Le projet est inconstitutionnel, renchérit la Cour d’appel

Pour la deuxième fois en six ans, la Cour d’appel du Québec sert un gros croc-en-jambe au gouvernement fédéral, qui souhaite instaurer un organisme pancanadien de réglementation des valeurs mobilières et des marchés boursiers. Dans un avis publié hier, en suivi d’une requête du gouvernement du Québec, la Cour d’appel indique que le nouveau projet fédéral d’une autorité canadienne des marchés financiers, même élaboré avec quelques provinces, demeure inconstitutionnel face à la compétence établie des provinces sur les valeurs mobilières.  

Quelle est la portée de cet avis par rapport au précédent ?

La fois précédente, en 2011, la Cour d’appel – et ensuite la Cour suprême – avait rejeté le projet d’alors du gouvernement fédéral d’établir une Commission nationale de valeurs mobilières, parce qu’il s’agissait d’une « intrusion fédérale » directe dans la compétence des provinces en cette matière.

Cette fois-ci, c’est la deuxième mouture du projet fédéral, un « régime coopératif » développé avec quelques provinces, dont l’Ontario et la Colombie-Britannique, que la Cour d’appel déclare aussi inconstitutionnel en fonction de la compétence des provinces.

« Ce qu’indique la Cour d’appel, c’est que ce nouvel amalgame de pouvoirs fédéraux et provinciaux de réglementation des marchés financiers ne suffit toujours pas à renier la juridiction des provinces », résume Stéphane Rousseau, directeur du Centre de droit des affaires et vice-doyen aux études supérieures à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

Pourquoi un autre avis de la Cour d’appel ?

C’est le gouvernement du Québec qui avait demandé à la Cour d’appel, à l’été 2015, de se pencher sur la constitutionnalité du nouveau projet fédéral, baptisé « régime coopératif de réglementation des marchés de capitaux », afin de le distinguer du précédent.

L’Ontario et la Colombie-Britannique ont soutenu ce projet fédéral dès le début, rejointes ensuite par trois autres provinces et le Yukon. Mais ce nouveau projet de « régime coopératif » n’a pas plu au Québec.

Selon le gouvernement Couillard, la proposition fédérale « nuirait au maintien de l’expertise québécoise dans le domaine des valeurs mobilières, un secteur névralgique pour notre économie ».

De plus, « l’actuel régime d’encadrement des valeurs mobilières harmonisé et collaboratif, mis en place par les provinces et les territoires, répond très bien aux objectifs de protection des investisseurs et de développement économique », a fait valoir le ministre des Finances Carlos Leitão lorsqu’il a formulé la demande d’avis à la Cour d’appel.

Quel impact sur cette deuxième version du projet fédéral ?

De l’avis d’analystes comme Stéphane Rousseau, du Centre de droit des affaires de l’UdeM, et Yvan Allaire, de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP), cet avis de la Cour d’appel du Québec est « à peu près certain » d’être porté en Cour suprême par le gouvernement fédéral et ses alliés de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.

Entre-temps, pour réduire leur risque d’un autre échec devant le plus haut tribunal au pays, les dirigeants de ce projet de régime coopératif de régulation des marchés financiers pourraient devoir « retourner à leur planche à dessin », estime M. Rousseau. L’objectif de mise en vigueur de ce régime coopératif, prévu en 2018, paraît très improbable.

Le régulateur en chef désigné pour ce projet, le Torontois Kevan Cowan, n’a pu être joint pour des commentaires, hier. Mais lors d’une entrevue avec La Presse en novembre dernier, alors que la Cour d’appel délibérait de la requête du Québec, M. Cowan avait dit « avoir bon espoir de bâtir un système [de réglementation] qui sera si efficace que le Québec et les autres provinces non participantes diront : nous voulons faire partie de ce système, car c’est mieux pour les marchés des capitaux ».

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