ATTENTION CHIENS MÉCHANTS

Le pitbull, chien incompris ?

Athena, pitbull femelle de 8 ans, ne sera jamais donnée en adoption. Depuis trois ans, la chienne grise se promène librement dans les locaux de la SPCA de Montréal. Dès qu’on l’approche, elle roule nonchalamment sur le dos pour recevoir des caresses. Sauvée d’une usine à chiots – où elle enchaînait les portées –, la grande bête a été choisie par une employée qui l’adore.

Dans les cages, ce jour-là, cinq autres pitbulls attendent de trouver une famille. Dixie, une femelle tigrée de 4 ans, porte un foulard rose autour du cou. Placide, elle prend les biscuits avec une étonnante douceur.

Mais un carton accroché à la cage d’à côté prévient les visiteurs : « Approchez-moi doucement, je suis peureux. » Il a suffi d’un pas de travers pour que l’autre pitbull qui s’y trouvait se rue contre les barreaux en aboyant d’un air féroce.

« Il est nerveux, pas dangereux. Ce n’est pas naturel, cet environnement », affirme la porte-parole de l’organisme, Anita Kapuscinska, certaine qu’une bonne dose d’éducation et d’amour suffiront à radoucir le molosse.

Depuis quelques années, les refuges nord-américains font tout pour redorer l’image des pitbulls. Car bien des citoyens en ont trop peur pour les adopter ou vivent dans des localités où ils sont interdits. Résultat : les chiens de ce type peuvent rester plusieurs mois en cage et sont euthanasiés par centaines de milliers. Chaque année.

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Pour leur éviter le même sort, la SPCA de Montréal distribue un dépliant, Le pitbull, chien incompris, indiquant qu’il a été choisi par des célébrités comme Brad Pitt, Serena Williams ou Humphrey Bogart.

Aux États-Unis, des refuges vont jusqu’à solder leurs pitbulls à moitié prix. Ou à organiser des séances de « speed dating » pitbull/humain.

Les tout-petits sont les principales victimes des attaques. Mais, dans un nouveau livre pour enfants, Galunker, le héros est un pitbull de combat malgré lui, désemparé de susciter la haine.

« On ne peut pas trouver un meilleur chien que les pitbulls. Aucune donnée scientifique ne prouve qu’ils sont dangereux », justifie l’avocate Alanna Devine, directrice adjointe à la SPCA de Montréal.

L’Ordre et l’Association des vétérinaires du Québec sont aussi d’avis que la race ne prédit pas l’agressivité. Tandis que de nombreux groupes de propriétaires et d’éleveurs – comme RealPitbull, Bad Rap ou Pit Bull Rescue Central – ironisent : « Bien sûr que mon pitbull est dangereux, il vous léchera à mort ! »

PROPAGANDE ?

Horrifiée par ce discours, qu’elle qualifie de « propagande », l’Américaine Coleen Lynn, fondatrice de l’association de victimes DogsBite.org, prévient qu’il met le public en danger. Comme l’a fait l’industrie du tabac en cachant les méfaits de la cigarette.

Chaque jour, au moins un Nord-Américain est mutilé par un pitbull. Et un autre en meurt tous les 10 jours. Pour le calculer, DogsBite et le site Animal 24/7 répertorient toutes les attaques médiatisées. Pas besoin de chercher loin, elles pleuvent.

Et elles ne mettent pas toujours en scène des chiens de combat ou de gangs, au contraire, précise le fondateur d’Animal 24/7, Merritt Clifton. Des centaines de molosses avaient été bichonnés par leur famille depuis leur naissance. D’autres (environ 150 depuis 2010) avaient été adoptés dans des refuges, qui les jugeaient sûrs. Quelques exemples : 

• Joshua Philip Strother, 6 ans, tué par le chien que sa famille venait de sauver dans le cadre d’un blitz de « sensibilisation aux pitbulls ».

• Un nouveau-né tué par le pitbull de sa mère le 23 avril, parce qu’en toussant, la résidante de San Diego a fait sursauter le molosse endormi près d’eux.

MENSONGE

Au Nouveau-Mexique, un refuge a même dit à une cliente qu’elle sauvait un boxer nommé « Gardner », alors qu’il s’agissait en fait d’un pitbull croisé nommé « Danger ». Ce refuge a « laissé sciemment des dizaines de chiens dangereux retourner dans la communauté », dénoncent deux récents rapports d’enquête.

Plus de 40 % des employés de refuge sont prêts à mentir en indiquant la mauvaise race si un type de chien est restreint sur leur territoire, ont découvert des chercheurs en 2014 (1).

Dixie – l’un des chiens que la SPCA nous a présentés comme un pitbull – était justement qualifiée de « boxer croisé » sur le grand tableau et sur le site web PetFinder, qui montrent les animaux disponibles. « C’est juste une erreur ; c’est vraiment un pitbull, c’est ce qui est écrit dans notre système informatique », justifie Anita Kapuscinska.

« En cas de doute, on marque “pitbull” même si on n’est pas certains, pour éviter aux gens des problèmes avec la ville », assure son collègue Patrice Robert.

