Chronique

Il faut abolir le repêchage

Abolir le repêchage, c’est le traitement-choc que propose notre chroniqueur Alexandre Pratt pour mettre fin au tanking et relancer la compétitivité dans la LNH.

L’hiver dernier, le propriétaire des Mavericks de Dallas a convoqué quelques joueurs pour un souper. Un cas de « faut qu’on se parle ». À Noël, l’équipe occupait le dernier rang de l’Association de l’Ouest de la NBA.

Il ne les a pas semoncés. Il n’a pas cassé d’assiette non plus. Il leur a franchement suggéré de continuer à perdre. Ses mots exacts : « La défaite est notre meilleure option. »

Choquant ? Assurément.

Antisportif ? Tout à fait.

La NBA l’a mis à l’amende. Bravo. L’incident a démontré ce que plusieurs propriétaires et directeurs généraux se disent à micros fermés. Tant qu’à patauger dans le milieu du classement, aussi bien couler. Au plus profond du plus profond. Y rester longtemps. Puis remonter à la surface après cinq ans avec une ribambelle de premiers choix au repêchage.

Cette stratégie s’appelle le tanking. Vous n’entendrez jamais ce mot dans la bouche d’un dirigeant. C’est comme Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom dans les romans Harry Potter. Les DG préfèrent employer des termes d’ingénierie, comme « processus » ou « restructuration ». Ça fait chic, c’est recherché, mais ce n’est qu’un effet de toge. L’intention est la même : ne rien faire pour améliorer son équipe et la laisser perdre pour augmenter ses chances d’obtenir le meilleur espoir du repêchage.

La gangrène sévit depuis plusieurs années dans la NBA et le baseball majeur. Elle commence à bouffer de l’intérieur la LNH.

« C’est un cancer », a plaidé récemment l’agent le plus influent du baseball, Scott Boras.

Toutes les ligues cherchent à enrayer l’épidémie.

Un traitement-choc existe.

Abolir le repêchage.

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D’abord, un peu d’histoire. Le repêchage n’a pas toujours existé. Avant, c’était simple : les clubs offraient un contrat à n’importe qui, sans restriction. Voilà pourquoi Jacques Plante, Henri Richard et Jean Béliveau ont pu porter le chandail tricolore même si le Canadien était déjà la superpuissance de la ligue.

C’était le système idéal pour les équipes championnes, comme le Canadien, qui attiraient tous les meilleurs joueurs. Mais vous aurez deviné qu’ailleurs, ça grinçait. Une ligue déséquilibrée, c’est une ligue morte. Les spectateurs s’ennuient. Les commanditaires partent. Les réseaux de télévision et les stations de radio ne voient pas l’intérêt de présenter des matchs à sens unique. Pensez à la dernière saison de la Ligue de football universitaire du Québec.

En 1963, la LNH a donc instauré un repêchage afin – je cite le commissaire Clarence Campbell – de « donner la même opportunité à toutes les équipes d’acquérir un joueur étoile ». Pendant des décennies, le système a bien fonctionné. Souvenez-vous des années 80, alors que 16 des 21 clubs participaient aux séries. L’équipe qui repêchait au premier rang avait une réelle chance de rattraper le peloton dès l’hiver suivant.

Sauf qu’il y a maintenant 31 clubs. Les chances pour un club de la LNH de participer aux séries sont passées de 76 % à 52 %. Un nouveau joueur – aussi dominant soit-il – ne suffit plus pour sortir de la cave. La preuve : Connor McDavid avec les Oilers. Non, ça en prend une demi-douzaine. Dans le jeu vidéo NHL 19, en mode recrue, c’est très facile à trouver. Dans la vraie vie, avec le plafond salarial qui limite les transactions, c’est plus compliqué.

