Lawrence Hill a toujours été obsédé par le sang. Le sien, mixte – il est né d’un père noir et d’une mère blanche –, et celui des autres, qui le donnent pour sauver la vie à des inconnus, le sang des taureaux qui coule dans les arènes de corrida et dans les arénas de hockey, le sang propre, pur ou contaminé, le sang mêlé, chaud, froid, artériel, veineux, le sang, essence de la vie. Et métaphore de l’identité et de la race.
« Ça me fait toujours sourire quand les gens parlent de “sang indien” ou de “sang chinois” », nous dira d’entrée Lawrence Hill, rencontré au milieu du mois pour la sortie, à la Pleine Lune, de l’essai , traduction (de Carole Noël) de . L’automne dernier, M. Hill a livré à travers le Canada les grandes lignes de cet essai dans le cadre des conférences Massey, série annuelle en cinq parties qui a déjà fait entendre des sommités comme Martin Luther King, Charles Taylor, Doris Lessing et Alberto Manguel.
Dans les conférences – il est venu à Concordia –, l’auteur torontois a traité de la numération sanguine ; de la vérité et de l’honneur : le cycliste Lance Armstrong se faisait des transfusions « réparatrices » dans les Alpes ; de l’appartenance, à une race ou à une lignée : « Bon sang ne saurait mentir » ; du sang comme vecteur du pouvoir et élément de spectacle ; du sang et ses secrets. Nombreux.
En entrevue, dans un français impeccable, Lawrence Hill raconte comment ce voyage de coopération au Niger avec ses collègues de l’Université Laval a changé sa vie. « Je voulais retrouver mes sources africaines mais je suis tombé malade et j’y serais resté si je n’avais pas eu de transfusion de sang. Comme tout le monde dans ce cas, j’ignore qui était le donneur et d’où venait ce sang. Tout ce que je sais, c’est qu’il était d’un type compatible avec le mien. La quête de mon “sang africain” s’est arrêtée là. »
Sang rouge, sang bleu, sang de cochon. Saignées, menstruations, effusions, transfusions, sacrifices. Caractère sanguin, frères de sang. VIH, Rh positif, O négatif.
La quête de Lawrence Hill, en fait, s’est transformée, transformée en énergie créatrice qui l’amènera plus tard à écrire des essais et des romans sur ce même thème de l’identité… et du sang : , un roman sur les loyalistes noirs arrivés en Nouvelle-Écosse au lendemain de la révolution américaine. Maintes fois cité, ce roman a paru en français sous le titre (Pleine Lune, 2011) et fait l’objet de la télésérie de six épisodes qui débute en janvier à CBC.
« Au Canada, la question de l’esclavage qui a eu cours au pays, au Québec entre autres, est presque un tabou. Les Américains sont mille fois plus ouverts sur le sujet et sur les questions de race et de mixité. Ici, c’est comme : si on n’en parle pas, c’est que ça n’existe pas… »
L’humain et son frère animal n’existent que par le sang… Le corps d’un adulte moyen contient cinq litres de sang qui constituent 7 % du poids de la personne. Composé de 4000 éléments, dont 50 % d’eau, le sang met une minute à revenir au cœur pour se réoxygéner. Les cliniques tirent de chaque donneur un demi-litre de sang et il est possible de donner juste du plasma, le plus léger des composants sanguins, par lequel transitent, entre autres, les produits qui régularisent la coagulation.
« Une Canadienne française de Saint-Boniface au Manitoba a donné du plasma plus de 1000 fois sur une période de 40 ans, souligne encore Lawrence Hill. Le sang est un élément rassembleur qui fait appel à nos plus nobles instincts. Après les attaques du 11 septembre 2001, la Croix-Rouge américaine a dû refuser des gens qui voulaient donner de leur sang… Les donneurs de sang n’ont pas de pavillons nommés en leur honneur, ils ne reçoivent ni reçu pour l’impôt ni remerciements. »
Guillotine, sérum, globules, plaquettes, Croix-Rouge, Héma-Québec…
Le sang fait aussi appel à nos instincts les plus… sanguinaires. Dans le chapitre sur le pouvoir et le spectacle, Hill trace un parallèle entre les arènes romaines où la foule se pressait pour voir des gladiateurs se battre à mort, souvent avant d’être laissés aux lions, et les arènes de boxe moderne que sont en train de remplacer les cages de « combat Xtreme » où tous les coups sont permis pour faire gicler le sang.
Le livre de Lawrence Hill, par ailleurs, regorge de faits démontrant l’utilisation du sang à des fins politiques – « En période de crise, le sang prime la citoyenneté » – ou racistes, comme ce règlement qui, jusqu’au milieu du XXsiècle aux États-Unis, empêchait la transfusion à des Blancs de sang venant de donneurs noirs. Outré devant cet « apartheid » sanitaire qui n’a aucune base scientifique, un médecin (blanc) a commencé à mélanger les sacs marqués « B » et « W », sans le moindre effet néfaste sur la santé des receveurs « white ».
Le sang ne connaît pas d’autre couleur que le rouge, la seule couleur universelle.