Curieux village allemand en Amérique du Sud
Le vieil hôtel, ancienne maison familiale, la source d’eau : marcher la boucle de 2 km du centre historique plonge Ingrid Cabjolsky dans les souvenirs, et le visiteur en pleine Europe centrale. Selon elle, la balade permet de comprendre comment s’est construit le village depuis 1934. Helmut Cabjolsky, son grand-père, est alors le nouveau gérant de l’entreprise électrique Siemens à Buenos Aires et cherche un endroit pour une maison d’été. Sa femme et lui sont séduits par le panorama montagnard de cette grande terre vierge (500 hectares) qui leur rappelle celle du village allemand Garmisch-Partenkirchen, souvent visité. L’éden perdu prendra vie en Argentine, La Cumbrecita.
Pour le travail, « la famille quitte Berlin en bateau en 1932 », raconte Ingrid Cabjolsky, montrant les valises suspendues au plafond de son resto-bar Helmut, où on se trouve. Sur les murs, des photos anciennes du village et des pionniers sont accrochées. « Mon oncle [Klauss] avait 10 ans et mon père [Helmut fils] 12. » Plus qu’un bistrot, ici, c’est l’ancien studio de ce dernier, brillant ingénieur, « auteur » de La Cumbrecita. « Mon père y dessine les rues du village, le pont, des maisons. » À 18 ans, il divise la terre en lots quand ses parents « ouvrent la porte » aux amis de Buenos Aires, des Autrichiens, Hongrois, Suisses, Belges.
Le clocher de la petite chapelle pointe vers le ciel. Construite en 1967 par le père d’Ingrid Cabjolsky, c’est un lieu spécial pour elle. « On s’y rencontrait quand on avait un curé qui venait jusqu’ici, mais le moment qui m’a le plus marquée, étrangement, c’est la veillée mortuaire de mon grand-père, en 1979. J’avais 11 ans. Ç’a été tout un évènement ! Une foule de personnes sont venues de Buenos Aires [située à plus de 700 km], de Cordoba, pour saluer sa vision impressionnante. » La chapelle a la particularité d’être ouverte à toutes les religions.
« Je suis une amante de la nature et c’est ce que sont venus chercher mes parents ici, donc c’est ce qu’il y a à découvrir », pense celle pour qui le ruisseau Almbach recèle des endroits « incroyables », comme des piscines naturelles de plusieurs mètres de profondeur. L’abondance de l’eau sur cette terre, à l’époque située à 20 km de dos de mule du premier village, a aussi convaincu les Cabjolsky. « Ma grand-mère a dit à mon grand-père : “Regarde, il y a de l’eau, donc il y a de la vie. On achète.” »
« Le mont Wank [du nom de celui qui surplombe Garmisch-Partenkirchen], c’est un point où il faut absolument aller, un endroit de paix », pense Ingrid Cabjolsky. Du sommet – 1715 m –, après deux heures de marche, le village apparaît à travers la forêt semée par les pionniers. Derrière nous, les sommets rocheux de la chaîne des Sierras Grandes s’étendent à l’horizon sur la terre traditionnelle des Indiens comechingones. D’ailleurs, plusieurs descendants vivent aujourd’hui à La Cumbrecita – dont le conjoint d’Ingrid Cabjolsky.
Pôle touristique, La Cumbrecita n’est pas qu’une relique du passé. « On est environ 1200 personnes qui vivent ici à l’année. Il y a une école primaire et secondaire », indique Cabjolsky. La copie aurait surpassé le modèle original. « Je préfère La Cumbrecita à Garmisch-Partenkirchen, pour le cadre naturel vierge qui a été préservé. » Faire vraiment l’expérience de cet exemple argentin d’écotourisme (village piéton, etc.), selon Cabjolsky, c’est parcourir les Sierras Grandes au-delà des points marqués sur la carte touristique, « aller découvrir les lieux magiques ». Et qui sait si on n’y croisera pas un nain égaré ?