Éditorial

Le pays des gros chars

Plus grand producteur mondial de sirop d’érable. Plus long littoral de la planète. Meilleure nation de hockey, peut-être. Il y a peu de domaines où le Canada peut se targuer d’être numéro un mondial. Or, le pays occupe une première place méconnue qui n’a rien de glorieux.

Nous conduisons les véhicules les plus polluants du globe.

L’Agence internationale de l’énergie a calculé les émissions des véhicules que conduisent les habitants de 53 pays. Avec une moyenne de 206 grammes de CO2 par kilomètre, ceux des Canadiens remportent la palme mondiale. Ils émettent 4 % de plus que ceux des Américains, 63 % de plus que ceux des Français et 73 % de plus que ceux des Portugais, les champions des véhicules écoénergétiques.

La cause de cette première place ? Notre engouement sans cesse croissant pour les VUS et les camionnettes.

En 2017, 61 % des nouveaux véhicules neufs vendus au pays entraient dans ces catégories. Ce pourcentage a doublé depuis 2005 et est le plus élevé du monde.

Cette fois, on ne pourra pas blâmer les Albertains pour cette mauvaise note environnementale. La croissance des ventes de camions touche toutes les provinces, y compris le Québec. L’an dernier, le véhicule neuf le plus vendu au Québec était le Ford Série F. Au moment où le Québec est en froid avec l’Alberta parce qu’il refuse que le pétrole de l’Ouest canadien passe sur son territoire, avouons que cela nous place dans une position gênante.

On pourra trouver toutes sortes de justifications au fait que nous vivons maintenant dans le royaume mondial du camion. Dire que nos routes sont longues et crevassées. Qu’il faut de l’espace pour transporter l’équipement de hockey des enfants. Que, même à Montréal, seul un véhicule haut muni d’une traction intégrale peut franchir les bancs de neige.

L’idée n’est pas de faire la morale à quiconque. Il est vrai que les VUS et les camionnettes peuvent être pratiques dans certains contextes, et les citoyens font les choix qu’ils jugent les meilleurs pour eux. Mais il faut rappeler que ces choix individuels ont des impacts collectifs. Et se demander franchement si nos justifications ne sont pas souvent des prétextes servant à cacher un désir de suivre une mode.

Alors que les changements climatiques sont mentionnés comme l’enjeu principal des prochaines élections fédérales par une part importante des Canadiens, et en particulier des Québécois, il y a aussi là une contradiction. En matière d’environnement, on le sait, il est plus facile d’exiger des actions des autres, y compris des gouvernements, que de se questionner sur ses propres choix.

Le transport compte pour 43 % des émissions de GES au Québec. En mettant de plus en plus de véhicules de plus en plus gros et énergivores sur nos routes, on plombe complètement nos chances d’atteindre nos cibles de réduction.

Le Canada est par ailleurs l’un des rares pays où les émissions par véhicule sont en hausse.

Nos gouvernements imposent en effet aux constructeurs d’améliorer constamment l’efficacité énergétique de leurs véhicules. La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, a d’ailleurs posé un geste significatif, il y a deux semaines, en s’alliant à la Californie pour s’opposer à l’administration Trump qui veut assouplir ces normes. Mais en achetant sans cesse des véhicules plus gros, les Canadiens annulent complètement ces avancées technologiques. Ces choix sont alimentés par le bas prix de l’essence (lorsqu’on le compare à d’autres pays), la publicité et les bas taux d’intérêt, qui encouragent les consommateurs à s’endetter pour obtenir des véhicules plus costauds.

Que faire ? Taxer davantage l’essence et les gros véhicules est la solution qui vient immédiatement à l’esprit. En Norvège, par exemple, un système de pénalités et d’incitatifs a fait en sorte que la moitié des nouveaux véhicules vendus sont électriques. Mais si le prix est le seul signal de changement, il faudra s’accrocher. L’expert en énergie Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, observe que le litre d’essence coûte environ 50 cents de plus en Europe qu’ici. Il calcule que c’est l’équivalent d’une taxe sur le carbone de 215 $ la tonne… alors qu’elle est actuellement ici de 22 $ la tonne. Tout ça pour une réduction des émissions d’environ 37 % par kilomètre (si on compare la France avec le Canada). Quand on voit l’ampleur de l’opposition à la taxe carbone proposée par les libéraux de Justin Trudeau, auquel le gouvernement du Québec vient de se joindre, on comprend qu’on n’est pas sortis du bois.

Au-delà des prix, il faudra donc aussi que les mentalités évoluent. Au cours des dernières années, des prises de conscience significatives – sur le plastique à usage unique, la collecte des matières organiques et les aliments qui peuvent remplacer la viande, par exemple – se sont produites au Québec. Ne reste qu'à espérer que cet état d’esprit finisse par se refléter dans les salles d’exposition des concessionnaires automobiles. Se regarder dans le miroir et réaliser que nous sommes le cancre mondial des émissions de CO2 par kilomètre parcouru est sans doute la première étape de la thérapie collective visant à vaincre notre dépendance aux VUS.

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