Série/Faire du bien

Le médecin qui aime la vie

Le réseau de la santé n’a pas toujours la meilleure des réputations, mais les histoires de personnel dévoué abondent. Au cours des prochaines semaines, nous vous présenterons des professionnels hors normes. Aujourd’hui, le Dr Julien Auger, un médecin qui administre l’aide médicale à mourir au Centre hospitalier de Saint-Jérôme.

Il aime la vie. Il prend soin de ses patients. Mais il déteste les voir souffrir quand ils sont en fin de vie. Depuis un an, le Dr Julien Auger, 32 ans, a aidé une dizaine de patients, dont un jeune adulte âgé de 19 ans, à mourir dans la dignité, en présence de leurs proches.

« Je suis conscient que l’aide médicale à mourir demeure un sujet controversé, encore tabou », concède le « médecin d’hôpital » rattaché au Centre hospitalier de Saint-Jérôme.

Il constate également qu’une « minorité » de médecins acceptent de faire les injections qui donnent la mort. « Il n’y a pas plus de 10 % de mes collègues qui sont prêts à faire ça », évalue-t-il sommairement.

Mais il ajoute, pour éviter tout malentendu : « Ça ne signifie pas qu’ils sont contre. À vrai dire, la grande majorité des médecins que je côtoie sont favorables. Je ne sens pas leur jugement. »

C’est d’ailleurs pour « démystifier » tout ce qui entoure cette démarche « assumée par les patients, analysée par le personnel médical » qu’il a accepté d’en parler ouvertement après avoir été contacté par La Presse.

« Je suis obligé d’admettre que même des médecins trouvent ça mystérieux. Il y en a plusieurs qui ignorent comment on donne l’aide médicale à mourir », soulève-t-il.

Des émotions et des pleurs

Le mot « empathie » revient dans la conversation. « Je comprends la réalité de mes patients, souvent en phase terminale, fait-il valoir. Si c’est une demande claire et précise de leur part, sans aucune pression de leur famille, alors je fais tout en mon possible pour leur éviter de mourir dans la douleur, dans la souffrance. »

Le Dr Auger ne cache pas que son travail d’accompagnement sous supervision médicale est exigeant. C’est souvent dans les pleurs que la famille voit partir l’être aimé, un conjoint, un ami, un fils atteint d’un cancer du cerveau…

« La première fois que j’ai fait mes [trois] injections à un patient en fin de vie, j’ai trouvé ça difficile émotionnellement, se souvient-il. Ce n’est jamais une journée comme les autres quand on se présente dans la chambre d’un patient ou d’une patiente qui est prêt à mourir, et qui mesure l’ampleur de sa décision. »

« C’est dur de donner la mort. Il faut faire preuve de détachement si on ne veut pas trop y penser quand on rentre à la maison », admet-il.

« Mais j’assume totalement ce que je fais. J’aide mon patient à mourir doucement, je le fais pour son bien, et j’insiste, il faut que ce soit lui qui en fasse la demande. Les familles éprouvées m’en sont reconnaissantes. »

— Le Dr Julien Auger

Il y a un mois à peine, Luc Landreville, 57 ans, le fils d’une dame âgée de 86 ans que le Dr Auger venait d’accompagner dans la mort, a tenu à le « remercier pour son courage », en présence des membres de la famille venus dire un dernier au revoir à Mme Grégoire.

« J’ai voulu lui dire que ce ne sont pas tous les médecins qui sont prêts à aider les gens qui souffrent, comme ma mère souffrait, à passer à l’autre étape. En aidant ma mère à mourir, il a posé un geste de bonté », confie-t-il, encore ému. Sa mère est « partie par choix » le 5 novembre, à 10 h 10 précises, « dans une belle chambre » du 5e étage du Centre hospitalier de Saint-Jérôme.

« À chacune des étapes, le Dr Auger nous a expliqué, aux enfants, aux conjoints, aux petits-enfants, comment ça allait se passer. Au début, il a dit : “Mme Grégoire, êtes-vous bien décidée ?” Puis il a ajouté : “Madame, vous êtes une femme extrêmement charmante, ça va me faire de la peine de vous voir partir” », se souvient M. Landreville.

La qualité de la vie

Dans sa pratique, le Dr Auger côtoie la vie avant de donner la mort. Il a droit aux confidences des patients qui réclament le droit de mourir « parce que leurs douleurs sont rendues insupportables ». Il s’est spécialisé dans les soins palliatifs, il a appris à « donner du confort » aux cancéreux. Il s’occupe également des personnes âgées en perte d’autonomie.

Comme il le dit lui-même, il a choisi d’être médecin pour améliorer « la qualité de la vie » et non pas pour « la prolonger » sans raison valable.

« Il peut arriver que la famille ne soit pas d’accord [avec le choix d’un proche qui veut mourir], convient-il. Mais j’entends mes patients aux soins palliatifs qui me disent : “Docteur, arrêtez de me prolonger et soulagez-moi !” Ces gens-là qui veulent mourir sont rendus là. Ils n’en peuvent plus d’avoir mal. »

Il va sans dire que ces « souffrants » se soumettent à un processus « extrêmement rigoureux » dès lors qu’ils décident de mourir « accompagnés ».

La mère de Luc Landreville, Mme Grégoire, était prête à mourir. « Elle avait fait le tour de son jardin », évoque son fils, en retenant ses larmes.

« Elle a déjà enseigné aux futures infirmières à l’Université de Montréal, elle a même déjà donné des cours sur les soins à prodiguer aux personnes en fin de vie… À sa manière, elle était une pionnière, elle était en avant de son temps », dit-il avec fierté, et tristesse.

Mourir en moins de 10 minutes

Quand il se présente dans la chambre d’un patient qui a demandé et obtenu l’aide médicale à mourir, le DAuger prend le temps de lui expliquer les étapes conduisant à la mort. « Je lui dis qu’il va s’endormir tout doucement, comme s’il subissait une anesthésie générale, ce qui est le cas, puisque ce sont exactement les mêmes médicaments qu’on utilise, mais à plus fortes doses », explique-t-il.

Il ne cache pas que les personnes en fin de vie « veulent savoir comment ça va se passer ». Tout se passe très vite par la suite, en moins de 10 minutes, en fait, le temps de trois injections.

« La première [injection] dure 15 secondes, elle sert à calmer, à diminuer l’anxiété, souligne-t-il. La deuxième se fait sur une période de 5 minutes et elle entraîne un coma très profond. La troisième ne prend pas plus de 20 secondes, elle arrête la respiration en paralysant tous les muscles du corps et ceux de la respiration. À cette étape, la personne est totalement endormie et ne se rend pas compte qu’elle ne respire déjà plus. »

Mais n’obtient pas qui veut l’aide médicale à mourir. « Les patients doivent signer une demande officielle en présence d’un professionnel et de deux témoins. Si la demande est acceptée, il s’écoulera 10 jours avant qu’on procède », relève-t-il.

Pendant cette période, deux médecins feront des évaluations du patient « pour s’assurer qu’il répond aux critères très rigoureux », en vertu de la Loi concernant les soins de vie [sanctionnée en juin 2014].

Ces hommes et ces femmes qui souhaitent mourir demandent « très souvent » au DAuger de partir avant les 10 jours d’évaluation. « Elles ont tellement mal, elles ne peuvent plus endurer leurs souffrances », conclut-il.

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