TECHNOLOGIE

La sexualité de demain

Faire l’amour à distance, dans une combinaison qui permet de ressentir le toucher de l’autre. Ou carrément avec un robot. Passer un test génétique en cas de contact avec un autre humain, pour s’assurer de la compatibilité. L’avenir de la sexualité est troublant.

UN DOSSIER DE MARIE ALLARD

TECHNOLOGIE

Robots et réalité virtuelle dans la chambre à coucher

C’est troublant. Sur la table, un café, des croissants, du jus d’orange. Et devant nous, une jeune femme rousse, qui enlève son peignoir en nous regardant droit dans les yeux. En étirant le bras, on jurerait presque qu’on peut toucher sa peau.

Regarder autour de soi permet de réaliser qu’on est dans une cuisine inconnue. Avec la fille, qui est maintenant nue. Pour en prendre congé, nul besoin de chercher la porte. Il suffit d’enlever son casque de réalité virtuelle.

La jeune femme rousse apparaît dans Good Morning, une production pornographique en trois dimensions dont La Presse a pu voir un extrait, dans le cadre de ce reportage sur l’avenir de la sexualité. « Le futur du porno est aussi le futur du sexe en général », a assuré Brian Shuster, fondateur du réseau social virtuel pour adultes Red Light Center, au festival américain South by Southwest, en 2014, tel que rapporté par Le Monde. M. Shuster y sera de retour le 16 mars, pour parler de l’impact de la réalité virtuelle sur le divertissement dit adulte.

« C’est fascinant de dresser le portrait de ce qui s’en vient en sexualité, avec la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle et la porno en trois dimensions, confirme Sara Mathieu-Chartier, candidate au doctorat en psychopédagogie à l’Université de Montréal, spécialisée dans l’utilisation des jeux vidéo à des fins d’éducation à la sexualité. On a presque du mal à y croire. »

DANS UN MAGASIN PRÈS DE CHEZ VOUS

Déjà, pour 139,99 $, on peut obtenir chez Best Buy un casque de réalité virtuelle VR de Samsung, compatible avec un simple téléphone intelligent. Le fameux casque d’Oculus Rift, entreprise achetée au coût de 2 milliards US par Facebook en 2014, est quant à lui attendu en mars ou avril. Aussi bien dire demain. Ces casques – qui ressemblent à des lunettes de ski – immergent leurs utilisateurs dans divers univers en 3D, allant d’un joli aquarium à une scène de sexe à plusieurs partenaires. Le tout, à leurs risques et périls.

« Après ma première expérience de porno en réalité virtuelle, je suis rentré chez moi avec un drôle de sentiment, se rappelle un homme qui a accepté de témoigner anonymement. J’avais un souvenir, comme si j’avais vraiment vécu quelque chose avec quelqu’un. »

« Quand la fille te regarde dans les yeux, c’est physiologique, tu ressens quelque chose, une émotion. Tu ne ressens pas ça en regardant un écran de télévision. »

— Un homme qui a requis l’anonymat, à propos de la pornographie en réalité virtuelle

ROBOTS SEXUELS

Bientôt, on pourra « vivre » ces films pornos en 3D vêtus de combinaisons « haptiques », comme celle que prépare Teslasuit. L’avantage ? Elles permettent de toucher et de se sentir touché, voire de simuler des textures ou des variations de température.

Parallèlement, on observe « beaucoup de développement de jouets sexuels qu’on peut activer à distance », précise Mme Mathieu-Chartier. Certains sont déjà offerts en ligne, « d’autres ne sont que des projets présentés sur la plateforme de financement Kickstarter, mais ça s’en vient », ajoute-t-elle.

La ligne sera mince entre faire l’amour bardé de la sorte – avec son conjoint, une rencontre d’un soir ou un avatar – et coucher carrément avec un robot. En 2025, « les partenaires sexuels robotiques seront communs », selon un rapport du Pew Research Center publié en 2014 (Predictions for the State of A.I. and Robotics in 2025).

Realbotix, un projet qui vise à doter une créature de silicone grandeur nature d’intelligence artificielle (pensez à un croisement entre une Barbie, une poupée gonflable et l’application Siri), doit voir le jour en 2016. Sa commercialisation est prévue pour 2017.

LE TIERS DES 18 À 34 ANS SONT INTÉRESSÉS

Que faut-il penser de tout ça ? Le tiers des 18 à 34 ans seraient « intéressés à faire l’amour virtuellement, grâce à de nouvelles technologies plus perfectionnées que celles qui existent aujourd’hui (casque de réalité virtuelle, jouets sexuels contrôlés par un partenaire à distance, etc.) », d’après le sondage CROP préparé pour La Presse et fait du 14 au 18 janvier. L’envie est moins présente chez les 35 à 54 ans (13 %) et les 55 ans et plus (7 %).