Depuis quelques années, tout le monde fouille. Les DG sont comme ces chercheurs d’or qui passent le tamis dans la rivière Klondike. Quand l’un d’entre eux découvre une pépite, tous les autres le suivent. Alors quand les Cubs et les Astros ont remporté la Série mondiale après avoir testé le tanking (voir autre texte), c’est devenu l’idée à la mode. L’agent Scott Boras estimait l’année dernière que 12 des 30 équipes du baseball majeur ne font aucun effort pour gagner. C’est désespérant. Prenez le temps de digérer cette statistique entre deux gorgées de café : c’est 40 % de la ligue qui se bat pour la dernière place !

Le pire, c’est que scientifiquement, le tanking semble inefficace. Quatre chercheurs américains ont décortiqué la stratégie dans la NBA. L’étude est parue en 2016 dans The Journal of Sports Economics. Leur conclusion : « Les franchises qui obtiennent de bons choix après des saisons médiocres ne profitent pas d’un avantage. » Et « contrairement à la croyance populaire, ajoutent-ils, les joueurs récemment repêchés au début de la première ronde ont peu d’impact » à court et moyen terme. C’est surtout vrai des joueurs repêchés aux positions 4-10 et 14-17. Les auteurs sont affirmatifs : rien ne remplace un bon DG.

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Revenons à la LNH. Ils ne l’admettront pas, mais les Red Wings et les Coyotes cochent toutes les cases d’une franchise en mode tanking. Les Blackhawks, les Rangers et les Kings ont conservé des joueurs importants avec de gros contrats, mais ils ne posent aucun geste pour s’améliorer. Les Sénateurs sont juste durs à suivre.

Le Canadien ? Même dans les pires moments l’hiver dernier, le propriétaire Geoff Molson a refusé d’envisager cette option, m’assure- t-on. D’abord, il est convaincu qu’avec Carey Price et Shea Weber en santé, l’équipe peut participer aux séries. Ensuite, le marché montréalais est très sensible aux performances. Les dirigeants du Canadien le savent, ils voient comme nous les Alouettes tomber de haut. Ils n’oublient pas non plus qu’avant le lock-out de 2004, l’équipe était incapable de remplir l’aréna après trois saisons sans séries éliminatoires.

Ça n’empêche pas des partisans du Tricolore d’exiger que leur club s’autodétruise. Leur voix porte. Tellement qu’en décembre, le plus important forum de discussion à propos de l’équipe, Hockey Future, a banni tous les encouragements au tanking. « Bien que nous comprenions que certaines personnes souhaitent que l’équipe perde pour obtenir un choix élevé au repêchage, veuillez comprendre que la plupart des membres de ce forum viennent ici pour encourager leur club préféré », se sont justifiés les modérateurs.

Honnêtement, c’est décourageant. Ces soi-disant partisans seraient les premiers à dénoncer leur fournisseur de téléphone si celui-ci les empêchait de texter et diminuait ses données de moitié pendant six ans avec la promesse qu’à terme, le réseau serait amélioré.

Le temps est venu une fois pour toutes de cesser ce nivellement par le bas. Voici quelques pistes de solution pour la LNH.

Des pistes de solution

Redistribution des billets de loterie

Depuis 2016, les trois premières places du repêchage de la LNH sont tirées au sort. Seules les équipes exclues des séries ont droit à des billets de loterie. Les pires clubs ont plus de billets. C’est comme donner une Tylenol avant une amputation. Aucun effet. Les équipes éliminées des séries ont vite calculé qu’en perdant, leurs chances d’obtenir un choix convoité restaient meilleures. Une solution de rechange acceptable serait de donner seulement un billet à toutes les équipes exclues des séries.

Des places déterminées d’avance

De 2013 à 2016, les 76ers de Philadelphie (47-199) ont visité les profondeurs de la fosse des Mariannes. De cette plongée intentionnelle, une idée a émergé : la ligue pourrait déterminer d’avance toutes les positions du repêchage pour les 30 prochaines années. Pendant la période, chaque équipe hériterait d’un premier choix au total. Une méthode très efficace pour enrayer le tanking. Mais ça ne réglerait pas le problème de compétitivité. Une équipe en déclin pourrait devoir attendre des années avant de mettre la main sur un bon joueur.

