Élections fédérales 2019 Éditorial

Allier ambition… et faisabilité

Stop ou encore ?

On empêche l’industrie pétrolière de prendre de l’expansion ou on lui permet de se développer toujours plus ?

C’est LA grande question environnementale qui sépare les eaux au pays. D’un côté, vous avez le Bloc, les verts et le NPD, puis de l’autre, vous avez le Parti conservateur (et loin sur une planète sceptique, Maxime Bernier).

Les partis progressistes s’engagent à refuser les projets liés aux combustibles fossiles qui ne cadrent pas avec leurs plans de réduction des gaz à effet de serre, tandis que le PCC se fait carrément porte-étendard de l’industrie.

Et entre les deux, Justin Trudeau tente de faire le grand écart…

On peut le lui reprocher. Après tout, le premier ministre sortant a acheté à fort prix un pipeline pour qu’il soit élargi. Il a signé un chèque de plus de 1 milliard pour aider le secteur pétrolier… à qui il promettait de couper toutes les subventions.

Mais ce faisant, les libéraux ne sont-ils pas davantage en phase avec les électeurs canadiens que les autres partis ?

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On répète beaucoup, depuis le début de la campagne, que le climat est la priorité des Canadiens. Et c’est vrai plus qu’à n’importe quel scrutin jusqu’ici.

Mais ce qu’on dit moins, c’est qu’il existe un grand clivage sur le réchauffement de la planète entre les électeurs qui exigent de l’action… et ceux qui ne veulent surtout pas qu’on leur impose de sacrifices.

N’est-ce pas ce que nous montrent les résultats des élections provinciales des dernières années ? Des résultats favorables aux politiciens conservateurs dans la plupart des provinces, même si ce sont souvent leurs partis qui s’engagent le moins sur le terrain climatique.

Le Québec en fait foi : province la plus soucieuse du climat, elle a tout de même élu avec une forte majorité le parti le moins soucieux de l’environnement !

Ce qui nous ramène au message envoyé aux formations politiques fédérales par les électeurs : on veut de l’action sur le front du climat, mais sans que ça nous touche. On veut des réductions des GES, mais sans avoir à les faire nous-mêmes. On exige des mesures draconiennes, mais sans que ça touche les emplois ou l’économie.

Un sondage Angus Reid publié le mois dernier démontre à quel point les électeurs sont ambivalents. Près de 70 % des Canadiens disent que le climat devrait être une « priorité absolue », et parmi ces électeurs soucieux de l’environnement, pas moins de 75 % souhaitent que le gouvernement continue d’investir… dans le secteur pétrolier.

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La question n’est donc pas quel parti est le plus vert ; ce serait alors un combat entre Jagmeet Singh et Elizabeth May, et dans une moindre mesure Yves-François Blanchet, rattrapé par d’anciennes décisions qu’il regrette comme ministre de l’Environnement.

Ces tiers partis offrent un paquet de mesures intéressantes, il faut le dire. Ils ont fait leurs devoirs et apportent chacun leurs propres solutions à la crise climatique. Mais soyons honnêtes : on peut tout de même se demander combien sont réalistes dans le lot.

Les verts pourraient-ils vraiment réduire les GES de 60 % d’ici 2030 sans décroissance de l’économie ? Les cibles ambitieuses du NPD pourraient-elles se faire sans mesures réellement contraignantes ? Et comment le Bloc réussirait-il à imposer sa péréquation verte à l’Ouest canadien, au juste ?

La question n’est donc pas lequel des partis dit les bonnes choses, mais plutôt quel parti concilie le mieux ambition et faisabilité.

Ou, dit autrement, quelle formation susceptible de prendre le pouvoir diminuerait les émissions du pays tout en protégeant l’économie.

Le Parti conservateur prétend être cette formation. Mais il suffit d’en apprendre plus sur les intentions des troupes d’Andrew Scheer pour constater que le « vrai plan » qu’il propose les classe plutôt au rang de « climatoréactionnaires » au même titre que Doug Ford en Ontario.

Tout pour l’économie, rien pour l’environnement, si bien qu’une analyse indépendante du plan conservateur par l’économiste Mark Jaccard montre que sous un gouvernement Scheer, les émissions de gaz à effet de serre du Canada augmenteraient à l’horizon 2030.

Ce qui n’est pas bien étonnant quand on se rappelle que l’engagement phare des conservateurs, promis dans le tout premier projet de loi déposé, consiste à jeter à la poubelle la tarification sur le carbone… soit LA mesure climatique la plus efficace qu’on connaisse pour réduire les émissions polluantes.

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Disons-le, les libéraux ne sont pas enthousiasmants eux non plus. Non seulement ils multiplient les contradictions sur le front du climat, mais leur principale promesse de la campagne se résume à une cible carboneutre pour 2050… sans plan pour y arriver.

Il y a bien des engagements intéressants comme la réduction de moitié du taux d’imposition des entreprises qui développent des technologies neutres en carbone. Ou l’adoption d’une loi sur la « transition équitable », qui viendrait en aide aux travailleurs frappés par le virage vert.

Mais ces mesures disparates sont néanmoins décevantes après la campagne de 2015, où les troupes de Justin Trudeau étaient beaucoup plus claires et précises sur leurs intentions. C’est d’ailleurs ce qui leur permet aujourd’hui d’afficher un bon bilan, malgré leurs contradictions.

Le gouvernement Trudeau est le premier au pays à avoir adopté un plan de lutte contre les changements climatiques (vous avez bien lu, aucun gouvernement n’avait formellement adopté de plan jusque-là). Il a rendu les évaluations environnementales plus indépendantes. Il a considérablement augmenté l’investissement fédéral en transports collectifs. Il a promis de dépenser chaque dollar généré par l’expansion du pipeline Trans Mountain dans la transition écologique du Canada.

Et surtout, il a imposé une tarification sur le carbone à la grandeur du pays, un engagement qui était plutôt casse-gueule pour qui se rappelle le sort réservé à son prédécesseur, Stéphane Dion.

Ce faisant, les libéraux ont changé le paradigme canadien en matière de lutte contre le réchauffement planétaire : un signal de prix a été envoyé. Une mesure qui a un immense potentiel pour les années à venir et qui permet d’encadrer et de limiter enfin les émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier.

Quand on constate la mollesse, le laxisme et l’attentisme dont a fait preuve le Canada depuis la signature du protocole de Kyoto, on peut se dire que c’est déjà beaucoup.

Méthodologie : Nous avons publié trois appels à tous, les 3, 8 et 9 octobre derniers dans la section Débats. Nous n’avons pas précisé dans quel but ni que les réponses seraient comptabilisées, afin d’éviter le noyautage des réponses par des envois massifs organisés. Aucun choix de réponses n’était donné. Il s’agissait d’appels à tous comme nous en faisons régulièrement, formulés ainsi : « Quel enjeu de cette campagne électorale déterminera votre choix le 21 octobre ? » Il ne s’agit pas d’un sondage scientifique, mais bien d’un coup de sonde.

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