Il faut abolir le repêchage
L’hiver dernier, le propriétaire des Mavericks de Dallas a convoqué quelques joueurs pour un souper. Un cas de « faut qu’on se parle ». À Noël, l’équipe occupait le dernier rang de l’Association de l’Ouest de la NBA.
Il ne les a pas semoncés. Il n’a pas cassé d’assiette non plus. Il leur a franchement suggéré de continuer à perdre. Ses mots exacts : « La défaite est notre meilleure option. »
Choquant ? Assurément.
Antisportif ? Tout à fait.
La NBA l’a mis à l’amende. Bravo. L’incident a démontré ce que plusieurs propriétaires et directeurs généraux se disent à micros fermés. Tant qu’à patauger dans le milieu du classement, aussi bien couler. Au plus profond du plus profond. Y rester longtemps. Puis remonter à la surface après cinq ans avec une ribambelle de premiers choix au repêchage.
Cette stratégie s’appelle le tanking. Vous n’entendrez jamais ce mot dans la bouche d’un dirigeant. C’est comme Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom dans les romans Harry Potter. Les DG préfèrent employer des termes d’ingénierie, comme « processus » ou « restructuration ». Ça fait chic, c’est recherché, mais ce n’est qu’un effet de toge. L’intention est la même : ne rien faire pour améliorer son équipe et la laisser perdre pour augmenter ses chances d’obtenir le meilleur espoir du repêchage.
La gangrène sévit depuis plusieurs années dans la NBA et le baseball majeur. Elle commence à bouffer de l’intérieur la LNH.
« C’est un cancer », a plaidé récemment l’agent le plus influent du baseball, Scott Boras.
Toutes les ligues cherchent à enrayer l’épidémie.
Un traitement-choc existe.
Abolir le repêchage.
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D’abord, un peu d’histoire. Le repêchage n’a pas toujours existé. Avant, c’était simple : les clubs offraient un contrat à n’importe qui, sans restriction. Voilà pourquoi Jacques Plante, Henri Richard et Jean Béliveau ont pu porter le chandail tricolore même si le Canadien était déjà la superpuissance de la ligue.
C’était le système idéal pour les équipes championnes, comme le Canadien, qui attiraient tous les meilleurs joueurs. Mais vous aurez deviné qu’ailleurs, ça grinçait. Une ligue déséquilibrée, c’est une ligue morte. Les spectateurs s’ennuient. Les commanditaires partent. Les réseaux de télévision et les stations de radio ne voient pas l’intérêt de présenter des matchs à sens unique. Pensez à la dernière saison de la Ligue de football universitaire du Québec.
En 1963, la LNH a donc instauré un repêchage afin – je cite le commissaire Clarence Campbell – de « donner la même opportunité à toutes les équipes d’acquérir un joueur étoile ». Pendant des décennies, le système a bien fonctionné. Souvenez-vous des années 80, alors que 16 des 21 clubs participaient aux séries. L’équipe qui repêchait au premier rang avait une réelle chance de rattraper le peloton dès l’hiver suivant.
Sauf qu’il y a maintenant 31 clubs. Les chances pour un club de la LNH de participer aux séries sont passées de 76 % à 52 %. Un nouveau joueur – aussi dominant soit-il – ne suffit plus pour sortir de la cave. La preuve : Connor McDavid avec les Oilers. Non, ça en prend une demi-douzaine. Dans le jeu vidéo NHL 19, en mode recrue, c’est très facile à trouver. Dans la vraie vie, avec le plafond salarial qui limite les transactions, c’est plus compliqué.
Depuis quelques années, tout le monde fouille. Les DG sont comme ces chercheurs d’or qui passent le tamis dans la rivière Klondike. Quand l’un d’entre eux découvre une pépite, tous les autres le suivent. Alors quand les Cubs et les Astros ont remporté la Série mondiale après avoir testé le tanking (voir autre texte), c’est devenu l’idée à la mode. L’agent Scott Boras estimait l’année dernière que 12 des 30 équipes du baseball majeur ne font aucun effort pour gagner. C’est désespérant. Prenez le temps de digérer cette statistique entre deux gorgées de café : c’est 40 % de la ligue qui se bat pour la dernière place !
Le pire, c’est que scientifiquement, le tanking semble inefficace. Quatre chercheurs américains ont décortiqué la stratégie dans la NBA. L’étude est parue en 2016 dans The Journal of Sports Economics. Leur conclusion : « Les franchises qui obtiennent de bons choix après des saisons médiocres ne profitent pas d’un avantage. » Et « contrairement à la croyance populaire, ajoutent-ils, les joueurs récemment repêchés au début de la première ronde ont peu d’impact » à court et moyen terme. C’est surtout vrai des joueurs repêchés aux positions 4-10 et 14-17. Les auteurs sont affirmatifs : rien ne remplace un bon DG.
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Revenons à la LNH. Ils ne l’admettront pas, mais les Red Wings et les Coyotes cochent toutes les cases d’une franchise en mode tanking. Les Blackhawks, les Rangers et les Kings ont conservé des joueurs importants avec de gros contrats, mais ils ne posent aucun geste pour s’améliorer. Les Sénateurs sont juste durs à suivre.
Le Canadien ? Même dans les pires moments l’hiver dernier, le propriétaire Geoff Molson a refusé d’envisager cette option, m’assure- t-on. D’abord, il est convaincu qu’avec Carey Price et Shea Weber en santé, l’équipe peut participer aux séries. Ensuite, le marché montréalais est très sensible aux performances. Les dirigeants du Canadien le savent, ils voient comme nous les Alouettes tomber de haut. Ils n’oublient pas non plus qu’avant le lock-out de 2004, l’équipe était incapable de remplir l’aréna après trois saisons sans séries éliminatoires.
Ça n’empêche pas des partisans du Tricolore d’exiger que leur club s’autodétruise. Leur voix porte. Tellement qu’en décembre, le plus important forum de discussion à propos de l’équipe, Hockey Future, a banni tous les encouragements au tanking. « Bien que nous comprenions que certaines personnes souhaitent que l’équipe perde pour obtenir un choix élevé au repêchage, veuillez comprendre que la plupart des membres de ce forum viennent ici pour encourager leur club préféré », se sont justifiés les modérateurs.
Honnêtement, c’est décourageant. Ces soi-disant partisans seraient les premiers à dénoncer leur fournisseur de téléphone si celui-ci les empêchait de texter et diminuait ses données de moitié pendant six ans avec la promesse qu’à terme, le réseau serait amélioré.
Le temps est venu une fois pour toutes de cesser ce nivellement par le bas. Voici quelques pistes de solution pour la LNH.