Attentas à Paris  Chronique

Les victimes collatérales

Il a suffi d’un seul passeport syrien trouvé près du Stade de France, vendredi, pour justifier une vague de repli face aux centaines de milliers de réfugiés à la recherche d’un asile en Europe.

La Pologne, qui s’était engagée à accueillir quelques milliers de réfugiés syriens, vient de revenir sur sa promesse. Et son futur responsable aux affaires européennes, Konrad Szymanski, a clairement lié cette décision à la vague de terreur sans précédent qui vient de frapper Paris.

Au Québec, une pétition s’opposant à l’accueil de 25 000 réfugiés syriens a recueilli 32 000 signatures en moins de deux jours.

Et même dans l’accueillante Allemagne, des voix discordantes se font entendre avec de plus en plus de force depuis vendredi. Dont celle du ministre des Finances de la Bavière, Markus Soder, selon qui les attentats de Paris sonnent la fin de la politique de l’immigration incontrôlée. « Depuis Paris, tout a changé », a-t-il clamé.

Devant l’horreur de ce massacre, le réflexe de peur est compréhensible. Mais de là à voir les réfugiés syriens comme des terroristes potentiels, il y a une marge. Voici quelques bonnes raisons pour ne pas la franchir.

Apparemment, le fameux passeport syrien trouvé sur l’un des lieux de la série d’attentats de vendredi est un faux. C’est du moins ce qu’a révélé ce week-end la ministre française de la Justice, Christiane Taubira.

Le cas échéant, appartenait-il vraiment à un des terroristes qui se sont fait exploser devant le stade ? Et si oui, qui sait si celui-ci ne l’a pas placé là exprès, dans le but précis de tourner l’opinion publique contre les réfugiés syriens ?

Ce ne serait pas étonnant. L’existence d’un trafic de passeports syriens, qui ouvrent la porte de l’Union européenne, a été largement documentée. Et puis, le groupe État islamique (EI) a souvent critiqué les réfugiés syriens, qu’il voit un peu comme des traîtres qui tournent le dos à son califat. Enfin, en bloquant l’accueil de centaines de milliers de désespérés, l’EI s’assure, à moyen terme, un potentiel bassin de nouvelles recrues.

En d’autres mots, l’EI a tout intérêt à faire monter la peur des réfugiés. Et en succombant à cette peur, nous faisons son jeu. Une fois de plus.

Autre facteur à considérer : l’EI n’a pas besoin d’envoyer des kamikazes en France, ou ailleurs en Europe. Il peut compter sur un bassin suffisant de djihadistes nés sur place et munis d’un passeport européen qui leur permet de se déplacer facilement.

Les auteurs des attentats contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher, en janvier dernier, étaient tous des citoyens français, nés en France, munis d’un passeport européen. Mehdi Nemmouche, principal suspect dans la tuerie du musée juif de Bruxelles, en mai 2014, est né en France, lui aussi.

Même chose pour les trois terroristes de vendredi dernier à avoir déjà été officiellement identifiés. Notamment Ismael Mostefai, un des kamikazes du Bataclan, qui présente un portrait-robot semblable à celui des tueurs de Charlie Hebdo. Petit délinquant qui s’est radicalisé après avoir rencontré un prêcheur extrémiste dans une mosquée, il a été repéré par les services de sécurité, mais est resté pour l’essentiel sous le radar. Jusqu’à ce terrible vendredi de novembre.

Je le répète : trois des sept terroristes de vendredi ont été identifiés jusqu’à maintenant. Ils étaient tous citoyens français. Et le passeport syrien trouvé devant le stade donne lieu à trop de conjectures, pour l’instant, pour que l’on puisse en tirer quelque conclusion que ce soit.

D’autres pistes sont plus prometteuses si on veut prévenir d’autres bains de sang. La « filière belge » semble avoir joué un rôle clé dans cette série d’attentats – mais aussi dans des massacres passés.

Une partie de l’arsenal des frères Kouachi avait été acheté en Belgique. La Belgique compte un nombre de djihadistes disproportionné si on tient compte de sa population. Sept personnes ont été interpelées depuis samedi en Belgique – notamment à Molenbeek, une des communes de Bruxelles, considérée comme un vivier de terrorisme.

Avant de s’en prendre aux réfugiés, peut-être faudrait-il se demander ce que font les services de renseignement belges ou français pour contrer la menace là où elle se trouve ?

« Ceux qui ont perpétré les attentats sont ceux que les réfugiés fuient, et non l’inverse », a rappelé le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Il ne faudrait pas perdre cette réalité de vue.

Finalement, la meilleure façon d’empêcher que des djihadistes ne s’infiltrent dans la foule de réfugiés, c’est encore de mettre fin au chaos qui sert actuellement de politique d’asile, écrit Peter Bouckaert, responsable des situations d’urgence pour Human Rights Watch. Et de mettre sur pied un système d’accueil cohérent, légal et sécuritaire.

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