Opinion jean-François chicoine

Se réjouir de pétards mouillés

Petits-déjeuners, examens de la vue, maternelles 4 ans, etc. Tandis qu’on annonce la noce au gouvernement, on publie des bans dans l’opposition. Qu’est-ce que les écoliers ont à attendre du cortège ? Je bois, je me casse, je pars avec la mariée. Peu importe. Comment croire leur déferlante quand les élus brandissent la réussite éducative des enfants québécois comme un plan distinctif en se réjouissant d’entrée de jeu de pétards mouillés ?

Opinion Stratégie « Tout pour nos enfants »

Servir le petit-déjeuner dans 700 écoles !

Pour s’éviter des empoignades au Nutella ? Parce que les parents « pauvres » ne donneraient pas de beurre d’arachides à leurs enfants « pauvres » ? Afin de sacraliser la sempiternelle confusion entre développement durable et charité ?

C’est mondain de dire qu’il est préférable de donner une canne à pêche aux Africains, et ce serait un engagement politique de nous réserver seulement le poisson ?

Des écoles brésiliennes, françaises, new-yorkaises donnent à manger le midi aux enfants, gratuitement ou pas, en fonction des programmes en place. Au Québec, La Tablée des Chefs initie activement les ados à la cuisine et à la saine alimentation tout en développant leur fierté culinaire. En réinterprétant l’environnement scolaire comme un milieu de vie à part entière (ce à quoi je souscris pleinement), on retiendra que des données scientifiques substantielles existent pour qu’on nourrisse démocratiquement les enfants le midi grâce à des programmes alimentaires constructifs.

Il en va autrement du petit-déjeuner dont il ne s’agit pas ici de débattre l’importance. Nous ne disposons que du ouï-dire pour supposer qu’un moment aussi fondamental et porteur que le lien parent-enfant matinal puisse être ruiné au profit d’une expérience alimentaire collective universelle.

Face à l’insécurité alimentaire, la proximité d’un travailleur social, des visites éducationnelles des épiceries, des frigos collectifs disponibles au cas où, le soutien aux familles par des experts de leurs communautés, tout cela ferait mieux honneur aux propres objectifs du Programme national de santé publique 2015-2025 qu’une volonté lyrique lourde de conséquences : la discrédit systématique par l’État de la fonction parentale.

Opinion Stratégie « Tout pour nos enfants »

Dépister systématiquement les troubles visuels !

Pour clouer le cercueil d’une première ligne devenue moribonde ? Pas certain de voir du neuf là-dedans. Les recommandations de la Société canadienne de pédiatrie en matière de dépistage visuel des 3-6 ans ne datent-elles pas d’il y a plus d’un quart de siècle ?

Et pourquoi pas une petite prise de tension artérielle avec cela, les deux tiers des écoliers, pense-t-on, n’y ayant jamais droit à leur examen périodique ? Et des tests d’audition pour les migrants ? Et un dépistage de la tuberculose ? Et un registre des allergies ?

Un programme audacieux aurait introduit des infirmières scolaires à demeure, comme il en existe dans d’autres civilisations. En lien avec des CLSC réanimés, elles auraient pu chouchouter une pédiatrie préventive que les médecins négligent, régler le cafouillis de la pesée à l’école, jeter un coup d’œil sur les scolioses émergentes, coordonner les services adaptés aux troubles d’apprentissage et aux déficiences motrices ou intellectuelles, tout en continuant de prendre à cœur le bon suivi de la vaccination.

Opinion Stratégie « Tout pour nos enfants »

La maternelle à 4 ans !

L’idée de qui, le point oméga des caquistes devenu celui des libéraux et des péquistes ?

Les retards développementaux, du langage notamment, nombre de déficits attentionnels, les entraves attendues à la lecture ainsi qu’une bonne partie des comportements hyperactifs ou dérégulés émergent très tôt dans la petite histoire des enfants issus des milieux défavorisés. Les maternelles à 4 ans font effectivement des merveilles auprès d’eux quand on les compare à l’insécurité familiale ou au gardiennage vintage. Mais elles n’apportent rien de plus à ces enfants qu’un centre de la petite enfance de qualité avec des éducatrices formées et dûment payées pour leur travail remarquable.

Privilégier avant l’heure la cognition au détriment des émotions, de l’imagination, du jeu et de la socialisation, sous prétexte que les familles démunies se méfient moins de confier leur progéniture à une maternelle qu’à un CPE, est une argumentation défaitiste, je dirais même coupable, de la part du gouvernement, qui maltraite depuis des années les temps décisifs de la vie pourtant aptes à garantir estime de soi et de la connaissance. L’ensemble des recherches portant sur les centres éducatifs à la petite enfance confirment à quel point les meilleurs d’entre eux arrivent à protéger, sinon à faire bourgeonner, le développement cognitif, la richesse lexicale du langage et la solidité affective des enfants de familles défavorisées ou à risque développemental.

Opinion Stratégie « Tout pour nos enfants »

Début de party ou fin de partie ?

On trouve bien quelques modernités dans la stratégie « Tout pour nos enfants », récemment annoncée par le ministre de l’Éducation, tels un retour en force de la mission éducative de Télé-Québec adaptée aux nouveaux médias et, globalement, un esprit vivifié qui s’applique à définir des axes de travail construits autour d’enjeux pour la scolarisation dont le comment parler, le comment compter et le comment lire.

Mais on reste pantois à la lecture de l’invitation. Peut-être sommes-nous meurtris par le désert de services accessibles des dernières années à l’encontre de toutes les données probantes, sans vraies garanties de changement à court terme, avec ce qu’il faut de joliesses pré-électoralistes pour colmater les manquements du ministère de la Santé et les errances du ministère de la Famille à intervenir précocement, avant et pendant la grossesse, puis, sur une base continue, et intense, dans les années suivant la naissance ?

En éducation, les derniers temps ont été à hurler, en plus d’une queue de ministres au buffet. Dans l’insuffisance des colmatages, une génération d’écoliers à risque, en difficulté et avec des troubles d’apprentissage, a été précipitée vers l’ordinaire, malgré la vigie des soignants, du corps professoral et de nombreux parents.

Protégera-t-on les petits insécures d’un nombre incalculable de remplaçants au cours d’une même année scolaire ? Assisterons-nous à un retour en force de la psychoéducation ? Y aura-t-il un juste droit pour les enseignants à l’écoute par une grande oreille bienveillante ? Pour les médecins d’enfants, à une légitimité retrouvée pour suggérer la prolongation de la maternelle jusqu’à 7 ans chez les enfants immatures ? Les décalés ou les marginaux auront-ils droit à des orthophonistes et des orthopédagogues dans un rapport 1 sur 1 ? Me forcera-t-on encore comme pédiatre à émettre des diagnostics avant 8-9 ans simplement pour quémander des services adaptés ? Pourra-t-on enfin compter sur un déploiement majeur consacré à la formation technique et professionnelle au secondaire ?

Ce sont de vraies questions cliniques, parmi des centaines d’autres, posées au quotidien, mais qui attendent mieux qu’une réponse convenue.

Oui, la mariée était en blanc.

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