L’avenir s’annonce radieux, a affirmé récemment Laura Berman, thérapeute sexuelle et professeure associée de psychiatrie à la Northwestern University, dans le Wall Street Journal. Les expériences sexuelles sans vrai contact – grâce aux nouvelles technologies ou en stimulant simplement les bonnes zones du cerveau – mettront fin à la transmission de maladies, à la stigmatisation, voire à la prostitution.

Pas si vite, réplique Kathleen Richardson, anthropologue à l’Université de Montfort en Grande-Bretagne et porte-parole de la Campagne contre les robots sexuels. « Les pédophiles, les violeurs, les gens qui ne peuvent tisser de liens humains ont besoin d’un traitement, pas de poupées », a-t-elle fait valoir dans The Guardian.

« Les questions éthiques et de confidentialité que ça pose, c’est majeur, observe Sara Mathieu-Chartier. Même en ce moment, l’utilisation de la webcam, de Snapchat ou de Facetime à des fins sexuelles n’est pas très protégée. Il est toujours possible de se faire pirater et que ces images soient mises en ligne. » Demain, le danger sera de se faire voler son avatar virtuel ou d’apprendre qu’un ex-partenaire a enregistré notre « chorégraphie sexuelle » et refuse de l’effacer de la mémoire de sa combinaison.

« Les gens sont curieux devant ce qui s’en vient, mais pas nécessairement au point d’en devenir des adeptes, nuance Mme Mathieu-Chartier. Ces outils ne seront pas accessibles à tous avant un bon bout de temps. Et il faut se rappeler que même si la technologie est très poussée, ça ne remplace pas le contact humain. »

TECHNOLOGIE

Le sexe du futur, tel qu’imaginé au cinéma

Depuis longtemps, la technologie au service de la sexualité des humains suscite l’intérêt. Trois extraits de films qui le prouvent.

— Marie Allard, La Presse

Le sexe du futur, tel qu’imaginé au cinéma

Elle (Her)

De Spike Jonze, 2013

En 2025, Joaquin Phoenix tombe amoureux de son assistante virtuelle. Il faut dire qu’elle a la voix de Scarlett Johansson…

Le sexe du futur, tel qu’imaginé au cinéma

Le Destructeur (Demolition Man)

De Marco Brambilla, 1993

Coiffés de casques qui communiquent directement avec leur cerveau, Sylvester Stallone et Sandra Bullock font l’amour sans se toucher dans ce film campé en 2032.

Le sexe du futur, tel qu’imaginé au cinéma

Woody et les robots (Sleeper)

De Woody Allen, 1973

C’est dans l’Orgasmatron que jouissent les humains de 2173, selon ce que prévoyait Woody Allen 200 ans plus tôt. À ne pas confondre avec votre chauffe-eau.

TECHNOLOGIE

Tester la compatibilité des couples en laboratoire

Pour 149 $US, l’entreprise torontoise Instant Chemistry propose d’évaluer en laboratoire le degré de compatibilité des couples, à l’aide d’échantillons de salive et de tests psychologiques. La Presse a joint Sara Seabrooke, détentrice d’un doctorat en génétique et neuroscience de l’Université de Toronto et cofondatrice d’Instant Chemistry, pour parler de ce service matrimonial futuriste.

Que testez-vous exactement ?

Notre test comporte trois éléments. Il y a l’évaluation de la compatibilité biologique, qui s’attarde aux antigènes des leucocytes humains (HLA). Ce sont les gènes de notre système immunitaire qui contribuent à l’attraction physique entre deux personnes. Nous étudions ensuite la neurocompatibilité, en nous penchant sur les gènes liés à la sérotonine, à l’ocytocine et à la dopamine. Enfin, nous proposons un test psychologique. Il permet d’établir le type de personnalité des partenaires, quels sont leurs points forts, les potentielles zones de conflits et comment les gérer.

Pouvez-vous donner un exemple plus précis de ce que vous testez ?

Prenons le transporteur de sérotonine. La version que vous avez a un impact sur la façon dont la sérotonine touche votre comportement. Si vous avez ce qu’on appelle la version courte du transporteur, vous êtes plus susceptible de réagir très fortement aux situations, qu’elles soient positives ou négatives.

Une recherche effectuée sur des couples mariés depuis 13 ans a démontré que lorsque les deux membres du couple ont la version courte de ce transporteur, la satisfaction qu’ils retirent de leur relation diminue. Quand les choses vont bien, elles vont vraiment bien. Mais quand elles vont mal, elles vont vraiment mal. Et après une longue période, ce qui va mal finit par l’emporter sur ce qui va bien.

Évidemment, on ne peut changer de transporteur…

Non, bien sûr. Mais la génétique, ce n’est pas tout ce qui entre en jeu dans une relation. Si vous savez que vous avez tous les deux des transporteurs courts, vous pouvez être conscients du fait que vous risquez de réagir très fortement lors d’une situation négative. Vous pouvez essayer de prendre du recul, puisque ça peut avoir un impact sur votre relation.

Combien de couples ont passé votre test ?

Environ 120 couples, en un an et demi.

