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Édition du 12 septembre 2019,
section ACTUALITÉS, écran 16
Stéfane Marion
Économiste et stratège en chef, Banque Nationale
Allons-nous assister à une dichotomie entre les électeurs des grandes villes et ceux des régions ? Il faudra attendre les résultats du scrutin du 21 octobre. Mais un fait économique demeure. Toronto, Vancouver et Montréal ont été les grands gagnants des quatre dernières années. « Sur le million d’emplois créés au pays, 600 000 l’ont été dans ces trois villes seulement, remarque Stéfane Marion. Donc, le bilan du gouvernement Trudeau repose sur une chose : tout dépend où on habite. » Pour les résidants de ces grands centres urbains, « c’est formidable », ajoute l’économiste et stratège en chef de la Banque Nationale. Pour les autres, c’est à voir.
Le phénomène d’urbanisation s’est accéléré depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux. « Ça reflète une réticence à développer les ressources naturelles », dit l’économiste. Il rappelle que les secteurs des mines, des forêts, du pétrole et du gaz naturel sont d’importants moteurs pour les régions. « Et, ajoute-t-il, pour intégrer des gens moins éduqués sur le marché du travail. » Le Canada est le pays le plus riche du G7, si l’on tient compte de sa dotation en ressources naturelles. « Mais il est le plus pauvre du groupe s’il ne les exploite pas », précise Stéfane Marion.
Les politiques fédérales des dernières années ont eu l’effet de polariser les emplois. « Leur croissance a aussi été dopée par une politique d’immigration très porteuse, dit le stratège. Mais ça bénéficie essentiellement aux grandes villes, au détriment des régions. » Le Grand Montréal compte maintenant 50 % des emplois au Québec. « En dehors, il n’y a plus de croissance de la population active », souligne Stéfane Marion. Que faut-il penser de ces politiques ? L’économiste répond par une autre question : quelle est la meilleure façon de créer une cohésion sociale et d’éviter le populisme ? « C’est en maximisant le nombre de gens qui travaillent », dit-il.
François Pétry
Professeur émérite de sciences politiques, Université Laval
Le gouvernement Trudeau a réalisé, en tout ou en partie, 30 des 37 promesses économiques avancées lors des élections de 2015. « C’est un bilan positif », dit le politologue François Pétry, cocréateur du Polimètre. Cet indicateur mesure le taux de réalisation des engagements électoraux des gouvernements. Pour la catégorie « Économie et employabilité », 23 promesses ont été tenues par l’équipe libérale. Sept autres ont été réalisées en partie. Une est en suspens. Par contre, six promesses ont été rompues, constate le professeur émérite de sciences politiques à l’Université Laval.
Trois promesses, trois résultats
Cadre budgétaire
« Nous baisserons le taux d’imposition de la classe moyenne de 22 % à 20,5 %, soit une réduction de 7 % »
réalisée
Infrastructures
« Au cours de la prochaine décennie, nous quadruplerons l’investissement fédéral en transports collectifs, injectant ainsi près de 20 milliards de dollars de plus dans les infrastructures de transports collectifs »
partiellement réalisée
Industries fossiles
« Supprimer graduellement les subventions aux industries fossiles »
rompue
Le panorama économique est favorable, signale François Pétry. « Est-ce le résultat de l’action du gouvernement ? demande-t-il. Oui, en partie. Mais ça s’explique aussi par la conjoncture positive. » Cela dit, la croissance canadienne se compare avantageusement à celle des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le chômage est à la baisse. Le taux de pauvreté diminue. Et la baisse d’impôt a profité à la classe moyenne.
Toutefois, parmi les « points noirs », précise M. Pétry, l’Alberta est officiellement en récession. Et il constate que le gouvernement n’a pas réussi son pari énergétique et environnemental. Il n’est pas parvenu à compenser la production de pétrole et l’achat d’un pipeline par des mesures environnementales (taxe sur le carbone, industries et infrastructures vertes, etc.).
Au cours du mandat Trudeau, M. Pétry note plusieurs événements sur lesquels le gouvernement n’avait pas de contrôle. Parmi eux, le plus important est certainement l’élection de Donald Trump. « Cela a chamboulé tous les accords commerciaux », rappelle-t-il. Par ailleurs, la renégociation de l’ALENA, avec les États-Unis et le Mexique, ne faisait pas partie des promesses de l’équipe Trudeau. « Même si le résultat n’est pas parfait, dit-il, le Canada a quand même réussi à tirer son épingle du jeu. » Par contre, ajoute le professeur, les promesses de négocier des accords de libre-échange avec la Chine et l’Inde ont « tourné au fiasco » dans les deux cas.
