À votre tour

L’importance des rituels au décès

Dans le débat sur la transformation – sinon l’abandon – des rituels immémoriaux rattachés à la mort dans notre société, je désire apporter un témoignage qui, à mon sens, en révèle l’importance. Le rituel funéraire permet de passer de la vie à la mort d’une personne aimée, de transformer la peine en la nommant, en la ritualisant, et de vivre avec le souvenir plus allégé de la perte.

En 1938, le Québec connaissait une épidémie de diphtérie qui a emporté, en un mois, avant ma naissance, quatre de mes frères et sœurs âgés de trois mois à 7 ans. Épidémie signifiait alors isolation de toute la famille dans une maison placardée. La peur de la contagion était si grande que l’exposition du corps, le service funèbre et la sépulture dans le lot familial étaient refusés. Mon père devait, à la mort d’un des enfants, se rendre à la fosse commune du cimetière pour inhumer la dépouille en cachette.

À la reprise de la vie habituelle, le curé, seul conseiller alors de toute matière autre que matérielle, leur intima de jeter ou brûler toute trace de leur courte vie, d’oublier ces décès et ne plus en parler. Mes parents ont tu ces événements, n’en ont jamais parlé et, dans le silence, ont porté cette peine sans en pouvoir guérir ou, du moins, en amoindrir la source.

Moi, née neuf ans plus tard, ignorant tout de ce drame et impérativement tenue dans l’ignorance, j’ai ressenti et porté cette peine longtemps sans en connaître la source.

À force de recherches et de questions, j’ai fini par comprendre que la peine et le traumatisme, même non dits, peuvent se transmettre d’une génération à l’autre.

De sorte qu’en 2008, soixante-dix ans plus tard, j’ai décidé de donner à mes parents et à ces enfants l’hommage qui leur était dû. J’ai relancé mes sœurs aînées qui avaient vécu petites ces événements. L’une d’entre elles, fidèle au silence imposé, s’y opposait : « pourquoi remuer de vieilles histoires », me disait-elle. Et plus tard, ce sera elle qui me remerciera le plus chaleureusement.

J’ai alors acheté un lot au cimetière du village, commandé un monument et fais graver leurs noms, dates de naissance et de décès, après avoir consulté les archives paroissiales. Le 23 juin 2008, toute la descendance de mes parents, jusqu’aux arrière-petits-enfants, était là au cimetière pour nous rappeler leur souvenir et leur donner une sépulture digne de leur mémoire. Puis, le curé est venu bénir les lieux et un lâcher de ballons blancs leur a enfin permis de s’envoler. Ce rituel est le symbole d’une renaissance pour permettre à ces âmes de vivre un repos véritable dans la dignité. Puis, toute la famille s’est retrouvée à l’auberge du village pour un repas familial et pour la messe commémorative le lendemain.

On ne sépare pas la vie de la mort et il faut réfléchir à la disparition de ces rituels funéraires. Pour nous, les enfants survivants et notre descendance, ce rituel nous a permis de nous réapproprier la mémoire familiale et collective pour nous guérir de la souffrance et nous libérer du poids d’un deuil non exprimé et non résolu.

Quant à moi, depuis ce rituel, je vais en paix.

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