Votre mari (Ron Gonzalez, cofondateur d’Instant Chemistry et détenteur d’un doctorat en neuroscience de l’Université York) et vous avez été évalués ?

Oh oui, nous avons été parmi les premiers. Nous avons eu des résultats dans la moyenne, avec une note globale de 76 %. Je comprends maintenant mieux pourquoi mon mari agit comme il le fait, sachant que ses variantes génétiques particulières y contribuent. J’ai une meilleure compréhension de la façon dont notre relation fonctionne.

Que répondez-vous aux scientifiques qui disent de ne pas gaspiller d’argent dans ce genre de test ?

Ça fait 20 ans qu’on fait ces études. Ç’a été fait dans un bon nombre de laboratoires universitaires, du monde entier. Si nous attendons qu’un chercheur universitaire juge que les résultats sont prêts à être mis à la disposition de la population, ça ne se fera jamais.

Note : les réponses ont été éditées et traduites de l’anglais.

Gros bémols

« Ces tests – similaires aux tests de santé de base vendus par 23andMe – ont peu de valeur scientifique », tranche Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique et professeur agrégé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« C’est à peu près aussi utile que de savoir que je suis en partie viking à partir du site Ancestry.com et de 23andMe, illustre le bioéthicien. Une affirmation faite à partir de données épidémiologiques incroyablement faibles. »

Le lien entre l’attirance physique et les antigènes des leucocytes humains (HLA) « a déjà été soulevé par les scientifiques », reconnaît Mélanie Dieudé, chercheuse au Centre de recherche du CHUM à Montréal. « Des études chez l’animal ont démontré que ces molécules sont une source d’odeurs qui influencent, entre autres, la reconnaissance des individus, les comportements de nidification et le choix de partenaire », précise-t-elle.

Une étude publiée en 2002 dans Nature Genetics a rapporté que « chez l’humain, l’attirance physique d’une femme peut être influencée par les odeurs dérivées des HLA hérités de son père, ajoute l’immunologiste. Cependant, ces molécules ont le potentiel de générer des millions de combinaisons possibles. »

L’AMOUR, CET INCONNU

Instant Chemistry affirme tester six gènes associés à l’attirance physique et au succès relationnel, ce qui étonne Mme Dieudé. « À ma connaissance, aucun polymorphisme HLA n’a été identifié comme tel », indique-t-elle.

De plus, « les chercheurs s’accordent pour dire que les effets de ces odeurs sont fortement modifiés par des facteurs psychologiques et d’interaction sociale, souligne Mme Dieudé. Heureusement, il reste encore beaucoup beaucoup de magie et d’inconnus dans la détermination des facteurs qui déterminent l’attirance physique ».

Technologie

Ils ont testé leur compatibilité

Ils ont 25 ans et sont amoureux depuis plus de deux ans. Jessica Tavares et Tchekhov Saint-Fleur ont accepté de passer le test de « compatibilité de couple » d’Instant Chemistry, pour La Presse. « Nous pensons avoir un bon résultat, car nous avons beaucoup de complicité et nous pensons être assez complémentaires », a prédit Jessica.

Tous deux ont fourni un échantillon de salive – expédié à Toronto – et rempli un questionnaire psychologique en ligne. Le verdict ? Il a été « scientifiquement déterminé » que Jessica et Tchekhov ont un « score de compatibilité » de 76 %, selon un certificat remis par Instant Chemistry. « Ce n’est pas mal ! », s’est réjouie Jessica.

Deux « Love Manuals » personnalisés de 27 pages (offerts uniquement en anglais) ont été remis aux tourtereaux. La première partie dresse le portrait psychologique de chacun, tandis que la seconde s’attarde plus en détail à la relation, en donnant quelques conseils.

ATTIRÉS L’UN VERS L’AUTRE

Bonne nouvelle, la « biocompatibilité » de Jessica et de Tchekhov, soit la mesure de l’attraction physique de l’un envers l’autre, est fixée à 83 % – c’est nettement plus élevé que la moyenne. « La plupart des couples qui durent ont une compatibilité biologique autour de 80 % », précise Instant Chemistry.

Leur compatibilité psychologique est de 75 % – encore là, c’est plus que la moyenne de 63 %. Jessica est « très ouverte et sociale », tandis que son partenaire l’est un peu moins. « Mais l’écart entre vous n’est pas grand », indique Instant Chemistry. Seule leur compatibilité neurologique est plus basse (70 %, contre une moyenne de 75 %).

« J’ai trouvé intéressante l’idée de passer ce test avec ma compagne, a témoigné Tchekhov. Je ne pense pas que ça aura un impact dans ma vie de couple, mais c’est quand même bien de savoir que je suis compatible avec elle. Je crois sincèrement que ça intéresserait beaucoup les gens qui doutent de leur relation. »

« Ce sera bien de parler des rapports, ça peut nous aider à améliorer certaines choses, a dit Jessica. Moi, j’ai l’impression qu’on est vraiment sur la même longueur d’onde. En fait, je me demande à quel point ces résultats s’appliquent à la vie de tous les jours… »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.