Simon Gaudreault
Directeur principal de la recherche nationale, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)
« La première moitié du mandat n’a pas été facile », reconnaît Simon Gaudreault, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). En 2017, le gouvernement Trudeau a mis en place une réforme fiscale pour les PME. Au menu : imposer les revenus de placements passifs et restreindre la possibilité de fractionner les revenus de l’entreprise entre les membres de la famille. « Même s’il a fait quelques modifications, le gouvernement n’est pas revenu en arrière, souligne le directeur principal de la recherche nationale. Ça faisait des décennies qu’on n’avait pas vu autant de grogne chez les chefs de PME. Ça n’a pas aidé à établir un climat de confiance. »
À cela s’est ajouté « un autre gros morceau qui va faire mal » en matière de profits et de compétitivité, dit l’économiste. Le gouvernement fédéral a haussé les cotisations au Régime de pension du Canada (RPC). « On sait que les taxes sur la masse salariale sont les plus néfastes pour les PME, dit M. Gaudreault. C’est un prélèvement supplémentaire qui vient ajouter des coûts à l’entreprise. » Par ailleurs, souligne-t-il, les sondages menés ces dernières années montrent que les chefs de PME s’inquiètent aussi du lourd fardeau réglementaire et des grands déficits budgétaires du gouvernement canadien.
Il y a aussi une bonne nouvelle, dit Simon Gaudreault. Le gouvernement a abaissé le taux d’imposition des PME. Ce taux est passé de 10,5 %, avant 2018, à 9 % depuis le 1er janvier dernier. « Le gouvernement avait annoncé cette mesure en campagne électorale », rappelle le directeur. Mais il l’avait mise sur pause dans la première partie de son mandat. « Cette baisse d’impôt ne compense qu’en partie les effets négatifs de la réforme fiscale, précise-t-il. C’est pour cette raison que nous continuerons à la combattre. Et on souhaite aussi que les hausses de cotisations au RPC soient annulées ou freinées. »
Yves-Thomas Dorval
Président du Conseil du patronat du Québec
« Le bilan du gouvernement Trudeau est mitigé, dit Yves-Thomas Dorval. Mais, l’économie va bien. Donc, ce qui a été fait durant le mandat actuel n’a pas nui au Canada. » Le président du Conseil du patronat du Québec constate plusieurs « belles » réalisations. Parmi elles, il pense aux investissements en infrastructures et à la renégociation de l’ALENA. En outre, il souligne les mesures pour protéger l’acier et l’aluminium des tarifs américains. Et il signale les stratégies pour l’innovation avec les « supergrappes ». Le gouvernement a aussi réussi un bon coup, ajoute-t-il, en introduisant la notion d’amortissement accéléré pour les entreprises, en réponse à la réforme fiscale américaine.
Par ailleurs, Yves-Thomas Dorval ne pense pas que les « bons leviers » sont en place pour faire face aux défis de l’avenir. Et les enjeux sont grands : productivité à la traîne, faibles investissements dans les technologies de l’information, courte marge de manœuvre budgétaire, rareté de la main-d’œuvre, etc. « Il faut bouger rapidement, car les économies qui vont réussir prennent déjà de l’avance », prévient-il. Dans les moins bons coups, il rappelle la réforme fiscale des entreprises, qui a été décriée par les entrepreneurs. Et la hausse des cotisations de l’assurance-emploi qui alourdit les coûts des entreprises.
« Les décisions du gouvernement sont plus orientées pour plaire à des syndicats et pour faire des mesures sociales plutôt qu’économiques », dit M. Dorval. Il remarque que plusieurs positions sont « très » prosyndicales. « Le gouvernement a annulé des mesures qui avaient été mises en place par son prédécesseur pour faire face à certaines situations », dit-il. Selon lui, l’exemple le « plus frappant » est l’arrivée, sous peu, des nouvelles lois sur les normes du travail. « Elles ont été grandement modifiées à la demande des syndicats », dit-il. Sans compter l’annulation de la loi sur la transparence des contributions syndicales, précise-t-il.
Magali Picard ne considère pas que le gouvernement Trudeau est près des syndicats. « On vient de terminer une dernière tentative de négociation collective pour 140 000 travailleurs de l’État, avant la fermeture du Parlement, et on ne s’est pas entendus… », dit la VP exécutive de l’Alliance de la fonction publique du Canada. Par contre, elle estime qu’il y a quand même une avancée par rapport au gouvernement précédent. « On a vécu 10 années d’horreur sous un gouvernement conservateur qui n’a eu aucun respect pour la classe moyenne et les travailleurs », dit-elle. À son arrivée au pouvoir, le gouvernement libéral a aboli des « projets de loi anti-travailleurs », précise-t-elle. Parmi ceux-ci, C-525 faisait en sorte qu’il était « extrêmement facile » de se désaffilier d’un syndicat et difficile de se syndiquer. Et C-377 voulait qu’il y ait une pleine transparence des états financiers des syndicats envers la population et les gouvernements.
