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Abandonnée à une famille d’accueil « toxique »

Une enfant a été victime de « négligence institutionnelle » de la part de la DPJ Mauricie–Centre-du-Québec, tranche la Cour du Québec

Déjà ciblée par une enquête qui s’étire, la DPJ Mauricie–Centre-du-Québec vient d’être à nouveau blâmée par la justice pour avoir « abandonné » une enfant au sein d’une famille d’accueil « toxique » et « dysfonctionnelle » pendant six ans.

Si sa mère biologique la négligeait, la DPJ n’a pas fait mieux : elle s’est rendue coupable de « négligence institutionnelle », a évalué la Cour du Québec dans un jugement lapidaire.

Chambre verrouillée de l’extérieur, brimades verbales et abandons lors de vacances : les services sociaux auraient dû se rendre compte des « conséquences désastreuses » de la situation sur Mireille*, a rapporté la justice.

« Toi, ferme-la, tu n’as pas ton mot à dire. […] On t’as-tu demandé quelque chose à toi, miss-sans-talent ? […] Tu es rien qu’une voleuse et une menteuse. »

— Le père d’accueil de Mireille, selon la décision de la juge Marie-Josée Ménard

C’est la même magistrate qui avait, fin 2016, tiré à boulets rouges sur la même DPJ pour avoir « complètement et totalement abandonné » deux enfants dans une famille où ils étaient frappés et humiliés. La juge Ménard qualifiait aussi cette famille de « toxique ».

Dans la foulée de cette décision sévère, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) avait lancé une vaste enquête sur la DPJ Mauricie–Centre-du-Québec. Près de deux ans après son déclenchement, elle n’est toujours pas terminée.

En décembre 2017, l’organisation avait également subi les foudres de la justice pour les « désordres » importants qui régnaient dans le dossier d’un enfant piégé dans des dédales administratifs interminables. Le juge avait retourné le jeune vers sa famille biologique, connue pour des antécédents de négligence et de violence, malgré le risque de « préjudice sérieux ».

La DPJ « ferme les yeux »

Dans le cas le plus récent, la juge Ménard décrit la situation de Mireille dans une famille inadéquate comme « un échec lamentable » de la DPJ.

Les intervenants des services sociaux ont été témoins « des méthodes éducatives inappropriées » et du « discours négatif à l’égard de l’enfant », mais n’ont rien fait. Malgré « des indices graves, récurrents et très préoccupants » de l’incompatibilité de l’enfant avec son milieu d’accueil, « le directeur ferme les yeux ».

La décision montre notamment que la famille avait décidé d’installer un crochet à l’extérieur de la porte de chambre de Mireille. Un exemple parmi d’autres de « mauvais traitements psychologiques prolongés et continus ».

La juge Ménard déplore aussi que la DPJ ait permis à la famille d’accueil d’aller de l’avant avec son projet d’adoption du frère biologique de la fillette en la laissant de côté. 

« Le tribunal demeure sans mot face à autant de décisions qui s’expliquent mal et qui ont eu des conséquences désastreuses auprès de cette petite fille alors âgée entre 6 et 11 ans. »

— La juge Marie-Josée Ménard, de la Cour du Québec

Mireille, âgée de 12 ans aujourd’hui, souffre de « trouble de l’attachement sévère ». Elle vit maintenant en foyer de groupe où elle connaît « un apaisement majeur de ses difficultés ».

La DPJ Mauricie–Centre-du-Québec, dirigée par Robert Levasseur depuis juillet dernier, n’a pas voulu commenter la décision de la juge Ménard.

« L’établissement s’assure de faire tout le nécessaire afin de mettre en application les ordonnances qui lui sont soumises par la cour, s’est limité à dire l’organisation par courriel. L’établissement s’assure également de mettre à niveau ses processus pour lesquels les ordonnances peuvent être applicables. »

Selon la juge Ménard, l’organisation s’est défendue à l’audience en plaidant qu’elle avait fait « trop confiance » à la famille d’accueil.

L’avocate de l’enfant en cause, Me Catherine Brousseau, et celle de sa mère biologique, Me Nadine Maltais, n’ont pas rappelé La Presse.

Une enquête qui s’étire

Déclenchée en janvier 2017, l’enquête systémique de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur la DPJ Mauricie–Centre-du-Québec n’est toujours pas finie. Dès son déclenchement, la Commission avait ciblé 19 cas de « services déficients » touchant 38 enfants de 2013 à la fin de 2016.

Il s’agit d’« une enquête d’envergure avec un large échantillon de familles d’accueil et d’enfants, qui vise une période de quatre ans », a plaidé par courriel Meissoon Azzaria, responsable des communications de la CDPDJ, pour expliquer le délai. « Cette enquête devrait se conclure d’ici la fin 2018. »

Dans le dossier de la jeune Mireille, la juge Ménard a ordonné à la DPJ de faire rapidement rapport à la Commission quant aux mesures qu’elle prendra pour apporter du soutien psychologique à la jeune fille.

* Prénom fictif

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