Chronique

Joe Poulin, la Barbade et les impôts

Jonathan « Joe » Poulin a réalisé une transaction de rêve en vendant son entreprise Luxury Retreats à Airbnb pour la somme de 300 millions US. Et Montréal pourrait fort bien en profiter, puisque plusieurs bons emplois y seront créés grâce à l’appui d’Airbnb.

Toutefois, ne comptez pas sur les impôts de Joe Poulin pour financer nos services sociaux. Il y a quelques années, Joe Poulin a déménagé dans le paradis fiscal de la Barbade, selon mes renseignements. Son adresse personnelle de résidence figure d’ailleurs sur toutes ses entreprises au registre des entreprises du Québec : St. James, Barbados.

Entendons-nous, son déménagement n’était probablement pas incohérent avec la nature de son entreprise, puisque Luxury Retreats loue des villas luxueuses à 2000 $ la nuit dans des destinations soleil, notamment à la Barbade.

Tout de même, en changeant de résidence fiscale, Joe Poulin a aussi transféré le paiement futur de ses impôts personnels du Canada vers la Barbade. Cette décision lui permet aujourd’hui d’économiser vraisemblablement plusieurs dizaines de millions en impôts sur le gain en capital réalisé avec la transaction, puisque la Barbade n’impose pas le gain en capital.

Il faut savoir que ce genre de déménagement fiscal doit être bien préparé et qu’il n’est pas gratuit. En quittant le Canada, le contribuable est présumé vendre tous ses biens à leur juste valeur et il se voit réclamer un impôt sur le gain en capital présumé des ventes.

De plus, pour être considéré comme non-résident, le contribuable doit vivre plus de six mois par année hors du pays et rompre tous ses liens administratifs ici (assurance maladie de la RAMQ, permis de conduire local, etc.).

Joe Poulin a probablement suivi ces règles, comme le font ceux qui prennent ce genre de décisions, même si 90 % de ses 280 employés sont à Montréal et qu’il a conservé un cellulaire avec le code régional 514. 

Impossible d’avoir des précisions à ce sujet, cependant, puisque Luxury Retreats n’a pas voulu commenter et que Joe Poulin n’a pas rappelé.

Pour savoir quel montant d’impôt a économisé Joe Poulin avec la transaction, il faudrait connaître la valeur qui a été déclarée pour son entreprise lorsqu’il a quitté le Canada – et donc quels impôts il avait payé à l’époque. Par exemple, comme la transaction avoisine aujourd’hui les 400 millions CAN (300 millions US), il économiserait plus de 90 millions CAN en supposant qu’il ait déclaré une valeur de 50 millions CAN pour sa start-up à l’époque de son déménagement pour la Barbade (1).

Le traitement fiscal est différent pour son entreprise. Luxury Retreats a ses principales activités à Montréal et l’entité montréalaise doit payer un impôt sur ses profits au Canada. De tels bénéfices sont certes réduits par les dépenses en salaires ou les diverses charges, mais en principe, une entreprise ne peut pas être constamment déficitaire aux yeux du fisc. Un minimum de profits et donc d’impôts devrait être payé.

Cela dit, les impôts sur les profits ne constituent pas la seule dépense fiscale des entreprises. Les taxes sur la masse salariale représentent environ le tiers de leurs charges fiscales, qu’on pense aux cotisations au Fonds des services de santé au Québec. À cela s’ajoutent, bien sûr, les charges sociales (RRQ, CSST, assurance-emploi, etc.).

Qui plus est, les impôts que paient les employés de Luxury Retreats sont probablement plus importants que ceux de l’entreprise elle-même. Sachez qu’au gouvernement du Québec, par exemple, les recettes tirées de l’impôt des particuliers sont cinq fois plus importantes que celles venant des sociétés. Et ces particuliers, faut-il ajouter, paieront aussi des taxes de vente avec leurs revenus.

En revanche, il n’est pas impossible que Luxury Retreats bénéficie d’avantages fiscaux des gouvernements, comme les crédits d’impôt pour les employés des technologies de l’information ou les crédits pour la recherche et développement.

Dit autrement, ce sont les 250 employés québécois de Luxury Retreats et les nouveaux employés qui risquent de financer nos services sociaux, bien davantage que l’entreprise elle-même.

Mais chose certaine, en tant que non-résident, Joe Poulin ne verra pas le gain en capital de la transaction de 300 millions US assujetti à l’impôt provincial et fédéral du Canada.

1 - Le gain en capital est imposé à 50 % au Canada, donc le taux d’imposition net est de quelque 26,7 % (50 % de 53,31 %), ce qui représente 93 millions sur un gain net présumé de 350 millions.

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