OPINION

Plaidoyer pour le Pacte

Quelque 160 pays, dont le Canada, ont adopté hier le Pacte mondial sur les migrations des Nations unies. Plusieurs pays s’y opposent, y voyant une atteinte potentielle à la souveraineté des États. Voici deux points de vue sur la question.

Les critiques dont a fait l’objet le Pacte mondial sur les migrations révèlent la difficile conciliation entre la raison des nations et la morale des institutions internationales.

En fait, l’ambition internationale de répondre aux crises migratoires au moyen d’une responsabilité partagée et équitable entre les États ne reçoit aucun écho au sein de nos sociétés démocratiques où une majorité exige, au nom de la préservation de l’identité nationale, le durcissement des politiques en matière d’immigration.

Il semblerait ainsi que le nationalisme identitaire, qui entend reconquérir la souveraineté des peuples malmenée par la mondialisation, ne soit plus conforme aux obligations d’humanité qui fondent la mission des organisations internationales. Dans ce cas, n’est-ce pas l’idée même d’une humanité commune censée fédérer tous les peuples, et que l’ONU entend incarner, qui est mise en cause par ce qu’Octavio Paz a naguère appelé la « rébellion des exceptions » ?

Je pense que ce pacte mérite un accueil favorable.

Tout d’abord, l’approche globale qu’il favorise pour gérer le problème de la migration mondiale a le triple mérite de sécuriser la vie des migrants, de combattre le trafic humain qu’occasionnent les migrations non contrôlées et irrégulières, et enfin, de distribuer de manière équitable la responsabilité entre les États. Ces mesures de gouvernance globale n’impliquent nullement un droit à la migration ou une obligation inconditionnelle d’accueillir les migrants. Dans son préambule, le Pacte réaffirme explicitement la souveraineté des États en matière de politique migratoire.

De même, ce pacte réitère l’exigence d’une coopération internationale permettant aux États de concilier le respect de leurs souverainetés nationales et la responsabilité morale qui leur incombe en matière de lutte contre la violation des droits de l’homme. Certes, l’inévitable tension entre la morale et la politique rend cette conciliation toujours difficile. Mais c’est justement pour armer nos États afin qu’ils puissent relever le défi moral que pose la protection de la dignité humaine à travers le monde que l’ONU, par ce pacte, vient rappeler la nécessité que la protection des personnes qui fuient la misère et la guerre devienne une cause commune qui engage équitablement tous les États.

Or, à moins de souscrire à une conception de la souveraineté nationale qui désengage une nation de toute responsabilité morale à l’égard des autres peuples, je vois mal comment se désolidariser d’un Pacte qui nous invite à une prise en charge collective de notre humanité.

Certes, l’ONU défend une conception de l’immigration que ne partage pas la majorité de nos concitoyens. Oui, les mesures que propose le Pacte pour lutter contre la xénophobie et le racisme sont discutables et problématiques ; qu’au sein des sociétés démocratiques, le fantasme du choc des civilisations a rendu suspecte l’idée que l’immigration constitue une richesse.

Mais en quoi ces considérations remettent-elles en cause la valeur et le bien-fondé des objectifs humanitaires que poursuit ce pacte ? Faudrait-il pour apaiser l’insécurité culturelle que vivent certains de nos concitoyens que les États s’érigent en défenseurs dogmatiques de l’identité nationale ? Auquel cas, que restera-t-il de la valeur morale d’un peuple qui circonscrit la sollicitude exclusivement à l’intérieur de ses frontières ?

Si l’éthique de la sollicitude n’est pas suffisante pour lutter contre les injustices qui causent la migration, je ne crois pas cependant qu’il faille renoncer à nos obligations humanitaires et à la coopération internationale qu’elles pourraient commander. La valeur de ce pacte, c’est de nous engager, dans un monde globalisé, à trouver une conciliation entre l’intérêt national et l’intérêt de l’humanité.

OPINION

Un projet inquiétant

Selon les médias, le premier ministre Justin Trudeau aurait déjà déclaré, reprenant la formule du premier ministre français Michel Rocard, que le Canada ne peut pas accueillir toute la misère du monde.

Le Pacte mondial sur les migrations est en voie de devenir une résolution de l’ONU le 19 décembre prochain. Il conviendrait d’avoir un débat pour savoir d’où il vient, ce qu’il vise vraiment et quelles seront ses conséquences. On est loin de cela.

