Éditorial : Consultation Aussant–Nadeau-Dubois

Faut qu’on se parle (entre nous)

Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-Martin Aussant ont bien raison : on est 8 millions, faut s’parler, pour paraphraser la pub.

Le contexte est en effet mûr pour un brassage d’idées au Québec, qui est tiraillé par des courants mouvants et contradictoires. On sent un fort niveau de cynisme dans la population, mais aussi une ébullition citoyenne. On compte un nombre élevé de partis, mais aussi d’insatisfactions.

Bref, les plaques tectoniques bougent en politique, et le mouvement lancé hier veut comprendre comment les Québécois envisagent la suite. La ligne de fracture se déplace, et les organisateurs de la consultation veulent entendre ce que les citoyens ont à proposer pour dynamiser le Québec.

Une très bonne initiative… si l’on excepte le fait que le mouvement se cantonne d’un côté d’une ligne de fracture qui n’est plus celle qui domine le débat public.

Il n’y a en effet aucun « non-souverainiste » à l’origine du projet, de l’aveu de Gabriel Nadeau-Dubois. Il y a cinq personnalités, toutes favorables à l’indépendance à des conditions et à des degrés divers, qui se poseront 10 grandes questions, dont celle-ci : « comment remettre en marche » le projet indépendantiste ?

On n’est donc pas dans l’« initiative politique non partisane », mais bien dans le débat entre souverainistes.

Un débat avec une « ligne de parti » en quelque sorte, qui gardera beaucoup de monde à distance, notamment les fédéralistes progressistes, véritables orphelins politiques au Québec par les temps qui courent.

Que tous ces gens soient de gauche se justifie, comprenons-nous bien. L’idée n’est quand même pas de refonder le système démocratique en entendant tout le monde et son voisin. Ce n’est pas de confronter des positions idéologiques fondamentales irréconciliables.

L’idée du mouvement est plutôt de cerner l’origine du « blocage » qui paralyse le Québec et de proposer des solutions progressistes pour en sortir.

Fort bien. Mais comment y arriver sans s’interroger sur le rôle des débats constitutionnels qui nous occupent depuis si longtemps ? Comment justifier un tel angle mort quand on ambitionne de relancer le Québec sur des bases renouvelées ?

La ligne de fracture est ailleurs, aujourd’hui. On le voit au PQ, déchiré entre la gauche sociale-démocrate d’Alexandre Cloutier et la droite identitaire de Jean-François Lisée. On le voit dans les médias, davantage positionnés sur l’axe gauche-droite qu’à une autre époque. On le voit dans la nature des débats quotidiens qui occupent les Québécois, sur l’immigration, l’économie, l’éducation.

Autant de sujets que le mouvement veut attaquer de manière ouverte (comment dynamiser les régions ?), sans a priori (que faire en éducation pour permettre à tous de réaliser leur plein potentiel ?) et avec humanisme (comment vivre ensemble sans racisme ni discrimination ?).

Tant mieux ! Mais pourquoi ne pas avoir fait une place à des organisateurs d’allégeances diversifiées ? Pourquoi ne pas avoir tendu la main aux électeurs de gauche qui n’ont pas d’appétit pour les débats constitutionnels et ne se retrouvent ni au PQ ni à Québec solidaire ?

L’initiative est rafraîchissante. Elle permet de sortir du catastrophisme ambiant, de l’autoflagellation constante et de l’opposition permanente à tout ce qui bouge.

Elle ouvre donc les fenêtres, mais en garde malheureusement d’autres fermées.

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