François Pétry, professeur émérite en sciences politiques, Université Laval
« Dès le départ, il y a eu un bon coup économique de la part du gouvernement Trudeau. C’est d’avoir décidé de faire un déficit plus important que celui prévu dans la plateforme électorale. La promesse des déficits modestes et d’un retour à l’équilibre budgétaire a été rompue. Mais elle l’a été à bon escient. Et finalement, ça n’a pas eu les effets néfastes que certains économistes prédisaient. L’économie canadienne a continué de fleurir malgré une dette plus importante. Ça a permis au gouvernement de mettre en place ses nombreux programmes sociaux. Et de remplir rapidement ses promesses phares : l’allocation canadienne aux enfants et la baisse d’impôt aux classes moyennes. Le taux de pauvreté au Canada a baissé de façon très sensible grâce à ces mesures. »
Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec
« Les gens d’affaires acceptent généralement les déficits budgétaires lorsqu’il y a des situations de crise pour protéger l’économie et les citoyens. Mais, en contrepartie, quand ça va bien, il faut mettre de l’argent de côté pour faire face à des enjeux majeurs. Et ce n’est pas toujours une récession. Ça peut être, par exemple, des mesures de protection. Mais là, le gouvernement a créé des déficits budgétaires annuels significatifs alors que l’économie va relativement bien et que c’est le moment de faire l’inverse. Cela dit, si on veut être objectif, la situation canadienne est saine quand on regarde la dette du Canada par rapport au PIB. Donc, on comprend qu’on avait une certaine marge de manœuvre pour le faire. Mais cette marge, qu’on avait pour se protéger, a été réduite. »
Stéfane Marion, économiste et stratège en chef, Banque Nationale
« Je pense qu’il faut être pragmatique. D’autant plus que l’économie a continué à croître. En relation du produit intérieur brut (PIB), on parle de déficit budgétaire plutôt modeste. Son ratio varie entre 0,7 % et 0,9 % pour la période. En comparaison, aux États-Unis, on a des ratios de l’ordre de 5 % à 6 % dans un contexte de plein emploi. Ça, c’est beaucoup plus curieux comme situation qu’au Canada. Donc, je ne m’inquiète pas à ce niveau-là. Je ne pense pas qu’on puisse accuser le gouvernement de négligence dans la gestion des finances publiques. Là où le pragmatisme est moins évident, c’est sur notre façon d’agir avec nos partenaires commerciaux. Comment réaligner le Canada dans un contexte où l’avenir de la mondialisation est incertain ? Le pays doit se repositionner pour un changement de régime au niveau des échanges mondiaux. Le gouvernement s’est fait prendre par surprise à ce niveau. »
Simon Gaudreault, directeur principal de la recherche nationale, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)
« Les sondages des dernières années montrent que les chefs de PME sont très préoccupés par la situation budgétaire du gouvernement fédéral. Les gros déficits des dernières années alourdissent la dette. Pourquoi c’est important pour les dirigeants d’entreprise ? Parce qu’ils comprennent que, s’il y a des déficits aujourd’hui, ça veut dire plus de taxes et plus d’impôts demain. Ça fait des années que la dernière récession est finie, et ils s’inquiètent de voir qu’au fédéral, on n’est toujours pas revenu à l’équilibre budgétaire. Qu’est-ce que ça va être quand l’économie va ralentir ? Qu’est-ce que ça va être quand il faudra affronter une récession ? »
2015 0,7 %
2016 1,1 %
2017 3,0 %
2018 1,9 %
1er trimestre 2019 0,5 %
2e trimestre 2019 3,7 %
Taux de chômage (mensuel)
Octobre 2015 7,0 %
Juillet 2019 5,7 %
2015-2016 634,4 milliards
2016-2017 651,5 milliards
2017-2018 671,3 milliards
2018-2019 685,6 milliards
2019-2020 705,4 milliards
30 septembre 2015 : 75,0 cents US
9 septembre 2019 : 76,02 cents US
Juillet 2015 1,3 %
Juillet 2019 2,0 %
Septembre 2015 0,5 %
Septembre 2019 1,75 %
2015 3,8 %
2016 2,2 %
2017 1,7 %
2018 2,7 %
Sources : Banque Nationale, Banque du Canada, Statistique Canada