Chiffrer le nombre de migrants

Qui sont ces migrants et combien sont-ils ? Un premier chiffre, récent : selon le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU dans son récent rapport Global Trends Forced Displacement in 2017, au 15 mai 2018, il y avait plus de 68,5 millions de « migrants forcés » dans le monde. Et ce nombre ne fait que croître (il était de 65 millions en 2015). Ce chiffre ne comprend pas les migrants volontaires, immigrants, réguliers ou illégaux, travailleurs étrangers, etc. Un autre chiffre : l’Organisation internationale du travail nous apprenait la semaine dernière que 164 millions de travailleurs dans le monde sont des migrants (ce qui prive les pays d’origine d’autant de main-d’œuvre). C’est beaucoup.

Encore un chiffre : selon l’historien Bernard Lugan, spécialiste de l’Afrique, « d’ici à 2030, l’Afrique va voir sa population passer de 1,2 à 1,7 milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an. En 2100, avec plus de 3 milliards d’habitants, le continent africain abritera un tiers de la population mondiale, dont les trois quarts au sud du Sahara. Pour des centaines de millions de jeunes africains, la seule issue pour tenter de survivre sera alors l’émigration vers l’Europe ». Et on pourrait ajouter : vers le Canada.

C’est ça, les migrations dont on parle : des dizaines, puis très rapidement des centaines de millions de personnes. Sans compter leur multiplication exponentielle par un taux de natalité plusieurs fois plus élevé que celui de la population d’accueil.

Qui va s’engager à les accueillir aux conditions du Pacte ? Déjà plus du tiers des membres de l’ONU, dont les États-Unis, ont refusé de le valider. C’est beaucoup cela aussi. Surtout si l’on considère qu’il est fréquent que les États membres de l’ONU appuient, voire signent, des accords ou des déclarations tonitruantes qu’ils ignorent complètement par la suite.

On ne sait pas assez qu’une grande partie des membres de l’ONU ne sont pas des démocraties, que beaucoup sont des dictatures féroces, et que ces pays se soucient très peu de l’application des principes humanitaires défendus officiellement par l’ONU. La réalité est que, à la suite d’expériences malheureuses, les migrants sont de plus en plus mal vus par les populations d’accueil.

Une bonne partie des États membres de l’ONU – et parmi les plus riches – n’acceptent déjà pas de migrants ou n’en acceptent qu’un nombre symbolique, et ce n’est pas le Pacte qui va les faire changer d’idée ou qui va y amener des migrants.

En fait, le Pacte va plutôt servir à imposer des devoirs et des conditions encore plus nombreuses et plus exigeantes aux pays qui se soucient déjà de l’accueil des migrants.

En clair, un tel pacte permet à des États, des organisations, voire des individus, d’imposer aux contribuables d’autres États des devoirs et des obligations financières qu’eux-mêmes n’assumeront jamais. Toute l’expérience de l’ONU est là pour le prouver.

Comment peut-on en arriver là ? Le mécanisme est assez simple : n’importe quel individu, État ou organisation peut établir un document qu’il souhaite voir adopter par l’ONU. Ensuite, il n’a qu’à le mettre dans la machine à saucisses, avec adoption quasi automatique dans bien des cas : présentation à un colloque ou à un groupe de travail, puis, avec un ou deux ambassadeurs sympathiques, à un sous-comité, à un comité, à une sous-commission, à une commission puis finalement à l’assemblée générale (AG), laquelle, avec un peu de chance l’adoptera, en y faisant peut-être quelques modifications. (Il peut même arriver que le texte adopté par l’AG soit changé par des fonctionnaires insatisfaits avant d’être envoyé à l’impression ; dans un tel cas, il y a peu de chances que le changement soit repéré.)

C’est comme cela qu’on peut faire dire à l’ONU à peu près n’importe quoi. On a un peu l’impression que c’est ce qui est arrivé dans le cas du Pacte sur les migrations. 

Heureusement, dans ce cas, plusieurs pays ont relevé dans ce projet de nombreux éléments très inquiétants, notamment en ce qui concerne la souveraineté des États et le respect du droit à la libre expression. Dans ces conditions, on aurait souhaité que le Canada s’abstienne d’appuyer un texte à la fois aussi lourd de conséquences et aussi peu sérieux, extravagant et fantaisiste.

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