Idées d’ailleurs

Lever le pied pour rester en vie

Et si on roulait moins vite, pour voir ? Après des mois, sinon des années de polémique sur la question, la France a finalement décidé de réduire la limite de vitesse de 90 à 80 km/h sur la totalité de ses routes secondaires. Le Québec devrait-il l’imiter ?

Le problème

Le taux alarmant d’accidents mortels causés par un excès de vitesse sur les routes.

Une solution

En France, la limite de vitesse sur les routes secondaires a été abaissée à 80 km/h.

Le 1er juillet dernier, les Français ont dû se résigner à lever le pied. Désormais, sur toutes les routes secondaires du pays, la limite de vitesse n’est plus de 90 km/h, mais bien de 80 km/h.

La mesure vise à enrayer le problème de la mortalité routière, en hausse depuis 2014. Selon le gouvernement français, qui s’appuie sur des études du Conseil de la sécurité routière, elle devrait permettre de sauver plus de 300 vies par an.

« Si nous voulons faire baisser significativement le nombre de morts et de blessés graves, il faut baisser cette vitesse », a affirmé le premier ministre Édouard Philippe, rappelant les chiffres de mortalité sur les routes françaises : 3600 morts, 72 000 blessés, dont 25 000 blessés graves, en moyenne par an. Plus de 50 % des accidents mortels seraient en outre concentrés sur les routes secondaires. Il était temps, selon lui, que l’État « assume ses responsabilités », même si cette décision s’annonçait impopulaire.

Il ne pensait pas si bien dire. Avant même son implantation, la nouvelle mesure a suscité beaucoup de grogne chez les Français. Des élus locaux ont exigé que le gouvernement fasse marche arrière. Des associations d’automobilistes, de même que le Front national, ont fait circuler des pétitions. Un groupe de députés a même tenté d’inverser la décision par voie légale. Sans succès.

Le gouvernement admet que ce changement rallongera légèrement le temps de trajet des automobilistes. Selon le Conseil de la sécurité routière, il faudra compter 45 s de plus pour un trajet de 10 km et 2 min de plus pour un trajet de 25 km. Pas de quoi revoir tout un agenda.

En revanche, ce ralentissement permettrait d’économiser 120 euros (180 $) par an sur l’essence et de réduire de 30 % les émissions de polluants.

Et ça marche ?

Quelques chiffres ont été publiés depuis l’entrée en vigueur de la loi. Selon les autorités, le nombre de morts sur les routes de France aurait baissé de 5,5 % en juillet, avec 324 morts, soit 19 de moins qu’à pareille date l’an dernier.

« On peut penser que les 80 km/h ont joué un rôle, mais il faut rester extrêmement prudent », a déclaré à l’AFP un haut responsable du Conseil, expliquant qu’il faudrait attendre la fin de l’année pour avoir une idée plus précise des impacts.

Dommage collatéral, le nombre d’automobilistes interceptés sur les routes concernées aurait aussi doublé en juillet. Résultat : quatre fois plus de radars ont été vandalisés ! Il en coûtera 68 euros (environ 100 $) et un point d’inaptitude aux conducteurs pris en infraction.

Ce changement, qui concerne 400 000 km de routes, soit 40 % du réseau routier français, a nécessité 11 000 nouveaux panneaux de signalisation. Le coût de l’opération a été estimé par l’État à entre 6 et 12 millions d’euros (9 à 18 millions de dollars). Le gouvernement s’est engagé à dresser un bilan en 2020, après deux ans d’application de la mesure.

L’avis de l’expert

Étienne Blais, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, chercheur au Centre de criminologie comparée et membre du Réseau de recherche en sécurité routière du Québec

Au Québec, la limite de vitesse sur les routes secondaires varie présentement de 70 à 90 km/h. Faudrait-il éliminer la totalité des limites à 90 km/h ? Étienne Blais pense que la question mérite d’être étudiée.

« De façon générale, la réduction des limites de vitesse est reconnue comme une mesure efficace. Plus les gens roulent vite, plus les risques d’accident sont élevés, et plus les risques de décès sont grands.

« Cela dit, ce n’est pas non plus une solution magique. Parce que si on abaisse les limites de vitesse, il faut aussi pouvoir l’appliquer.

« En France, par exemple, il y a beaucoup de contrôles automatisés. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a une baisse phénoménale des accidents sur les routes.

« Au Québec, si on abaisse la limite, ça peut fonctionner. Mais il faut se donner les moyens de renforcer cette mesure avec plus de radars et de contrôles policiers sur l’ensemble de notre réseau routier, qui est par ailleurs très vaste. Car si les automobilistes se rendent compte qu’on tolère les excès de vitesse, c’est sûr qu’on n’aura pas les effets escomptés. Il faudrait donc faire des études pour identifier les endroits où il y a le plus d’accidents ou le plus d’excès de vitesse pour pouvoir optimiser le déploiement des ressources. »

M. Blais croit, du reste, que le Québec ferait de plus grands progrès s’il s’attaquait aux routes et aux engins plutôt qu’aux automobilistes. « Je pense entre autres à des systèmes qui empêchent le véhicule de dépasser une certaine vitesse », dit-il. Idem pour la construction de routes qui pourraient « être moins invitantes à la vitesse ».

« Les technologies existent, dit-il, mais il manque de volonté politique. »

Au Québec, la limite de vitesse sur les routes secondaires a été réduite de 100 à 90 km/h en 1976, en même temps qu’on obligeait les conducteurs à porter la ceinture de sécurité. Ces deux mesures ayant été introduites simultanément, il n’est toutefois pas possible de mesurer l’impact de chacune d’entre elles. Elles seraient néanmoins associées à des baisses de 16 % des décès et de 9 % des victimes blessées.

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