On chérit les petits moments. Quand on fait des jeux de société en famille, des casse-têtes, quand les gars font des pitreries à table, on a tous le réflexe de savourer au maximum et de protéger ces moments-là. »

— Véronique Morin

Maintenant que papa est absent environ 70 % du temps, Mme Morin se décrit comme « le commandant de la famille ».

« Les autres conjointes d’astronaute me disaient : “Tu vas voir. Tu vas arriver à un point où c’est tellement plus facile quand il n’est pas là”, raconte Véronique Morin en riant. Je me disais : “Ce ne sera jamais moi.” Puis là, David arrive, j’entends un enfant lui demander huit yogourts et David me regarde sans savoir quoi faire… »

Et sinon, c’est fatigant, dans un souper d’amis, d’être avec un astronaute qui vole toujours la vedette ?

« Au Québec, oui, c’est fatigant, répond la Dre Morin. Mais je prends ma revanche à Houston. Parce que dans un party d’astronautes, tout le monde veut entendre parler des Inuits et du Grand Nord. La bibitte exotique, ici, c’est moi et pas lui ! »

La Presse à Houston

David Saint-Jacques répond à vos questions

Comment David Saint-Jacques prépare-t-il ses jeunes enfants (ils ont un an et demi, 4 ans et 6 ans) à son voyage de six mois dans l’espace ? A-t-il des craintes lorsqu’il se couche le soir ? Que ferait-il si la Station spatiale devenait inhabitable pendant qu’il y séjourne ? La Presse avait lancé un appel à tous afin de recueillir des questions pour David Saint-Jacques. L’astronaute, malgré son horaire chargé, nous a accordé quelques minutes à Houston pendant lesquelles nous avons pu lui en poser certaines.

— Philippe Mercure, La Presse

Est-ce que l’entraînement est plus difficile que vous ne l’aviez imaginé ?

— René Hubert

Je dois dire que le programme d’entraînement est vraiment bien organisé. C’est une machine extrêmement bien huilée. On se présente, on accepte la souffrance et on en ressort entraîné. Il faut comprendre que je ne suis pas là pour passer des examens et faire plaisir à mes instructeurs. Je suis là pour me préparer pour une mission. Alors la pression, c’est moi qui me l’impose, beaucoup plus que les autres.

Je compare souvent mon entraînement à l’ascension de l’Everest. En novembre, je disais que je me sentais au milieu. Ça faisait longtemps que j’étais parti, mais le sommet était encore loin. Il y a un mois, j’ai essayé mon scaphandre. Pas n’importe quel scaphandre – le mien ! Et là, j’ai réalisé que c’était vrai. Ce n’est pas un jeu, ce n’est pas une simulation, ce n’est pas juste un entraînement. C’est vrai. Pendant un court moment, j’ai entrevu le sommet. Mais au quotidien, je me concentre pour ne pas trébucher. Je dois aussi dire que, pour moi, le principal défi n’est pas technique, mais logistique et familial.

Vous avez trois enfants. Quelle préparation avez-vous prévue pour votre famille et quelle place accordez-vous aux enfants dans le processus du départ ?

— Karine Boivin, mère de deux enfants

Il faut d’abord dire qu’on vit dans un milieu où des astronautes, il y en a beaucoup. Ils viennent à la maison, mes enfants les connaissent. Alors pour eux, partir dans l’espace, ce n’est pas quelque chose d’épeurant. Pour mes enfants, les pompiers et les policiers sont plus mystérieux que les astronautes !

Les enfants comprennent ce qui se passe. Ils savent ce qu’est la maison dans le ciel, comme ils l’appellent – la Station spatiale internationale. Ils sont encore petits, alors le côté danger, on ne leur en a pas trop parlé – parce qu’ils ne sont pas prêts à gérer ça. Je sais évidemment que les enfants sont d’un naturel curieux et qu’ils n’ont pas la langue dans leur poche. Je sais qu’ils vont finir par découvrir à quel point ce que je fais est risqué.

Ce à quoi on les prépare, c’est l’absence. Pour l’instant, je suis souvent parti en Russie. Ils ont compris que notre famille est comme ça : les gens voyagent. Quand on est ensemble, on fait les choses ensemble. Quand on ne l’est pas, on s’aime quand même et on pense toujours les uns aux autres.

Outre votre grand désir et votre soif d’aventure, avez-vous des craintes réelles lorsque vous vous couchez le soir, ou préférez-vous les taire ?

— René Hubert

On dit souvent que les astronautes sont des spécialistes pour penser au pire. Le pire, j’y pense et je m’y prépare. Ce qu’on fait est tellement dangereux, il y a plusieurs choses qui pourraient aller très mal. Mais si je réussis à déterminer le pire et à me convaincre que j’ai une solution même pour ça, je suis correct. C’est un peu ça, l’esprit d’astronaute. J’ai dû développer cette méthode de pensée qui consiste à ne pas être trop optimiste. C’est correct d’être optimiste, mais seulement une fois que tu t’es torturé l’esprit pour imaginer le pire et t’y préparer. L’optimisme seul, c’est dangereux.

Qu’arriverait-il s’il y avait un problème avec la Station spatiale et que l’équipage devait en sortir (en souhaitant que cela n’arrive jamais) ?

— Maxime Gagnon

Oh ! On n’y a pas pensé, à ça [rires] ! Mais non, on y a pensé. Un incendie à bord, un impact avec un météorite, quelque chose de toxique dans l’air et la Station spatiale devient inhabitable. Ce sont des scénarios auxquels on a pensé. Et dans ce cas, la solution, c’est la capsule Soyouz. C’est notre véhicule, et il reste stationné à la Station spatiale. Notre Soyouz est donc notre radeau de sauvetage. À tout moment, tout le monde y a une place pour retourner sur Terre. Dans les scénarios catastrophes, la première étape est d’aller dans notre Soyouz, de fermer la porte et de vérifier que la capsule est correcte. Après, on pense au reste.

Quel genre de situation vous rend nerveux, et comment gérez-vous le stress au quotidien et dans les situations délicates ?

— Marie-Lou Ménard

Le stress, je le vis. Ma vie actuelle est comme une session d’examens à l’université, mais en continu. Quand j’ai un événement important dans une journée, ma femme le voit. Je suis dans ma bulle, je suis « focussé » et concentré. C’est une tension, c’est clair. Pour moi, l’anxiété, la peur ou l’appréhension, ce sont les reflets du subconscient qui dit : attention. Ce n’est pas du niaisage, ce qui s’en vient. C’est sérieux, il faut se concentrer et on peut se planter. C’est comme une alarme qui sonne. Ce signal-là, je l’écoute, mais en veillant à ne pas me laisser emporter par le stress et la peur. Et la réponse universelle au stress, c’est de se préparer.

La Presse à Houston

La Station spatiale internationale

1998

Année de lancement du premier module

370 km

Distance de la Terre à laquelle flotte la Station spatiale internationale (SSI)

28 000 km/h

Vitesse à laquelle la SSI tourne autour de la Terre. Elle en fait le tour 16 fois par jour.

Taille d’un terrain de football canadien

Surface habitable comparable à celle d’une maison de cinq chambres

Mission de David Saint-Jacques

Départ prévu  17 novembre 2018

Durée  Six mois

David Saint-Jacques s’envolera en compagnie du Russe Oleg Kononenko et de l’Américaine Anne McClain. Ils iront rejoindre les Russes Alexeï Ovtchinine et Nikolaï Tikhonov et l’Américain Nick Hague, qui partiront le 14 septembre.

— Données recueillies par Philippe Mercure, La Presse

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