Ski de fond  Finales de la Coupe du monde de Québec

Le dernier grand rêve

Devon Kershaw revendique l’un des plus beaux palmarès de l’histoire du ski de fond canadien. Le grand ami d’Alex Harvey participera d’aujourd’hui à dimanche aux finales de la Coupe du monde de Québec. Le nouveau papa de 34 ans pourra ensuite penser aux Jeux olympiques de PyeongChang, où il veut réaliser son dernier grand rêve.

Québec — Quand Devon Kershaw a pris part aux Jeux olympiques de Turin, en 2006, tout le monde l’a félicité. À 23 ans, l’athlète originaire de Sudbury avait atteint le pinacle pour un fondeur canadien. Pierre Harvey était à la retraite depuis presque 20 ans et Alex commençait chez les juniors.

« À l’époque, on était des coureurs de deuxième classe en Coupe du monde », se rappelle Kershaw, rencontré mercredi chez Alex Harvey, à Saint-Ferréol-les-Neiges. « On remplissait les pelotons. Les gens me disaient : maintenant que tu as fait les Jeux olympiques, tu t’arrêtes parce que tu n’as aucune chance. C’était la culture. J’ai dit : non, j’aime le ski de fond. Et je pense qu’on peut être meilleurs que ça. »

Onze ans plus tard, Kershaw est encore là. Et il a eu raison. Son palmarès en témoigne : 15 podiums en Coupe du monde, dont 3 victoires individuelles, le même nombre que Pierre Harvey. En 2011, il a remporté l’or avec Alex au sprint par équipes des Championnats du monde d’Oslo. L’année suivante, il a terminé deuxième au classement cumulatif de la saison, un sommet pour un fondeur canadien.

Son grand regret : sa quatrième place au 50 km classique des JO de Vancouver, à deux dixièmes du podium. Son visage défait après la course marque encore ceux qui étaient présents. En raison d’un principe d’alternance entre les Jeux olympiques, il savait que le prochain 50 km classique, son style favori, n’aurait lieu que huit ans plus tard.

« Ça m’a brisé le cœur, raconte-t-il. J’étais proche. Mais être proche, en sport, ça ne paie pas les factures ! »

Kershaw est l’un des mieux placés pour mesurer l’exploit d’Harvey aux derniers Mondiaux de Lahti. À l’extérieur de l’Amérique du Nord, cette victoire dans la discipline phare du ski de fond a autant de valeur qu’un titre olympique, insiste-t-il.

Comme Pierre Harvey devant son ordinateur à Saint-Ferréol, Kershaw a pleuré, tombant dans les bras de son ami après avoir traversé la ligne au 38e rang, cinq minutes plus tard. La configuration du parcours a fait en sorte qu’il a croisé son coéquipier à 1,5 km de l’arrivée. Alex se souvient encore du « come on, Harv ! » entendu à ce moment critique de la course.

« J’étais tellement content. Gagner le 50 km aux Championnats du monde, il n’y a rien de plus gros. Tu n’as qu’une chance tous les deux ans. Il faut avoir du sang-froid. »

— Devon Kershaw, à propos de l’exploit d’Alex Harvey il y a quelques jours à Lahti

De grands amis

L’Ontarien a rencontré Harvey pour la première fois en 2008. L’entraîneur-chef lui avait demandé de partager sa chambre avec ce junior talentueux qui faisait ses débuts en Coupe du monde.

« J’avais entendu dire qu’il était assez confiant, se souvient Kershaw. Peut-être n’aurait-il pas besoin de mon expérience ? On est devenus de grands amis. »

Sur le plan sportif, chacun a profité des qualités de l’autre. « Devon est encore sans aucun doute le plus fort de l’équipe en ski à roulettes ou à la course à pied », souligne Harvey.

Depuis une sérieuse blessure à un pied à l’automne 2012, Kershaw n’a jamais réussi à retrouver le même niveau en compétition, sinon par intermittences. Des ennuis de santé, une certaine propension à douter de lui-même et le « cauchemar total » des skis aux Jeux olympiques de Sotchi ont plombé ses résultats.

« Que s’est-il passé ? Si je pouvais répondre à cette question, ce serait peut-être moi qui me battrais pour le Globe de cristal ! », note le vétéran, qui se fait toujours une fierté de répondre aux questions en français.

Tandis que Harvey triomphait, Kershaw a peiné à ses septièmes Mondiaux à Lahti. La naissance de son premier enfant, une fille prénommée Asta Isabel, le 26 janvier, a perturbé sa préparation. Même s’il avait moins d’énergie, il a refusé de lever le pied à l’entraînement.

« C’est certain que c’est le plus beau moment de ma vie, et de beaucoup. Mais peut-être que j’étais un peu trop fier et en amour avec elle ? Cette transition est difficile pour moi. »

Marié à l’ex-fondeuse norvégienne Kristin Størmer Steira, il vit depuis un an à Oslo. Dimanche, son départ pour le Canada a été déchirant.

À moins d’un revirement, l’athlète de 34 ans prendra sa retraite peu après les JO de PyeongChang, où il veut réaliser son dernier grand rêve, celui qu’un fondeur de l’équipe masculine canadienne gagne une première médaille olympique. Quitte à ce que ce soit Harvey.

« Je ne suis peut-être plus aussi bon que quand j’étais jeune, mais durant l’été, je peux pousser Alex un peu, souligne Kershaw. Même si ce n’est pas moi qui monte sur le podium, je suis en paix avec ça. Le sport est sans pitié ! Ça va être difficile, mais on va le faire. J’ai confiance. »

Alex Harvey vu par Devon Kershaw

Confiance

« C’est le premier mot qui me vient à l’esprit quand je pense à Alex. Chaque jour, il croit qu’il peut gagner. C’est difficile. Il a parfois eu des problèmes de dos, des douleurs, les skis ne sont parfois pas là. Mais ça ne fait rien. Chaque jour est un recommencement pour lui. Il sait qu’il peut le faire. C’est l’athlète le plus confiant que j’ai côtoyé. »

Alex Harvey vu par Devon Kershaw

Passion

« Ça fait des heures et des heures – et maintenant des années ! – qu’on parle du sport ensemble. Il a une grande passion pour le ski de fond. Il est aussi passionné par l’entraînement. Il cherche beaucoup, il modifie son entraînement. Il y pense toujours, mais il aime ça. Ce n’est pas une job. C’est une passion. »

Alex Harvey vu par Devon Kershaw

Résilience

« Je n’ai jamais vu quelqu’un comme lui. S’il a une mauvaise journée, il est fâché pendant une heure. Il tourne la page et le lendemain est un autre jour. Moi, je suis comme un éléphant, je n’oublie jamais ! Trois, quatre jours après, je me dis : “Ah, les skis étaient mauvais, quel dommage !” Alex, non. Quand il prend une décision, il est têtu ! Les conséquences sont les conséquences. Si c’est mauvais, il se reprend et tourne la page. »

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