Autonomie complète après trois ans

Elle n’éliminerait pas le tanking, mais elle en réduirait l’efficacité. À 21 ans, Connor McDavid, Jack Eichel et Mitch Marner auraient déjà pu quitter les Oilers, les Sabres et les Maple Leafs, sans compensation. Ça ne laisse donc pas beaucoup de temps à une équipe faible pour refaire ses forces. Et honnêtement, c’est crève-cœur pour les fans qui commencent à peine à s’attacher aux jeunes espoirs.

Système de relégation

Les 16 meilleures équipes sont regroupées en première division (D1). Les 15 autres en deuxième division (D2). Au terme de la saison, les deux pires de la D1 sont reléguées en D2. Les deux meilleures de la D2 sont promues en D1. C’est le système en vigueur dans le soccer européen. Tous les matchs sont importants. Super ! Mais il y a un hic : la D2 génère beaucoup moins de revenus, notamment en droits télévisuels. Je doute que le hockey puisse survivre longtemps dans plusieurs marchés incapables de sortir de la D2. Surtout, je vois mal des villes comme Ottawa et Calgary financer de nouveaux arénas sans l’assurance que le club soit en D1.

Abolition du repêchage

La meilleure idée. Fini le tanking. Maintenant, comment permettre aux équipes d’embaucher les meilleurs espoirs ?

Le blogueur Travis Yost suggérait en 2015 que tous les joueurs profitent de l’autonomie complète à 18 ans. Concrètement, à date fixe, tous les ans, des milliers de hockeyeurs d’âge junior deviennent disponibles. Le Canadien peut embaucher ceux qu’il souhaite. La différence avec l’époque de Jean Béliveau ? Le plafond salarial. Exemple : si le Canadien donne 15 millions par saison à Alexis Lafrenière en 2020, il devra échanger des réguliers pour respecter la limite permise par la LNH.

Très intéressant. Il existe toutefois une formule plus équitable pour les équipes et qui a déjà fait ses preuves.

Vous l’avez lu tantôt, le baseball majeur a lui aussi un repêchage. Tous les joueurs nés aux États-Unis et au Canada y sont soumis. Mais pas ceux nés ailleurs, comme en République dominicaine et au Venezuela.

Chaque année, le 2 juillet, tous les joueurs internationaux de 16 ans deviennent joueurs autonomes. Ils peuvent signer un contrat avec l’équipe de leur choix. La différence avec la proposition de Travis Yost, c’est que pour cet encan, les équipes sont limitées dans leurs dépenses. Chacune a droit à 4,75 millions US (les franchises des petits marchés peuvent toucher jusqu’à un million de plus pour faciliter le recrutement). Les clubs qui ne respectent pas certaines règles éthiques (maraudage, cadeaux) peuvent voir leur masse amputée.

J’adore. Imaginez un tel scénario appliqué à la LNH. Tous les joueurs juniors au monde deviendraient libres à 18 ans. Le Canadien pourrait choisir d’investir toute sa cagnotte sur un seul espoir, ou la répartir entre plusieurs. Les joueurs feraient face à des choix difficiles : accepter un plus gros salaire dans un petit marché, ou moins d’argent pour porter l’uniforme de leur équipe préférée. De nouvelles stratégies émergeraient. Les meilleurs DG se démarqueraient. Les meilleurs recruteurs seraient récompensés.

C’est une solution radicale, j’en conviens. Mais elle a le mérite de s’attaquer à un problème grandissant qui menace l’intégrité du sport. Pour reprendre les mots de Scott Boras : « Perdre pendant trois ou quatre ans pour obtenir des meilleurs choix, ce n’est pas une raison pour aller au stade… »

Appel à tous

Vous avez une autre solution pour éliminer le tanking ? Je suis curieux de la connaître. Écrivez-moi à apratt@lapresse.ca.