MAUVAISE SURPRISE

Le problème, c’est que le stress exacerbe souvent l’agressivité des chiens en cage. Qui montrent leur vrai tempérament seulement à la sortie du refuge, lorsqu’ils disposent d’un territoire et croisent des proies, explique en entrevue Katherine Houpt, professeure émérite à l’Université Cornell(2).

Même les refuges ne sont pas à l’abri. Contrairement à ce que nous a affirmé la SPCA de Montréal, La Presse a appris qu’en 2012, deux bénévoles de l’organisme ont été attaqués par un jeune pitbull, accueilli un mois plus tôt. La femme qui promenait le chien a été très profondément mordue à l'avant-bras, indique le rapport de police. Le chien était si dangereux qu’il a dû être euthanasié le jour même. Dans les refuges américains, un pitbull a traîné une employée par le pied, un autre a sauté dans la fourgonnette d’une bénévole pour attaquer des enfants, etc. Les patrons disent en général qu’ils n’avaient rien vu venir.

« C’était notre bébé, je ne sais pas ce qui l’a rendu méchant », a aussi déclaré Jeannie Nelson, de Memphis, que son molosse a mordue à l’abdomen alors qu’elle se préparait une collation le 31 décembre dernier.

Des dizaines de reportages se terminent de la même manière : « Je ne comprends pas. Notre pitbull ne s’était jamais montré agressif. »

BLÂMER LES VICTIMES

Depuis qu’il a perdu son garçon de 14 mois, tué par les deux pitbulls de sa gardienne, l’Américain Jeff Borchardt sonne l’alarme. « Avoir cru au mythe – ce n’est pas la race, c’est comment tu l’élèves –, c’est ce qui nous a enlevé notre fils », proclame-t-il.

Depuis trois ans, son combat lui vaut des insultes. Un fanatique a même décrété qu’il irait souiller la tombe de son enfant. « On dirait que certains ont subi un lavage de cerveau, déplore Bernard Biron, dont la fille de 8 ans a été défigurée à Brossard. Ma femme pleurait en lisant les commentaires sur l’internet. Des gens ont écrit : “Je suis sûr que la petite a provoqué le chien ; bien fait pour elle.”»

Après chaque drame, des radicaux font tout pour blanchir les chiens, confirme la fondatrice de DogsBite, Coleen Lynn. Ils diront : c’est parce que l’enfant avait un toutou dans les mains ; qu’il a crié trop fort, etc.

« On a parfois affaire à des maniaques des libertés individuelles, qui tiennent le même discours que les gens opposés au contrôle des armes à feu. »

Dans les Cantons-de-l’Est, un homme a plaidé que l’enfant de 5 ans mordu par son chow-chow n’aurait pas dû l’approcher, rapporte l’avocat de la victime, Marc Létourneau. « La Cour lui a rétorqué que laisser le chien enchaîné dehors, où les enfants y ont accès, relève de l’inconscience. On ne mettra quand même pas nos enfants en cage pour garder les chiens en liberté ! »

ÉPILOGUE

Trois des cinq pitbulls croisés par La Presse à la SPCA de Montréal ont été adoptés depuis mars et un se trouve en famille d’accueil. Le cinquième a été euthanasié. Sa dernière évaluation comportementale a montré que son attitude se dégradait. « Il était juste agressif avec les animaux, dit Anita Kapuscinska. Ça nous a brisé le cœur. »

Depuis 2015, au Canada, une quarantaine d’attaques ont été attribuées à des pitbulls. Le pays abrite au moins 100 000 chiens du genre. Il y en a 4 millions aux États-Unis.

1. « Is That Dog a Pit Bull ? », Journal of Applied Animal Welfare Science, 2014.

2. « Agressive Behavior in Adopted Dogs That Passed a Temperament Test », Applied Animal Behaviour Science, 2007

PAS JUSTE LE MAÎTRE

Référence québécoise en comportement canin, la Dre Diane Frank a évalué pour des municipalités la dangerosité de 44 chiens mordeurs. Seulement 5 n’étaient pas dangereux (dont 2 pitbulls sur 23) ; 7 autres étaient prédateurs et 32 anormaux.

« Certains chiens, peu importe la race, attaquent de façon pathologique parce qu’ils souffrent de maladie mentale. Ni l’éducation ni l’obéissance stricte ne suffisent à le prévenir », prévient la professeure de médecine vétérinaire.

« C’est très important d’arrêter de faire croire aux gens que tous les chiens sont gentils s’ils ont de bons maîtres », renchérit sa consœur Caroline Kilsdonk. L’éducation ne prévient pas tous les drames. « Certains chiens ont en eux des séquences de prédation, déclenchées de façon instinctive », rapporte la vétérinaire de Brossard. Et on n’a ni la preuve que les pitbulls sont surreprésentés dans cette catégorie ni la preuve qu’ils ne le sont pas.

Quand la Dre Frank questionne les maîtres, elle découvre souvent qu’« il y a eu des signes dont les gens n’ont pas fait de cas ». « Au parc canin, on a vu toutes sortes de chiens auxquels on était attachés devenir soudain des monstres vers un an et demi, confirme la peintre montréalaise Maryse Lapointe. Leurs maîtres continuaient de dire : “Il veut juste jouer.” C’est trop dur pour eux à accepter. »

— Marie-Claude Malboeuf, La Presse

POUR EN SAVOIR PLUS (en anglais)

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