Centre Déclic

Discuter de science dans des lieux improbables

Les gens ne s’y retrouvent plus dans les informations scientifiques dont ils sont submergés. Pour les aider à y voir clair, la journaliste scientifique Valérie Borde a lancé le Centre Déclic (pour Dialogue Entre les sCientifiques et Le publIC). Au menu : des rencontres entre les chercheurs et le public dans des lieux aussi improbables que le Festival du Bûcheux de Saint-Pamphile ou le Rodéo du camion d’Abitibi. Entrevue.

D’où vient l’idée du Centre Déclic ?

Le grand public croule sous l’information, tant vraie que fausse. On est mêlé à un point que ça n’a plus de bon sens, et notre but est d’aider les gens à se démêler. Nous voulons inculquer aux gens des informations de base, des outils pour voir comment s’acquièrent les connaissances et pour être capable de jauger si une information est plausible ou si c’est de la frime.

Les médias ne jouent-ils pas déjà un rôle là-dedans, sans compter les conférences scientifiques existantes ?

Oui. Ça fait longtemps que je grenouille moi-même dans le milieu, que j’anime des conférences et que j’écris des papiers. Mais j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose. Parmi les conférences que j’ai animées, j’en ai vu des bonnes. Mais j’ai aussi vu des trucs ratés. Ce que je veux créer, ce sont de véritables espaces de dialogue. Je ne suis pas la seule à dire qu’on manque de tels espaces dans la société.

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans les formules actuelles ?

D’abord, les chercheurs partent souvent de leurs connaissances pour les diffuser vers le public au lieu de se demander ce que le public veut entendre. C’est une erreur. Ensuite, une conférence d’une heure avec dix minutes de questions, ça ne marche pas. Ce n’est pas comme ça qu’on crée un dialogue. La mode est aussi beaucoup aux tables rondes, mais ce sont des débats entre experts qui sont très passifs pour le public.

Qu’est-ce qui sera différent cette fois ?

D’abord, on va aller là où les gens sont déjà. Nos premières conférences [étaient] au Salon de l’auto, qui attire 200 000 visiteurs. Comme ce sont des gens qui tripent sur les autos, on leur parle de la science derrière les autos : les voitures autonomes, les batteries, les voitures électriques. On veut que les gens comprennent les grandes lignes d’un sujet. Je vais présenter une conférence au Festival du Bûcheux de Saint-Pamphile où on va parler de la forêt à l’ère des changements climatiques. Pour donner une idée à quel point je veux m’éloigner des lieux évidents où parler de science, j’aimerais amener des chercheurs dans les festivals comme le Rodéo du camion d’Abitibi, les Monster Trucks et les derbys de démolition.

Quel sera le format des conférences ?

Ce sont des entrevues questions-réponses. Comme les chercheurs manquent de temps et ne sont pas toujours très bons pour communiquer, je prépare complètement la conférence, y compris le visuel, puis je leur soumets le scénario. Et on laisse la place pour les questions et les interactions. Les sujets vont de la santé à l’environnement en passant par la techno. Je ne suis fermée à rien, tant qu’il y a de la recherche.

Qui finance le projet ?

Mon idée est que tout le monde doit payer un peu. Je suis allée voir les Fonds de recherche du Québec et ils m’ont donné des sous pour démarrer. Il y a une inquiétude de leur part que si la science est boudée dans la société, ça deviendra difficile de défendre des budgets pour la recherche. Les gens qui reçoivent les événements vont payer un peu. Les chercheurs paient dans la mesure où je ne les paie pas – ils paient donc de leur temps et de leur déplacement. J’ai l’intention de faire un peu de sociofinancement. Et c’est certain que le monde de la recherche, qui a beaucoup à perdre si la communication scientifique ne se fait pas bien, va aussi être un gros bailleur de fonds dans ma tête.

Les chercheurs approchés embarquent ?

Ça va de l’enthousiasme total du genre « je peux présenter 20 conférences si vous voulez » à « non, ça ne m’intéresse pas parce que ça me prend du cash » – avec toutes les réponses intermédiaires entre ça. Pour l’instant, je n’ai aucun problème à trouver des chercheurs.

Les journalistes n’envoient jamais leurs articles aux chercheurs avant publication pour des raisons éthiques. Votre modèle est différent. Faut-il le considérer comme du journalisme ?

C’est un peu une troisième voie entre le journalisme et la communication. Ce n’est pas du journalisme pur dans la mesure où tout est soumis aux chercheurs d’avance. Par contre, ma démarche est journalistique en ce sens que jamais je ne permettrais aux chercheurs de dire des choses qui sont fausses. Je garde toujours mon regard de journaliste critique et mon intérêt reste celui du public. Si un chercheur parle de résultats qui n’ont pas été publiés ou révisés par les pairs, je vais le mentionner. S’il affirme qu’un truc va assurément marcher, je vais être là pour mettre les nuances et faire la part des choses.

Quel est l’objectif à long terme ?

Mon approche est vraiment expérimentale. Je lance ça et je regarde comment ça évolue. Si je vois que ça ne marche pas, on oubliera ça. Mais j’ai évidemment le feeling que ça va fonctionner, sinon je ne l’aurais pas fait, et je pense que ça peut grossir assez rapidement. Il y a plusieurs mondes qui s’ignorent actuellement. Je pense qu’on a juste besoin de quelqu’un pour faire le pont entre eux.

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