Michèle Ouimet

Enfourcher les peurs

Le deuxième roman de Michèle Ouimet, L’heure mauve, se déroule dans une résidence pour personnes âgées. Un livre choral pour dépasser les clichés, pour dénoncer et pour rire aussi.

Il n’y a qu’une Michèle Ouimet. Franche, directe, entière. La journaliste a parcouru toutes les zones dangereuses de la planète. La romancière ne recule pas plus devant les sujets difficiles. Même qu’elle y fait face et les enfourche. Le vieillissement et la mort sont au cœur de L’heure mauve. Ces hantises sont autant celles de la journaliste que de la romancière. De la femme, surtout.

« Le personnage de Jacqueline le pense : “J’étais tout et, maintenant, je ne suis rien.” La vieillesse, c’est une perte de pouvoir. En écrivant, j’étais en réaction face aux livres et aux films qui décrivent la vieillesse comme quelque chose de cute ou, à l’opposé, une pure dégénérescence. Je voulais montrer la peur de vieillir. J’ai tellement peur de la mort et de vieillir. Ce sont des peurs profondes, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à l’écrire. Je me suis lâchée lousse. »

Le réalisme est au cœur de son écriture. Il ne saurait en être autrement quand on a tant vu et écouté les humains, leurs petites et leurs grandes misères. En parler, communiquer. Michèle Ouimet reste profondément elle-même en passant du reportage au roman.

« La journaliste n’est jamais loin », avoue-t-elle au sujet du personnage de Jacqueline, journaliste à la retraite et rebelle toujours active, véritable moteur du récit. Jacqueline affronte Lucie, directrice de la résidence pour personnes âgées où elle vit, puisque celle-ci veut séparer les bien portants des « atteints » parmi sa clientèle. C’est là que le roman emprunte son ton le plus grinçant.

La peur

« Ce sont des snobs qui ne veulent pas voir les plus démunis parmi eux parce qu’ils ne veulent pas voir ce qu’ils vont devenir. Ça leur fait peur. Mais je ne voulais pas de personnages noir et blanc. Lucie, la directrice, se bat contre Jacqueline, mais on voit aussi comment elle est débordée. Même si parfois elle nous énerve, on s’y attache. Même chose avec Jacqueline qui est un monstre d’égoïsme, mais qu’on aime pour son côté combatif. Je voulais éviter la caricature. »

Au-delà du duel au sommet entre ces deux femmes fortes, il y a aussi Georges et Françoise, qui formeront un couple dans cette résidence. Le beau Georges ressemble au père de l’auteure : avec « son cerveau embrumé, il cherchait toujours ma mère, même si elle était morte. Il a vécu une délinquance sénile ». Pour ce qui est de Françoise, c’est une femme quittée par son mari. 

« Je voulais une femme intelligente qui a malheureusement tout misé sur la carrière de son mari et sa vie de mère de famille. »

— Michèle Ouimet

Journaliste de terrain, la romancière en a fait aussi afin de pouvoir raconter cette histoire pas toujours rose. Michèle Ouimet s’éloigne ici de son premier roman, La promesse, qui parlait des difficultés d’adaptation au Québec d’une immigrante afghane.

« C’est complètement différent, mais c’est un univers que je connais. J’ai visité deux résidences pour personnes âgées au cours de deux étés différents. Au total, j’y ai passé trois semaines, dont une nuit et une sortie en autobus. »

« Dans la résidence où j’étais, poursuit-elle, il y avait un couple qui venait de se rencontrer. Je leur ai demandé comment c’était, les relations sexuelles à leur âge. Ils ont roucoulé, puis ils m’ont dit : “C’est pareil, mais beaucoup plus lent.” »

Journalisme

Ce livre permet à la journaliste de réfléchir aussi à sa profession et aux tendances inquiétantes que le métier emprunte parfois. Elle pose la question qui tue pour un journaliste : « Et si je n’avais rien compris ? »

« C’est terrible parce que c’est notre travail de comprendre. Je ne suis pas tendre non plus avec le phénomène de la meute des journalistes. La médiatisation à outrance, c’est un problème. Avec les réseaux sociaux, c’est rendu débile et je fais partie de ça. Ce sont les effets pervers de la profession. Je voulais être de l’autre côté du miroir. On ne se pose pas assez de questions sur le pouvoir qu’on a. »

Elle continuera dans les mois et les années à venir à ressasser ces questions. Michèle Ouimet prendra une retraite bien méritée du journalisme en 2018. Mais elle continuera probablement d’écrire plus que jamais.

« C’est exigeant, mais j’aime beaucoup ça. J’ai déjà deux autres projets d’écriture. C’est une façon différente de donner mon opinion à travers des personnages. Dans ce cas-ci, c’est ma vision de la vieillesse, mais ce n’est pas un éditorial ou une chronique. C’est un métier nouveau pour moi, être écrivain. Je me sens tellement comme un imposteur quand je dis ça. Je suis une journaliste qui écrit des livres. Mais celui-là représentait un bon défi. »

L’heure mauve

Michèle Ouimet

Boréal

367 pages

Extrait : 

« Elle prend une revue à potins qu’elle feuillette sans la lire. Encore un article sur les malheurs de Nathalie Simard et les trucs beauté d’une artiste aux lèvres surdimensionnées. La porte s’ouvre, un patient sort sans regarder Jacqueline. La psychologue lui demande d’attendre deux minutes. L’idée de fuir traverse de nouveau son esprit, mais fuir pour aller où ? Dans un café ? À la résidence où elle n’a rien à faire ?

— Comment ça va, lui demande la psychologue.

Jacqueline déteste cette question. “Mal ! Ça va mal ! Pourquoi tu penses que je suis ici, ostie de câlisse !”, a-t-elle le goût de répondre.

— Bien. »

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