Pointe d’humour

La cruauté d’être parent

Je me souviens qu’à la première seconde où on m’a mis mon premier enfant dans les bras, j’ai découvert en un instant toute la peur du monde. Il était bleu. Pas fort, fort. Fatigué. Épuisé même, par sa petite naissance. « Le papa, vous venez avec moi », a dit la docteure. Ils ont tous quitté la pièce. Et je suis restée attachée par des tubes, paralysée de la taille aux pieds, ouverte comme un animal, sans la progéniture que je venais d’expulser.

Où est-il ? Où vont-ils ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

L’accouchement est fini. Le soulagement est extraterrestre, mais que se passe-t-il ? Toute seule, j’affrontais la pire minute de ma vie. Une infirmière, debout à côté du lit, remplissait machinalement des papiers pendant que je hurlais ma vie comme la mère d’Ovila Pronovost qui tente de faire naître son dernier qui ne survivra pas.

Le mien vivrait. Il est bien là. À l’école, pendant que j’écris ces lignes.

Être parent est cruel. Je l’ai compris ce matin-là, quand il est finalement revenu après une bonne dose d’oxygène, et j’ai découvert l’ampleur. L’ampleur de l’énormité indescriptible qu’est l’amour que l’on ressent pour nos enfants.

« Et donc… Vous voulez que je sorte dehors avec ça dans mes bras ? Tout l’amour du monde contenu dans ce petit être nu avec une tuque ? Ça me paraît déraisonnable. »

Je me souviens que dans les jours qui ont suivi, je vous regardais, tous, les étrangers dans la rue, et je me demandais : « Mais comment peut-on vivre dans un monde si chaotique si l’on aime tous à ce point nos enfants ? »

Seize. Ils étaient seize à bord de cet autobus de la Saskatchewan qui ne reverraient plus leurs parents. Je regarde le téléjournal et je vois ces mères pliées en deux et je me dis : les femmes font la même tête quand elles accouchent d’un enfant que quand elles en perdent.

Être parent est cruel. Tu brosses les dents. Tu lis les histoires. T’alignes les petites chaussures. Tu les disciplines comme tu peux. Tu donnes tout ce que t’as. Et puis, un jour, plus rien. Soit ils partent, soit tu les perds.

Tel est le terrible contrat que nous remplissons tous.

Et pourtant, tu dois garder espoir. Les élever en espérant que le monde les laissera vivre. Quand mon premier avait quelques mois, je me disais un jour en l’allaitant : « Peut-être que je ne lui apprendrai pas à marcher, comme ça, il ne lui arrivera rien. »

Ce n’est pas infaillible comme plan.

Alors, bien sûr, tu ne peux que les aimer. Chaque jour, comme tu peux. Te résigner au fait que quelque part, ils ne sont pas à toi. Qu’ils ont une vie à eux. Un destin d’humain. Que tu ne contrôles pas.

Alors tu les aimes chaque jour comme au premier jour, la peur au ventre, mais heureux de les connaître.

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