Chronique

Surtout, ne pas quantifier la médiocrité québécoise

Il n’y a pas que les journalistes qui se plaignent de la Loi sur l’accès à l’information. Les scientifiques protestent contre les nombreux obstacles qui se dressent sur leur chemin quand ils essaient d’obtenir des données gouvernementales dans le cadre de leurs recherches.

J’appuie sur pause, ici.

La phrase que vous venez de lire ci-dessus, ce n’est pas moi qui l’ai écrite. C’est mon collègue de La Presse Jean-François Bégin, dans un dossier publié le 2 décembre 2015 sur les immenses difficultés qu’affrontent les scientifiques québécois pour obtenir de l’État des données brutes.

J’ai reproduit le « lead » de Jean-François Bégin écrit fin 2015 pour illustrer que deux ans et demi plus tard, à peu près rien n’a changé dans ce domaine : hier dans La Presse, Marie-Claude Malboeuf relayait les inquiétudes d’un médecin chercheur de l’Université de Sherbrooke, le docteur Alain Vanasse, sur… les obstacles que rencontrent les chercheurs comme lui quand ils veulent obtenir des données de l’État pour mener des recherches qui ont un impact sur le bien-être des gens.

Dans le dossier de Marie-Claude Malboeuf, le Dr Vanasse et Jean-François Éthier, chercheurs à l’Université de Sherbrooke, expliquent comment l’accès aux données détenues par l’État – par exemple par la Régie de l’assurance maladie sur les médicaments prescrits – permettrait de faire des recoupements permettant de sauver des vies. Et de faire économiser des sous au Trésor public.

Je sais que ce n’est pas un sujet d’actualité aussi « passionnant » que les futures policières en hijab, les siestes de Luc Ferrandez ou le mystérieux plan de Marc Bergevin.

Mais l’accès aux données brutes détenues par l’État, à des fins de recherche scientifique, c’est un enjeu d’une immense importance, qui a le potentiel d’améliorer la vie des gens et de sauver des vies, même, dixit M. Éthier.

J’ai passé une heure à discuter avec le Dr Vanasse, la semaine dernière, au sujet de la difficulté à accéder aux données détenues par l’État et ses organes. C’est un sujet qui m’exaspère et dont j’ai déjà parlé dans le passé, en ce qui touche la santé et l’éducation. Permettez donc un détour en trois points avant de revenir au Dr Vanasse.

1 — En matière de cancer, la plupart des études canadiennes excluent le Québec. Pourquoi ? Parce que les données québécoises en matière de cancer ne sont pas fiables. Ailleurs au pays, par exemple en Ontario et en Colombie-Britannique, on tient des registres des tumeurs. On sait combien d’Ontariens meurent du cancer du poumon, par exemple. Au Québec ? On extrapole. On est dans l’à-peu-près. Résultat : nos données ne sont pas assez fiables pour contribuer aux études canadiennes ! J’ai écrit là-dessus à quelques reprises, après 2010.

2 — En éducation, 72 pays et territoires participent tous les trois ans à un grand test standardisé des élèves de 15 ans, le fameux test PISA. C’est LA mesure étalon de la santé des systèmes scolaires à l’échelle mondiale, qui permet aux territoires comme le Québec de se comparer aux autres et de comparer ses cohortes d’élèves. Mais 18 fois dans le rapport PISA de l’année 2015, on peut lire cette phrase gênante : « Veuillez noter que les résultats pour la province de Québec dans ce tableau doivent être considérés avec circonspection, en raison d’un possible biais de non-réponse… »

L’échantillon québécois au test PISA a été souillé par un taux élevé de non-réponses. Plusieurs écoles ont refusé d’y participer, sous la stupide impulsion de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement.

3 — L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) compile des tonnes de données sur les performances des réseaux au pays. Les analyses de l’ICIS, évidemment basées sur des données fournies par les provinces, permettent de savoir quelles provinces offrent les plus bas temps d’attente aux urgences. L’ICIS, avec des données, peut aussi évaluer des problèmes plus ponctuels, comme le syndrome de sevrage chez les nouveau-nés, conséquence de la crise des opioïdes.

Mais tant pour les urgences que pour les bébés nés avec des symptômes de dépendance, l’ICIS ne peut pas offrir de statistiques pour le Québec : la province ne fournit pas ses données à l’Institut.

Je reviens au Dr Alain Vanasse, qui témoignait hier dans le dossier de La Presse. Je l’ai rencontré il y a une semaine, pour parler de l’accès aux données. Ce qui est le plus décourageant, c’est de constater que l’Ontario, notre voisine, a un système en place pour permettre aux chercheurs comme lui d’avoir accès aux données rapidement.

« Ici, on finit par obtenir des données, car ces données que veulent les chercheurs, elles existent : l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) du gouvernement du Québec a accès à ces données, chaque mois. Pour les chercheurs, c’est deux ans, deux ans et demi d’attente. Si tu fais une recherche sur la résistance aux antibiotiques dans les hôpitaux, ce n’est pas super utile d’avoir les résultats dans deux ans… »

En Ontario, l’Institute for Clinical Evaluative Sciences (ICES) joue le rôle d’un guichet unique pour faire cheminer les demandes des chercheurs comme le Dr Vanasse qui veulent obtenir des données des ministères et des agences du gouvernement ontarien.

« Pour des demandes simples, l’attente est de trois semaines à trois mois. Pour des demandes qui demandent des jumelages de fichiers, on parle de trois mois. »

— Le Dr Alain Vanasse

Ça permet aux chercheurs ontariens d’avoir de meilleures données sur la santé des Ontariens et ça permet, dit le Dr Vanasse, à ces chercheurs d’avoir accès à des projets plus facilement que leurs collègues québécois : les organismes qui subventionnent la recherche savent qu’au Québec, l’accès aux données, c’est la croix et la bannière…

Je sais que je vous parle d’un sujet qui n’est pas sexy : hé, les chercheurs ont de la misère à obtenir des données ! On peut se dire que c’est un petit problème…

Je le vois plutôt comme la formidable tendance québécoise à la médiocrité. Je l’ai souvent écrit : je nous trouve médiocres, je trouve qu’on se satisfait de l’à-peu-près, que ce soit en ce qui concerne les services de santé, l’état des routes ou le taux de diplomation (plus bas que celui de l’Ontario…).

Et quand t’es médiocre, la dernière chose que tu souhaites, c’est de laisser circuler les données qui pourraient permettre de mesurer tes performances.

Le Dr Vanasse, qui rêve d’un « chef de l’information » dans la machine, m’assure que personne dans la bureaucratie n’est de mauvaise foi, quand il se bat pour obtenir des données. Je le crois. Il dit que c’est une faille du système.

Je le crois…

Mais je me permets de dire ceci : le système a tout à perdre à faire preuve de transparence, ça permettrait à plus de gens de dire que le roi québécois est nu, plus souvent et plus précisément.

Le système n’est pas fou, il ne se souhaite pas ça.

Oups, mea culpa

Hier, dans ma chronique sur le drame de Toronto, j’ai parlé d’idéologies. J’ai écrit ceci, en parlant de la haine des femmes : « Bien sûr, pas une idéologie au sens de l’Histoire avec un grand H, pas au sens où on l’entend généralement. Pas le maoïsme. Pas le racisme. Pas l’islam. »

Je voulais dire « islamisme ».

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