OPINION LA SOUVERAINETÉ DU QUÉBEC CHEZ LES IMMIGRANTS

Une idée qui fait trembler

Quand mes parents entendent le mot « séparation », ils ont peur que leurs enfants et petits-enfants soient encore plus marginalisés qu’eux

Avec la course à la direction du Parti québécois, les discours en faveur de l’indépendance du Québec se font de plus en plus entendre. Mais en cas de référendum, le prochain chef du PQ aura-t-il lui aussi à composer avec ce fameux « vote ethnique » mis en cause par Jacques Parizeau dans l’échec de 1995 ?

Quand j’avais 6 ou 7 ans, j’aimais fouiller dans le sac à main de ma mère. J’y trouvais toujours des sous pour aller m’acheter de la gomme balloune au dépanneur. Mais j’y trouvais aussi toujours un rouleau de papier de toilette. Un jour, j’ai demandé à ma maman pourquoi elle en gardait un dans son sac : « Parce qu’au travail, on ne m’en donne pas toujours. »

Pour elle, immigrer au Québec, ce fut ça aussi : vivre avec peu de dignité. Matin après matin, elle, femme de tête et débrouillarde, se levait pour aller s’écraser devant sa machine à coudre dans une manufacture. Non sans se plaindre à la maison, elle se soumettait ainsi aux ordres et aux caprices de ses patrons. Sans diplôme et avec trois enfants à nourrir, elle se la fermait au travail et cousait. Pour elle, le Québec est avant tout une terre où elle n’a jamais été vraiment acceptée et considérée.

Quand ça parlait d’élections à la maison, il n’y avait qu’un mot d’ordre : votez libéral.

Mes parents ne voulaient rien savoir de la souveraineté. Quand ils sont venus s’installer ici, ils ont choisi le Québec parce qu’ils sont francophones, mais ils n’ont jamais été rien d’autre que des Canadiens dans leur cœur. Ils vouent un véritable culte à feu Pierre Elliott Trudeau qui, pour eux, est celui qui leur a permis de sortir de leur campagne du sud d’Haïti. Et malgré leurs nombreux déboires, ils lui sont reconnaissants de leur avoir donné la chance de faire naître leurs enfants dans un pays développé.

Quand mes parents entendent le mot « séparation », ils tremblent à l’idée que leurs enfants et petits-enfants soient encore plus marginalisés qu’eux, qu’ils soient considérés comme des citoyens de seconde classe au sein d’un pays dirigé par un peuple homogène. C’est leur vision de l’indépendance. C’est la vision d’une majorité d’immigrants.

CES PORTES FERMÉES

Selon un récent sondage CROP, 85 % des Québécois s’inquiètent que les nouveaux arrivants refusent d’intégrer les valeurs de leur pays d’adoption. Parmi ces personnes, je me demande combien d’entre elles ont fermé la porte à ces immigrants qui se cherchent un travail ou un logement décent. Fière, ma mère a réglé cette question en travaillant pour elle-même et en s’achetant sa propre maison. Jamais elle n’a voulu profiter de l’aide sociale, ce qui aurait été pour elle la plus grande des hontes. Elle a plutôt travaillé d’arrache-pied avec mon père pour développer son autonomie.

Les immigrants sont comme ça : ce qu’ils veulent avant tout, c’est travailler. S’ils pensent que parler anglais est plus avantageux pour eux, ils adopteront cette langue. Année après année, les sondages le disent : les Bélanger sont plus « employables » que les Traoré. Et ces Traoré, même s’ils sont souvent nés ici, on leur donne généralement d’autres noms que « Québécois » : immigrants de deuxième génération, néo-Québécois, minorité ethnique, minorité visible… Peut-on s’étonner que les immigrants et leurs enfants ne développent pas de sentiment d’appartenance pour le Québec ? Ce que je constate aussi, c’est que les immigrants ou descendants d’immigrants qui embrassent pleinement la souveraineté sont rarement ceux qui tirent le diable par la queue.

Chaque fois qu’une porte se ferme au nez d’un immigrant, c’est une lueur d’espoir en des jours meilleurs qui s’envole. Chaque fois qu’une porte se ferme à son nez, c’est sa foi en sa terre d’accueil qui s’éteint. Parizeau a semé une onde de choc avec ses propos en 1995, mais était-il si loin de la vérité ?

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