Sociologie

Reste-t-il des adultes  ?

Alors que les étapes traditionnelles du passage à l’âge adulte volent en éclats, des sociologues s’interrogent sur la survie même du concept. Reste- t-il encore des adultes parmi nous ? La question divise.

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adulte ? Jamais !

Pour la sociologue Diane Pacom, la question de l’âge adulte est très épineuse, car nous vivons dans une société qui valorise la jeunesse éternelle et qui fuit les responsabilités. Alors, quand devient-on adulte ? « Jamais ! », lance sans hésitation la professeure de sociologie de l’Université d’Ottawa. « Les sociétés occidentales actuelles industrielles et numériques ont liquidé l’adulte dans tout ce qu’il représentait dans le passé, un passé qui date d’il y a 60 ans. »

L’âge adulte était pourtant souhaité autrefois, car il signifiait l’acquisition de l’autonomie et des responsabilités.

« Fermez vos yeux et essayez de penser à un personnage adulte. Même les politiciens agissent comme des adolescents et fuient leurs responsabilités. »

La sociologue estime que notre société carbure à l’énergie, à la recherche de l’euphorie en tout temps. « Ce qu’on recherchait quand on était jeune, on veut le vivre tout au long de sa vie. Même les personnes âgées veulent continuer à mener des vies de jeunes ! s’exclame Diane Pacom. Toutes les figures d’autorité de l’âge adulte ont perdu de leur contenu. On est dans l’ère du jeunisme poussé à l’extrême. »

Ce sont les baby-boomers (dont elle fait partie !) qu’elle tient responsables de cette déconstruction, car ils ont remis en question tous les fondements de la société. « Toute la fibre morale classique a été remise en question, ce qui a été une bonne chose, mais on en vit les conséquences. On est dans une déconstruction absolue de ce que représente l’âge adulte sur les plans moral, philosophique, économique et existentiel. »

Les caractéristiques et marqueurs sociaux qui existaient sur le plan anthropologique ont, selon elle, disparu. Voici les cinq marqueurs sociaux qui faisaient en sorte qu’on devenait adulte, avant.

La fin des études

On devenait adulte lorsqu’on finissait ses études. « On constate qu’il n’y a plus de fin aux études aujourd’hui, observe Diane Pacom. On est dans une société où tout change, surtout d’un point de vue technologique. Conséquence ? Nous sommes toujours en formation, et ce, tout au long de notre vie. Même les personnes âgées sont en formation, elles apprennent une nouvelle langue, une nouvelle technologie, une nouvelle danse, le taï-chi, etc. Avant, à 13 ou 14 ans, on faisait le métier de son père. Un point, c’est tout. Aujourd’hui, on est à la remorque des changements rapides et profonds. On doit sans cesse se perfectionner et apprendre de nouveaux acquis qui sont nécessaires. »

Le mariage

On devenait adulte quand on se mariait. « Et on ne se marie presque plus. Et si on se marie, on divorce, on se remarie et on re-divorce. Et si on ne se marie pas, on se sépare. Il y a eu des changements socioculturels tellement immenses que finalement, le “vivre seul” devient le nouveau modèle. Et quand on se sépare, on retombe dans l’état de la personne qui n’est pas adulte du tout, dans le célibat où on régresse alors qu’il n’y a pas si longtemps, cette situation était impensable ! »

Quitter le foyer familial

On devenait adulte quand on quittait le foyer familial pour emménager dans un appartement et devenir indépendant. « Autrefois, c’était vers l’âge de 14 ou 15 ans qu’on s’installait dans une petite maison près de la famille. Aujourd’hui, on parle des “enfants boomerang” : les parents les lancent et ils reviennent à répétition ! Ce sont des Tanguy. Je n’ai jamais vu autant de jeunes qui vivent chez leurs parents jusqu’à 25, 26 ou 27 ans, essentiellement pour des raisons économiques. Et cette situation est possible parce que les parents n’ont pas eu beaucoup d’enfants, alors ils peuvent les reprendre sous leur toit, chose impossible autrefois, car les enfants étaient trop nombreux. » Diane Pacom pense qu’on ne peut pas dire que les jeunes de 30 ans sont adultes (selon les marqueurs sociaux), car ils sont toujours en train d’être dépannés par leurs parents. Au moindre pépin, ils retournent vivre chez papa et maman.

Avoir des enfants

On devenait adulte quand on avait des enfants. « Avant, on avait nos enfants entre 17 et 25 ans, maintenant, c’est entre 25 et 40 ans, voire plus tard. L’âge adulte est donc reporté vers un horizon qui n’a pas de limite. On entend d’ailleurs certains enfants qui reprochent à leurs parents d’être irresponsables et de ne pas agir en adultes. Alors qu’avant, les parents étaient des références, des modèles. Aujourd’hui, les parents agissent comme leurs adolescents. Ils parlent et s’habillent comme eux, jouent aux jeux vidéo, écoutent la même musique qu’eux et sont les amis de leurs enfants ! C’est déroutant pour des enfants d’avoir des parents qui ne sont pas des adultes. » Diane Pacom pense que les parents s’accrochent à tout ce que représente la jeunesse, à cette capacité de faire mille et une choses à la fois, de voyager aux quatre coins du monde, de tout essayer, c’est maintenant ou jamais ! « Le plaisir, le sexe, la bouffe, les voyages. Ça manque de maturité, tout ça. »

