EXTRAIT

Voici des extraits d’un discours prononcé par Pierre Marc Johnson à l’occasion des Journées du Barreau du Québec, à la mi-juin, lors desquelles on lui a décerné la Médaille 2017.

MONTÉE DU POPULISME

Des démocraties fragiles devant l’irrationnel

Pierre Marc Johnson Avocat-conseil, Lavery, ancien premier ministre du Québec

Il est devenu nécessaire de rappeler certains fondements de notre système démocratique alors qu’émergent des mouvements et propos dits « populistes » qui ont prise dans des pays où l’on élit les dirigeants.

Nos démocraties demeurent fragiles devant l’irrationnel et pourraient devenir moins résilientes qu’elles ne le semblent si nous n’y portons pas attention. La démocratie permet que le droit évolue de façon ordonnée et cohérente avec la société et les valeurs que les élus et les tribunaux y perçoivent.

C’est le temps qui est l’aune à laquelle on mesurera la justesse et la pertinence des changements aux lois et des formes qu’on aura données au progrès des droits et libertés.

Ces progrès et tant d’autres ont traduit une évolution des valeurs en société qui touchaient les droits individuels comme les droits dits collectifs. Ces progrès deviennent des acquis de société et partie intégrante de notre culture démocratique.

On critique à l’occasion ces changements, mais pour l’essentiel ces orientations touchant les droits et libertés et les droits collectifs ne sont pas constamment remises en question.

L’émergence du populisme qui s’intègre dans la démarche électorale doit nous faire prendre conscience de la fragilité des acquis sociaux et du progrès des droits et libertés. Par le fait même, celle de la vie démocratique.

Si on regarde chez nos voisins américains, on constate des remises en question d’envergure en matière de protection de l’environnement, d’accès aux services de santé, du traitement fait à ceux qui accèdent au territoire américain. Et que dire du traitement que le sommet de l’exécutif donne au judiciaire et du constat qu’est battu en brèche le principe de la distance respectueuse qui doit exister entre l’exécutif et l’administration de la justice ?

Beaucoup plus loin de nous, dans deux États qui bénéficient d’un mode de scrutin démocratique, en Turquie et aux Philippines, se jouent des enjeux extrêmement préoccupants.

Dans l’un, à la faveur d’une tentative échouée de coup d’État, le sommet de l’État s’en prend à la liberté d’expression et de la presse ainsi qu’à l’indépendance des Tribunaux par des arrestations et des limogeages massifs. Dans l’autre, le chef de l’État lui-même, invoquant la lutte contre la drogue, incite les corps policiers à exécuter sans procès des centaines de citoyens.

Le Québec et le Canada et les États-Unis sont bien loin de ces deux dernières illustrations de la dérive de gouvernements choisis au suffrage universel. On peut par ailleurs constater plus près de nous que la Hongrie, l’Autriche, la France et d’autres ont vu émerger des formations politiques dites populistes.

La rhétorique populiste s’en prend constamment aux dirigeants politiques, administratifs, économiques, intellectuels dans une sorte d’antiélitisme primaire et inébranlable.

Les chefs de ces mouvements sont les porteurs d’une rage populaire qu’ils alimentent eux-mêmes par un discours qui intègre les frustrations du quotidien. Ils éveillent la peur de tout ; ils encouragent le sentiment de victimisation dans les populations qui subissent les effets du changement technologique, social et économique.

On s’en prend au système de l’économie de marché pour expliquer toutes les formes de disparités en société. Il est vrai que l’économie de marché ne recherche pas en soi l’éradication des disparités ; mais nos sociétés démocratiques ont des régimes substantiels de répartition de la richesse et des filets de sécurité sociale solides. S’il est vrai qu’ils seront toujours perfectibles pour répondre aux besoins nouveaux qui se présentent, ils existent.

Les populistes n’évoquent pas le pluralisme, la séparation des pouvoirs, les droits des personnes et ni les droits syndicaux ; non plus que toutes les autres libertés qui nous apparaissent fondamentales et que nous tenons pour acquises. Les populistes cherchent des coupables à qui ils imputent tous les maux du monde.

Le contrepied du propos populiste, c’est la réalité des faits. L’ignorance et la démagogie prennent une grande place dans le discours populiste, qui diffuse abondamment sur tous sites, journaux et plateformes.

La nouvelle est devenue un flux d’instantanés composé des opinions et positions courtes des uns et des autres. Les « élites » politiques s’emprisonnent elles-mêmes dans cette superficialité et s’obligent à peu de temps de réflexion avant de réagir aux situations, aux propos, aux positions.

Les conséquences pour la société ne sont pas minces. 

La liberté d’expression doit prédominer, mais force est de constater que jamais le discernement du lecteur ou de l’auditeur n’aura été aussi nécessaire que maintenant.

L’adaptation ou l’inadaptation à ces changements et perturbations taille une place au droit, aux juristes et aux avocats. Les juristes, les avocats et la profession par son Ordre ont un devoir d’analyse consciente et attentive du propos public et médiatique. Ils doivent reconnaître la démagogie et ne pas hésiter à la dénoncer ou à la confronter. Ils doivent apporter la part du rationnel à des propos qui souvent ne le sont pas.

Ils ont un devoir d’intervention quand tout s’emmêle au point d’atteindre les fondements de la démocratie représentative dans laquelle nous vivons.

Il appartient aux juristes, aux avocats et au Barreau de trouver des moyens de présence, d’alerte et de pédagogie auprès du public quand l’indépendance des tribunaux est mise à mal, quand la liberté de la presse est menacée, quand le droit à l’intégrité de sa réputation est bafoué, quand le droit à l’égalité subit des assauts.

Il en va de même d’être à l’affût des situations délicates posées par l’obligation de distance respectueuse du politique à l’égard du travail des forces policières et – au nom de l’intérêt public – de la nécessité que ce bras du seul exercice légitime de la violence en société soit imputable dans l’État et dans la société.

Parce qu’il est une institution qui nous réglemente, le Barreau doit savoir intervenir tout autant que ses membres dans la défense des fondements de notre démocratie.

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