MAGAZINES POUR ADOLESCENTS

Dix ans de journalisme féministe

TORONTO — Elle est jeune, militante, et débordée. Pour cause. Sheila Sampath dirige bénévolement – oui, bénévolement – un magazine féministe pour adolescentes, l’un des seuls du genre au pays. Pourquoi ? Parce qu’elle y croit. Rencontre avec une idéaliste inspirante.

Voilà 10 ans déjà que Shameless, un petit magazine en noir et blanc, avec pour ainsi dire aucune publicité, trône fièrement en librairie aux côtés des Elle, Vogue et autres Fashion Magazine de ce monde. Son secret ? Des textes longs, fouillés, illustrés. Surtout ? Des sujets champ gauche.

Oubliez le look des Fêtes, l’art de choisir un bon jean, ou les menus détails de la vie intime de la dernière vedette insipide. Non, ici, on jase du pouvoir de l’éducation, de l’art de s’aimer soi-même et de la mode engagée. 

Sheila Sampath est directrice artistique depuis 2006, et également rédactrice en chef et éditrice depuis 2010. Elle a imposé un virage important au contenu en arrivant. Nous l’avons rencontrée dans ses bureaux de Toronto pour jaser féminisme et journalisme.

Qu’est-ce qui a changé à Shameless depuis 2010 ?

Au départ, Shameless a commencé à titre de magazine alternatif. Ça ne se voulait pas un magazine pour adolescentes typique. Mais il y a des limites à ce que l’on peut faire quand on se définit par la négative. On ne voulait pas être Vogue. Pas Fashion. Après cinq ou six ans, je pense que la question se posait : qui sommes-nous alors ? Et puis : qui pouvons-nous être ? Cela avait du sens de prendre une direction plus engagée. (…)

Moi, en tant que femme de couleur, je trouvais qu’il était important de s’attaquer non seulement aux questions de genre, mais aussi de race, de classe, parler des personnes handicapées, transgenres, etc. (…) Nous avons donc carrément réécrit le mandat de Shameless pour être plus affirmatifs.

Des exemples de dossiers dont vous êtes particulièrement fière ?

Oui ! (rires) Je suis fière de tellement de numéros ! J’ai adoré notre numéro sur l’emploi, parce que nous avons parlé du travail du sexe chez les jeunes. Dans un dossier sur l’emploi, moi je trouve qu’il y avait là quelque chose d’assez radical, parler de sexe, pour un magazine d’ados.

Je suis aussi très fière de notre numéro sur le sport (moi qui n’aime pas les sports !), où l’on a parlé de l’économie et de la politique du sport, du renforcement des espaces binaires dans le sport, où nous avons aussi présenté des ligues autonomes alternatives, et de notre papier sur les mascottes racistes. Je suis aussi très fière de notre numéro sur l’éducation, où l’on a parlé des manifestations au Québec.

Vous réalisez tout cela avec très peu de moyens. Comment y arrivez-vous ?

Notre équipe travaille avec le cœur. Tout le monde est bénévole. Notre énergie est inépuisable ! (…) Mais dans les prochaines années, c’est à cela qu’on va s’attaquer : les collectes de fonds. C’est super important.

J’espère être en mesure de donner un salaire symbolique à nos collaborateurs. Parce que pour l’instant, notre fonctionnement ferme systématiquement la porte à certains, qui ne peuvent tout simplement pas se permettre de travailler bénévolement. Du coup, on se retrouve avec des collaborateurs privilégiés.

J’aimerais aussi arriver à payer aussi les artistes, mon équipe. Parce que travailler bénévolement de 20 à 25 heures par semaine, à long terme, ça n’est pas viable. (…) Nous n’avons pour l’instant aucune subvention, et très peu de publicité. On ne fait de l’argent qu’en vendant nos copies.

Pourquoi vous ne publiez pas uniquement sur l’internet ? Pourquoi tenez-vous autant à un magazine imprimé ?

Parce que je ne crois pas à la mort du papier. Si vous allez dans les librairies, vous verrez qu’il y a encore tout plein de magazines. Oui, l’internet est plus accessible. Et l’imprimé l’est moins. Justement : il y a une hiérarchie qui se crée. Les voix plus marginales se retrouvent sur le web, et le pouvoir est imprimé. Moi je crois que cette division est dangereuse.

L’imprimé continue d’avoir plus de poids, plus d’autorité. Le pouvoir est inégalement distribué. Du coup, selon moi, publier un magazine alternatif, c’est un geste radical. On est là, dans les magasins, à côté de Justin Bieber. C’est radical. Bref, imprimer, c’est faire un statement. C’est dire : voilà, nous existons. Un peu comme dire un bon : fuck you !

Site internet : www.shamelessmag.com

PRIX DE LA HONTE (SHAMIES)

Pour célébrer ses 10 ans, le magazine organise le 14 novembre prochain à Toronto un gala unique en son genre. On décernera les meilleurs prix citrons (shamies), toutes catégories permises : « You name it, we shame it ». Qu’il s’agisse de la vidéo la plus sexiste ou de la pire job de Photoshop de l’année, toutes les suggestions sont les bienvenues.

D’AUTRES PUBLICATIONS FÉMINISTES POUR TOUS LES ÂGES

Bitch

Un magazine féminin unique en son genre, qui se veut un contrepoids à la culture pop ambiante. Un véritable anti-Châtelaine.

Site internet : www.bitchmedia.org

New Moon

Un magazine pour les 8 ans et plus qui propose du contenu intelligent et alternatif aux jeunes filles, ciblant essentiellement l’émancipation.

Site internet : www.newmoon.com/magazine/

Rookie

Publié sur le web et fondé par la jeune modeuse et blogueuse Tavi Gevinson (bien connue pour avoir couvert, du haut de ses 13 ans, le défilé de Marc Jacobs), on y propose du contenu jeune et alternatif. Le site doit son succès à la popularité de sa fondatrice.

Site internet : www.rookiemag.com

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