Plaidoyer pour le Pacte
Les critiques dont a fait l’objet le Pacte mondial sur les migrations révèlent la difficile conciliation entre la raison des nations et la morale des institutions internationales.
En fait, l’ambition internationale de répondre aux crises migratoires au moyen d’une responsabilité partagée et équitable entre les États ne reçoit aucun écho au sein de nos sociétés démocratiques où une majorité exige, au nom de la préservation de l’identité nationale, le durcissement des politiques en matière d’immigration.
Il semblerait ainsi que le nationalisme identitaire, qui entend reconquérir la souveraineté des peuples malmenée par la mondialisation, ne soit plus conforme aux obligations d’humanité qui fondent la mission des organisations internationales. Dans ce cas, n’est-ce pas l’idée même d’une humanité commune censée fédérer tous les peuples, et que l’ONU entend incarner, qui est mise en cause par ce qu’Octavio Paz a naguère appelé la « rébellion des exceptions » ?
Je pense que ce pacte mérite un accueil favorable.
Tout d’abord, l’approche globale qu’il favorise pour gérer le problème de la migration mondiale a le triple mérite de sécuriser la vie des migrants, de combattre le trafic humain qu’occasionnent les migrations non contrôlées et irrégulières, et enfin, de distribuer de manière équitable la responsabilité entre les États. Ces mesures de gouvernance globale n’impliquent nullement un droit à la migration ou une obligation inconditionnelle d’accueillir les migrants. Dans son préambule, le Pacte réaffirme explicitement la souveraineté des États en matière de politique migratoire.
De même, ce pacte réitère l’exigence d’une coopération internationale permettant aux États de concilier le respect de leurs souverainetés nationales et la responsabilité morale qui leur incombe en matière de lutte contre la violation des droits de l’homme. Certes, l’inévitable tension entre la morale et la politique rend cette conciliation toujours difficile. Mais c’est justement pour armer nos États afin qu’ils puissent relever le défi moral que pose la protection de la dignité humaine à travers le monde que l’ONU, par ce pacte, vient rappeler la nécessité que la protection des personnes qui fuient la misère et la guerre devienne une cause commune qui engage équitablement tous les États.
Or, à moins de souscrire à une conception de la souveraineté nationale qui désengage une nation de toute responsabilité morale à l’égard des autres peuples, je vois mal comment se désolidariser d’un Pacte qui nous invite à une prise en charge collective de notre humanité.
Certes, l’ONU défend une conception de l’immigration que ne partage pas la majorité de nos concitoyens. Oui, les mesures que propose le Pacte pour lutter contre la xénophobie et le racisme sont discutables et problématiques ; qu’au sein des sociétés démocratiques, le fantasme du choc des civilisations a rendu suspecte l’idée que l’immigration constitue une richesse.
Mais en quoi ces considérations remettent-elles en cause la valeur et le bien-fondé des objectifs humanitaires que poursuit ce pacte ? Faudrait-il pour apaiser l’insécurité culturelle que vivent certains de nos concitoyens que les États s’érigent en défenseurs dogmatiques de l’identité nationale ? Auquel cas, que restera-t-il de la valeur morale d’un peuple qui circonscrit la sollicitude exclusivement à l’intérieur de ses frontières ?
Si l’éthique de la sollicitude n’est pas suffisante pour lutter contre les injustices qui causent la migration, je ne crois pas cependant qu’il faille renoncer à nos obligations humanitaires et à la coopération internationale qu’elles pourraient commander. La valeur de ce pacte, c’est de nous engager, dans un monde globalisé, à trouver une conciliation entre l’intérêt national et l’intérêt de l’humanité.