La profession

On devenait adulte quand on choisissait une profession. « Aujourd’hui, on ne cesse de changer de profession au cours de sa vie, on a des parcours professionnels discontinus, mais au-delà de ça, il y a aussi les problèmes de chômage. Le travail nous donne crédibilité, autonomie et responsabilités, ce qui faisait de nous des adultes. Aujourd’hui, il y a des gens qui font leur doctorat car ils ne trouvent pas de travail ou alors ils changent complètement de voie. Et on peut perdre son emploi à 45 ou 50 ans et retourner vivre dans le sous-sol de ses parents. C’est du jamais-vu. Avant, tout était réglé : on avait une profession, on se mariait, on avait des enfants, et celui qui habitait chez ses parents à 30 ans était vu comme un vrai marginal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

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Adultes, différemment

Avant, devenir adulte, c’était entrer dans une forme de stabilité : fin des études, emploi, mariage, enfants… Cette idée du définitif a résolument volé en éclats, emportant avec elle le concept d’une vie en trois âges : jeunesse, vie adulte et vieillesse. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne devient plus adulte pour autant.

« Il y a une nouvelle définition de l’adulte qui émerge et qui est beaucoup plus subjective », estime Cécile Van de Velde, professeure de sociologie à l’Université de Montréal.

Ce qui ressort, selon elle, c’est une espèce d’injonction d’être soi. Suivre les traces de ses parents n’est plus une obligation. L’individu a désormais le droit, voire le devoir, d’être lui-même. De choisir sa voie, de choisir – quitte à devoir rechoisir ! – sa vie propre.

« Il y a un renversement de la conception de l’adulte. Être adulte, c’est expérimenter et se trouver. »

— Cécile Van de Velde, professeure de sociologie à l’Université de Montréal

On se sent devenir mûr et responsable à travers les épreuves qu’on traverse, à travers sa propre trajectoire.

La société actuelle valorise la jeunesse, convient la sociologue. « En fait, c’est plus un refus de la vieillesse qu’une envie de prolonger l’adolescence, nuance Cécile Van de Velde. Ce n’est pas parce qu’on se dit adulte plus tard que c’est pour autant une prolongation d’un état adolescent ou immature. » Elle juge que la maturité et même le désir d’autonomie sont plus forts qu’auparavant.

Les jeunes d’aujourd’hui sont responsabilisés très tôt et font face à un monde « assez difficile », selon elle. « J’ai l’impression qu’ils sont soumis à une pression et à une compétition de plus en plus tôt, dit-elle. Ce n’est pas la même maturité qu’il y a 40 ans, mais on ne pourrait pas dire qu’ils sont immatures ou qu’ils sont maintenus dans un état de jeunesse. »

Autonomie à géométrie variable

Se sentir autonome est reconnu en psychologie comme un besoin fondamental de l’être humain. « Même les enfants veulent être autonomes à l’intérieur des limites imposées par les adultes, précise Marie-Hélène Véronneau, professeure de psychologie à l’UQAM. Être autonome est un besoin que les jeunes veulent encore combler aujourd’hui, mais de manière différente. »

L’autonomie est désormais à géométrie variable. Et la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, potentiellement plus longue.

« Un jeune peut sacrifier son autonomie financière pendant quelques années et tout de même se sentir autonome dans son choix d’études ou de carrière pour l’avenir. »

— Marie-Hélène Véronneau, professeure de psychologie à l’UQAM

« Ce n’est pas parce que les enfants partent plus tard qu’ils deviennent autonomes plus tard. L’autonomie s’aménage aussi dans les liens avec les parents », croit aussi Cécile Van de Velde. Le lien de dépendance économique dure peut-être plus longtemps, mais les jeunes d’aujourd’hui revendiquent et obtiennent la liberté de choisir leur vie, leurs projets. « L’autonomie des jeunes est forte », insiste la sociologue.

Les familles ont changé, la façon de vivre en famille a changé. « Être mûr peut tout à fait être compatible avec le fait d’habiter chez ses parents. En tout cas, pour les jeunes eux-mêmes », constate Cécile Van de Velde. Avoir des responsabilités, comme un travail ou des dettes, aide à se sentir « autonome », les deux sont souvent liés et se rejoignent souvent vers la trentaine, ajoute la sociologue.

« On a parfois l’impression que les parents doivent pousser leurs enfants à être indépendants, à se débrouiller seuls dans la vie, mais le besoin d’autonomie et le besoin de connexion sociale ne s’opposent pas, estime Marie-Hélène Véronneau. Ce n’est donc pas parce qu’une personne est très attachée à ses parents – trop, selon le jugement de certains – qu’elle n’arrivera pas à faire sa vie. »

Elles partent plus tôt

Cécile Van de Velde, qui mène des études comparatives impliquant divers pays, a constaté que les jeunes femmes quittent souvent le domicile familial avant les jeunes hommes : un an et demi plus tôt en Scandinavie et jusqu’à trois ans plus tôt en Amérique latine et autour de la Méditerranée. Certains croient que les jeunes femmes ont plus besoin de s’éloigner du foyer familial pour s’émanciper, ce qui n’est peut-être pas étranger au fait qu’elles sont plus sollicitées pour participer aux tâches domestiques que les jeunes hommes. Elles ne partent d’ailleurs plus pour fonder un nouveau foyer, mais pour vivre seules.

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