Payant, le repêchage ?

Depuis 20 ans, quelques équipes ont pu repêcher les meilleurs espoirs plusieurs années de suite. Certaines ont pratiqué la méthode du tanking. D’autres étaient simplement médiocres. Survol des résultats.

Quatre succès

Cubs de Chicago

Repêchés

Javier Baez (9e, 2011)

Albert Almora (6e, 2012)

Kris Bryant (2e, 2013)

Kyle Schwarber (4e, 2014)

Résultat 

À partir de 2011, les Cubs se sont mis en mode tanking. Ça s’est avéré payant : les quatre joueurs ont eu un rôle déterminant dans la conquête de la Série mondiale en 2016.

Astros de Houston

Repêchés

George Springer (11e, 2011)

Carlos Correa (1er, 2012)

Mark Appel (1er, 2013)

Brady Aiken (1er, 2014)

Alex Bregman (2e, 2016)

Résultat 

Springer, Correa et Bregman ont permis aux Astros de gagner la Série mondiale en 2017. Mais Appel n’a jamais joué dans les majeures, et Aiken n’a pas signé de contrat. Deux saisons de tanking qui auraient été entièrement perdues si les Astros n’avaient pas obtenu Bregman avec un choix compensatoire pour la perte d’Aiken.

Penguins de Pittsburgh

Repêchés

Ryan Whitney (5e, 2002)

Marc-André Fleury (1er, 2003)

Evgeni Malkin (2e, 2004)

Sidney Crosby (1er, 2005)

Jordan Staal (2e, 2006)

Résultat 

Pas un cas classique de tanking, car les Penguins ont gagné la loterie spéciale suivant le lock-out, ce qui leur a permis de repêcher Sidney Crosby. Depuis, l’équipe a gagné trois Coupes Stanley (2009, 2016, 2017).

Royals de Kansas City

Repêchés 

Alex Gordon (2e, 2005)

Luke Hochevar (1er, 2006)

Mike Moustakas (2e, 2007)

Eric Hosmer (3e, 2008)

Résultat 

Les quatre joueurs étaient dans la formation qui a remporté la Série mondiale en 2015.

Quatre échecs

Thrashers d’Atlanta

Repêchés 

Patrick Stefan (1er, 1999)

Dany Heatley (2e, 2000)

Ilya Kovalchuk (1er, 2001)

Kari Lehtonen (2e, 2002)

Résultat 

Seulement quatre matchs des séries lors des neuf saisons suivantes. Les partisans ont abandonné l’équipe. En 2011, les Thrashers ont déménagé à Winnipeg.

Nationals de Washington

Repêchés 

Ross Detwiler (6e, 2007)

Aaron Crow (9e, 2008)

Drew Storen (10e, 2009)

Stephen Strasburg (1er, 2010)

Bryce Harper (1er, 2011)

Anthony Rendon (6e, 2012)

Résultat 

Les Nationals ont très bien repêché, mettant la main sur trois joueurs étoiles. Malgré tout, ce groupe n’a participé aux séries que deux fois, sans jamais atteindre les demi-finales.

Expos de Montréal

Repêchés 

Josh Girdley (6e, 1999)

Justin Wayne (5e, 2000)

Josh Karp (6e, 2001)

Clint Everts (5e, 2002)

Résultat 

Vous les connaissez ? Nous non plus. De 1993 à 2003, les Expos ont repêché six fois parmi les six premiers, sans jamais participer aux séries.

Oilers d’Edmonton

Repêchés 

Taylor Hall (1er, 2010)

Ryan Nugent-Hopkins (1er, 2011)

Nail Yakupov (1er, 2012)

Darnell Nurse (7e, 2013)

Leon Draisaitl (3e, 2014)

Connor McDavid (1er, 2015)

Jesse Puljujarvi (4e, 2016)

Résultat 

Deux rondes des séries en 2017. C’est tout.

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