Exposition
L’art pour réfléchir à l’actualité autrement
La Presse
Après le théâtre et la littérature, place aux arts visuels jeunesse. C’est du moins le défi que s’est donné le Centre de l’image contemporaine Vox, qui propose ces jours-ci une expo troublante d’actualité.
C’est un pur hasard, puisque l’artiste, Clément de Gaulejac, a commencé à travailler sur cette question il y a un an. N’empêche que le hasard est parfois dérangeant. Le vernissage de ses se déroulait précisément jeudi dernier, le jour même où la terrible photo incarnant le tragique destin des naufragés-réfugiés faisait le tour du monde.
« Je suis très troublé qu’on inaugure mon expo aujourd’hui, alors que c’est le sujet de l’actualité », dit Clément de Gaulejac.
L’artiste a pourtant amorcé sa réflexion l’an dernier, en discutant avec ses enfants (de 8 et 11 ans) des naufrages en Méditerranée. « Je trouvais qu’on n’en parlait pas assez… », laisse-t-il tomber.
Un an plus tard, voilà donc qu’on inaugure son exposition, pour aborder toutes ces questions de migration par le truchement d’une variation sur le mythe de la tour de Babel. Si vous vous demandiez comment expliquer à vos enfants la tragique actualité, voilà un moyen drôlement intéressant d’aborder la réflexion.
« Le mythe de Babel permet d’aborder la dramatique sans aborder de front la question des naufrages et de la migration. »
— Clément de Gaulejac
En abordant la question « de biais », précise-t-il, cela n’enlève rien au côté « crucial » du fond du sujet : « Parce qu’on ne peut pas prétendre à un projet universel comme la démocratie si on ferme toutes nos portes autour… Ça m’obsède. »
L’expo, qui s’adresse aux jeunes de 8 à 12 ans, s’amorce avec un préambule : le mythe de Babel, réactualisé par l’artiste. En quelques lignes, il raconte qu’un beau jour, des hommes ont décidé d’élever une tour, pour être vus de tous. Or voilà que d’autres hommes, apercevant la fameuse tour, ont été attirés. Les constructeurs, alarmés, y ont mis le feu, pour disperser les curieux. Ainsi commençait le naufrage, et naissaient les naufragés…
L’installation, une grande tour noire qui émet différents sons, entourée de personnages mi-hommes mi-véhicules, s’accompagne d’un carnet pour les familles, avec une série de jeux d’observation et d’énigmes, histoire d’amener les enfants à comprendre l’œuvre, la lire et l’interpréter. Où sont les constructeurs ? De quoi ont-ils peur ? Et les naufragés, combien y en a-t-il ?
L’activité, très pédagogique (on vise à développer le regard critique d’une œuvre, après tout), s’adresse également aux enseignants, pour qui une série d’activités préparatoires et de prolongement a été conçue.
Dans une seconde salle, des emblèmes tirés du livre de Clément de Gaulejac sont projetés sur un écran. Ici, l’auteur « embabelise » la langue, à la manière de Dieu dans le mythe, en confondant le visiteur, jouant avec les mots, les sens et les doubles sens.
« [Dans le mythe], Dieu intervient dans le projet en éparpillant et embrouillant le langage des hommes. Moi, je travaille beaucoup sur le langage, à ma manière, en considérant les mots comme des objets. »
— Clément de Gaulejac, artiste
Les jeux d’association font ici souvent référence à la mythologie. Des métaphores sont ainsi prises au pied de la lettre et mélangent le sens propre et figuré. D’où la question : à quoi sert le langage ? À mieux se comprendre ?
« C’est une tentative de parler aux enfants du monde dans lequel ils vivent, conclut Clément de Gaulejac. De leur formuler des problématiques politiques. Je n’essaye pas de les résoudre, je suis un artiste, mais l’art peut être un lieu où les questions se posent de manière différente. Parce que les artistes contribuent à penser la société. »
, Centre Vox, 8-12 ans, jusqu’au 5 décembre. Gratuit.
Tous les samedis, de 10 à 16h, le Centre Vox propose un atelier de création sur le thème des naufragés pour les familles. On pourra entre autres s’amuser à réaliser une expression illustrée (à la manière du fameux jeu Pictionary) ou un emblème contemporain.