Chronique

Drainville perd sa joute

La clause d’exclusivité imposée par Québecor Média a fait une autre victime : Bernard Drainville, qui a été renvoyé de l’émission La joute de LCN parce qu’il a refusé de rompre son contrat avec le 98,5 FM, une radio qui appartient au groupe Cogeco.

Exactement comme Luc Lavoie, lui aussi éjecté de La joute pour les mêmes raisons. Québecor exige de ses chroniqueurs d’opinion les plus en vue qu’ils prêtent serment d’allégeance à l’Empire et ceux qui gardent des liens d’affaires avec les groupes médiatiques rivaux, dont Cogeco et RNC Média, passent à la trappe. C’est nous ou c’est eux, aucune négociation possible.

La joute perd deux de ses débatteurs les plus appréciés du public. L’opposition entre Bernard Drainville et Luc Lavoie procurait à l’émission ses moments les plus animés. C’était, en quelque sorte, le cœur de La joute.

En moins d’une semaine, les patrons de TVA ont complètement anéanti une heure de télévision qui obtenait un succès foudroyant, obligeant même Radio-Canada à esquisser de nouveaux plans pour l’automne. En août, sur les ondes de RDI, Sébastien Bovet chauffera Mordus de politique, qui se collettera tous les jours avec La joute dans la case de 16 h.

La semaine dernière, Richard Martineau et Jonathan Trudeau ont été forcés de renoncer à leur populaire émission sur les ondes de CHOI Radio X à Québec. Mario Dumont a également dû se désister de l’émission matinale de Paul Arcand au 98,5 FM. Constat identique pour le chroniqueur politique Antoine Robitaille, du Journal de Montréal, qui a tiré la plogue sur ses interventions quotidiennes à l’émission Drainville PM du 98,5 FM.

Québecor planche sur le lancement d’une webradio à l’automne et souhaite y concentrer ses forces vives. C’est pourquoi les vedettes de TVA, de LCN et du Journal de Montréal ont disparu des ondes concurrentes. 

Si vous voulez inonder vos oreilles de leurs idées, il faudra vous brancher exclusivement sur la webradio de Québecor. Et pas ailleurs.

Cette exigence ne plaît pas à toutes les têtes d’affiche de Québecor, dont certaines ont rué dans les brancards, me dit-on. Car abandonner des emplois à la radio commerciale les prive de beaucoup, beaucoup d’argent, que Québecor ne compense pas nécessairement.

Mais le limogeage de Luc Lavoie, plus fidèle soldat de Pierre Karl Péladeau, et maintenant le congédiement de Bernard Drainville démontrent que Québecor n’entend pas à rire.

Bernard Drainville, qui n’a pas commenté hier, tient les rênes de Drainville PM et jase de politique avec Paul Arcand à Puisqu’il faut se lever. Il est demeuré à La joute jusqu’à mercredi dernier.

Selon mes infos, Bernard Drainville a « espéré jusqu’à la fin » que TVA assouplisse ses demandes d’exclusivité. En vain. La ligne dure a été conservée : c’est eux ou c’est nous. Drainville est donc resté au 98,5 FM, son premier employeur. La direction de Cogeco n’a pas réagi non plus hier.

La mesure protectionniste implantée par Québecor ne touche, pour l’instant, que le secteur de la radio parlée. Par exemple, Télé-Québec m’a confirmé le retour de Richard Martineau à la barre des Francs-tireurs pour la saison prochaine.

Essentiellement, ce repli vise les leaders d’opinion chez Québecor, et non les animateurs d’émissions musicales. À Rythme FM, propriété de Cogeco, Julie Bélanger, qui copilote Ça finit bien la semaine à TVA, a bouclé un contrat de cinq ans qui arrivera à échéance au printemps 2020. Personne ne lui a intimé d’abandonner son micro, selon Rythme FM.

Animateur de La vraie nature à TVA, Jean-Philippe Dion reviendra à l’automne aux côtés de Mitsou sur l’heure du midi à Rythme FM. Chez Bell Média, qui emploie Dominic Arpin (Vlog) à Rouge FM et José Gaudet (Ça finit bien la semaine) à Énergie, aucune consigne n’a été transmise quant au retrait des ondes de ces deux vedettes.

Par contre, les visages les plus connus de TVA Sports n’obtiennent plus la permission de parler à Ron Fournier au 98,5 FM.

Les plaques tectoniques médiatiques s’entrechoquent. Dans le dernier épisode du Beau dimanche à Radio-Canada, vu par 600 000 personnes, le controversé Luc Lavoie a glissé que ça lui tenterait, évidemment, de traverser à la télé de Radio-Canada à la rentrée. Pause, ici. N’est-ce pas le même Luc Lavoie qui a régulièrement écorché la société d’État du temps où il servait de bras droit à Pierre Karl Péladeau ? Oui, il s’agit du même homme belliqueux.

D’un autre côté, la cote d’amour de Luc Lavoie, que je ne m’explique vraiment pas, est forte. Depuis une semaine, je ne compte plus le nombre de courriels qui réclament son retour à la télévision. De nombreux lecteurs jurent qu’ils ne regarderont plus jamais La joute à LCN afin de protester contre son licenciement.

Luc Lavoie ferait-il un bon collaborateur aux Mordus de politique de Sébastien Bovet ? Sans doute. Mais pas certain que les Radio-Canadiens lui dérouleraient le tapis rouge. Certains ont la mémoire longue. Très longue.

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