Montréal, entre rêve et réalité

Montréal écolo ? Une métropole nature en pointillé

Montréal entre dans une nouvelle ère, dit-on. Les slogans fusent : Montréal vert ! Montréal intelligent ! Montréal mobile ! Montréal citoyen ! Montréal pluraliste ! Qu’en est-il vraiment ? Nos collaborateurs s’interrogent sur l’écart plus ou moins grand qui existe entre les discours et la réalité. Aujourd’hui : Montréal, ville écolo ?

Le discours sur la ville est porteur d’une rupture avec l’idée de nature. L’urbanisation généralisée de notre époque suppose un développement continu. Jusqu’à maintenant, trois approches se dégagent : la « ville contre nature », la ville comme « écosystème urbain » et la « métropole nature ». Il faut bien comprendre ces approches avant d’analyser le discours qui prévaut en ce moment à Montréal.

Trois approches générales

En son temps, l’historien de l’urbanisme Lewis Mumford (1961) dénonçait la mise en place de grandes nébuleuses urbaines et prophétisait la crise environnementale que l’on connaît aujourd’hui. Son constat d’une « ville contre nature » était partagé par de nombreuses personnes. Une invitation était lancée aux organismes internationaux afin de dépasser l’horizon de la conservation des milieux naturels situés en dehors des villes et d’aborder la question de la dégradation des environnements construits.

Appel entendu, pourrait-on dire : la fameuse étude de Boyden et coll. (1979), sous l’égide de l’UNESCO, proposait le modèle écologique de l’habitat humain qui conçoit la « ville comme un écosystème ». Ce modèle a pour fonction d’analyser les interactions, disons les flux, les échanges de matières et de ressources, ainsi que leur transformation en produits, rejets et déchets. Il a conduit les métropoles à se doter de grilles d’évaluation des effets de l’urbanisation sur les différentes composantes de l’environnement.

Enfin, une troisième approche, celle de la « métropole nature », apparaît sous la plume de Willian Cronon (1991). Selon cet auteur, la « métropole nature » est dévoreuse de ressources qu’elle transforme en grains, bois, viandes, etc., avec pour résultat un changement radical de l’écosystème urbain et régional. Cronon trace ainsi le portrait d’une nature changeante et incertaine : la nature sauvage a disparu et elle a été remplacée par une nature socialement produite, pouvant même être sacralisée, en tout cas urbanisée.

Un développement durable

« Ville contre nature », « écosystème urbain », « métropole nature » : ces approches concourent à forger nos conceptions de nos rapports à la nature et servent de toile de fond aux programmes d’action en environnement qui, sans remettre en question les fonctions supérieures de la métropole, contribuent néanmoins à sa bonne fortune.

Combinant ces trois approches, le discours d’aujourd’hui épouse le concept de développement durable. Celui-ci apparaît dans le paysage des organisations internationales à la fin des années 80 et il est désormais repris à tout va par l’ensemble des organismes publics comme privés.

Concept flou et malléable à souhait, le développement durable dessine les contours d’une nature réduite à son statut de ressources et à sa capacité de répondre à certains besoins… sans que soient précisés lesquels, tout en étant détachée de l’injonction de conservation.

Le principe de durabilité est en fait associé à ceux d’attractivité et de compétitivité. Mises au défi de compétitionner dans le cadre de l’économie globalisée, les métropoles deviennent nature pour mieux satisfaire les exigences de la nouvelle économie. La « métropole nature » est ici celle qui se construit à même la transformation des milieux et les pratiques de médiation que cela exige.

Et Montréal dans tout ça ? Comment cela se trouve-t-il à s’exprimer dans la métropole montréalaise ?

La volonté de suivre l’évolution des conditions environnementales, de mesurer les changements et les produits de la médiation entre les différentes dimensions du développement durable est ancienne et demeure présente dans les travaux de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Celle-ci entend établir « une communauté compétitive, solidaire et responsable dans la perspective du développement durable ». Tous les aspects de l’environnement urbain y sont pris en compte.

En ce qui concerne les milieux naturels, le premier geste de la CMM a été de reconnaître l’érosion lente et inéluctable des surfaces boisées, rives et milieux humides.

Elle a aussi fait le constat de leur distribution inégale. Beaux quartiers et banlieues cossues en ont la quasi-exclusivité.

L’élaboration du plan d’aménagement et de développement (PMAD) vise à recenser, sauver et restaurer les fragments restants, lot par lot pourrait-on dire, municipalité par municipalité, en gardant la priorité pour les bois d’intérêt écologique. Rappelons que le couvert forestier, qui représente 21 % du territoire métropolitain, a progressé ces dernières années de moins de 900 hectares. Notons que les superficies sous statut de conservation équivalent à 10 % du territoire, loin de la cible de 17 % (CMM, 2018, 58-59).

Mais, bien que nombreuses à l’échelle locale, les pressions citoyennes ne réussissent pas toujours à préserver les surfaces boisées menacées qui sont trop souvent fragmentées, si ce n’est détruites. On assiste, pour les milieux humides, à leur remblaiement ou leur recréation sur des sites qui ne sont pas toujours bien adaptés.

Car, aujourd’hui, les pratiques d’échange de terrain et de compensation financière font partie de l’arsenal de la métropole durable, compétitive et attractive. La nature y est un produit transformé et transigé. À Montréal, le projet d’une métropole, verte, durable ou nature reste en pointillé.

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