Chronique

Où iront les millions des garderies ?

Alors, on fait quoi avec l’argent ? On fait quoi avec les 88 millions qu’Ottawa versera au Québec chaque année pour les services de garderie ?

La nouvelle a été ébruitée par mon collègue Joël-Denis Bellavance, hier. Le gouvernement fédéral propose d’injecter 7,5 milliards de dollars sur 11 ans dans le développement de services de garde au Canada. Québec obtiendra une partie de cet argent comme compensation pour le réseau qu’il finance déjà lui-même.

La somme pour le Québec s’élèvera à 88 millions par année au cours des trois prochaines années. Tout indique, cependant, qu’une grande partie de cette somme ne servira pas pour les garderies, mais pour la santé. J’y reviens plus loin.

En posant la question à droite et à gauche, je m’attendais à me faire répondre qu’il faudrait réparer les toits des garderies qui coulent, augmenter le nombre de places, majorer les salaires des éducatrices ou encore réduire les tarifs récemment augmentés. À ma grande surprise, la réponse, quasi unanime, est plutôt qu’il faut améliorer la qualité de notre réseau.

Depuis 20 ans, faut-il savoir, le système de tarifs réduits des garderies au Québec a considérablement amélioré les conditions des femmes, l’un des deux objectifs de la réforme. Il a permis à un nombre plus grand de femmes d’entrer ou de rester sur le marché du travail, si bien que le Québec devance maintenant l’Ontario quant au taux d’emploi des femmes, alors qu’il était nettement en retard avant 1997.

Le bilan du réseau est cependant moins reluisant concernant la qualité. Les faibles tarifs ont fait exploser la demande, et l’essentiel des efforts a donc été consacré à l’accessibilité plutôt qu’à la qualité (avec un bon programme de développement des enfants, notamment).

À cela se sont ajoutées les compressions pour atteindre le déficit zéro, qui ont encore nui à la qualité. Les centres de la petite enfance (CPE) ont notamment supprimé certains services pédagogiques qui aidaient les éducatrices.

Aujourd’hui, 45 % des enfants fréquentent un CPE considéré comme de qualité élevée. Et cette proportion est de seulement 20 % dans les garderies en milieu familial et 10 % dans le réseau privé non subventionné. Quand on sait à quel point le développement de la petite enfance est crucial pour la suite des choses…

Pour améliorer la qualité, croit l’experte en petite enfance de l’UQAM Nathalie Bigras, il faut avant tout rehausser la formation des éducatrices. Et même rendre la formation collégiale obligatoire. Dans les CPE, par exemple, 93 % des éducatrices des enfants de 0 à 18 mois ont ces qualifications, contre seulement 53 % pour les garderies non subventionnées.

Or, les garderies non subventionnées et familiales, souvent plus flexibles, sont davantage fréquentées par les familles de milieux défavorisés, dont les horaires de travail sont plus souvent atypiques. Ces mêmes familles défavorisées sont pourtant les premières qui devraient pouvoir bénéficier de la qualité des services.

En partie détournés pour la santé

Cela dit, le gouvernement du Québec n’est pas tenu d’injecter les 88 millions du fédéral dans son réseau de garderies, pour lequel il consacre déjà environ 2 milliards par année. Il a obtenu du fédéral un droit de retrait. D’ailleurs, le dernier budget du Québec laisse comprendre que les 88 millions seront plutôt utilisés dans le secteur de la santé, en bonne partie.

Le 10 mars dernier, faut-il savoir, Québec et Ottawa ont fini par s’entendre sur une majoration du financement du système de la santé. Or, cette entente sur la santé englobait aussi le volet petite enfance annoncé hier par mon collègue (88 millions par année et 1,2 milliard sur 11 ans).

« L’entente sur la santé […] prévoit l’utilisation de 1,2 milliard sur onze ans provenant du volet de la petite enfance… », est-il écrit de façon alambiquée dans le budget. Hier, le ministre de la Famille, Sébastien Proulx, a dit en conférence de presse que la part du Québec du programme de garderies sera investie « dans nos infrastructures sociales et familles », sans plus de précisions.

Les services de garde subventionnés peuvent au moins se consoler avec l’annonce d’hier de Sébastien Proulx. Québec injecte 40 millions de plus par année dans les services de garde éducatifs subventionnés. Environ 30 % de cette somme servira à améliorer la qualité et 30 % aidera les enfants défavorisés et handicapés.

Le milieu est plutôt satisfait de l’annonce. Il faut toutefois exclure la possibilité que le Québec ajoute à cette somme les 88 millions venant du fédéral, malheureusement.

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