Opinion Des défis pour le Québec

Sortir du fétichisme technologique

Paradoxalement, les citoyens les plus sensibles à l'environnement contribuent à sa dégradation

En matière d’environnement urbain, il semble de plus en plus clair que l’on ne se rapprochera pas d’un développement durable en s’en remettant au seul progrès technologique. Encore faut-il interroger la façon dont les humains s’approprient les espaces qu’ils habitent.

Nos maisons sont de plus en plus écoénergétiques, ce qui n’empêche pas la consommation d’énergie par ménage d’augmenter. Les données canadiennes révèlent que la quantité d’énergie utilisée pour chauffer une superficie habitable donnée a considérablement diminué entre 1990 et 2009, tandis que l’énergie nécessaire pour chauffer l’ensemble des logements a paradoxalement grimpé de 13 %. Il faut dire qu’il se construit de plus en plus de maisons et qu’elles sont de plus en plus grosses, bien que la taille des ménages et le nombre de cohabitants n’aient pas cessé de diminuer.

Si les données confirment les économies réalisées grâce à la conception d’appareils plus écoénergétiques qu’auparavant, cela ne freine pas la multiplication des appareils énergivores.

C’est ce qu’on appelle le « paradoxe de Jevons », à savoir que l’introduction de technologies plus efficaces peut mener à une augmentation de la consommation d’énergie totale.

Dans un livre classique paru en 1866, The Coal Question, William Stanley Jevons avait découvert que les gains provenant de l’augmentation de l’efficacité dans l’usage des ressources étaient annulés par une augmentation de dépenses d’énergie dans d’autres secteurs.

Le paradoxe de Jevons se vérifie dans bien des contextes aujourd’hui. Ceux et celles qui se disent les plus préoccupés par la question du changement climatique vivent souvent dans les régions les plus riches et appartiennent aux classes les plus aisées. Ils contrecarrent les économies d’énergie qu’ils réalisent grâce à la conduite de voitures électriques en prenant l’avion ou en habitant des monster houses. Paradoxalement, les citoyens les plus écologistes contribuent d’une certaine façon à la dégradation environnementale !

Ainsi, en 2011, la consommation d’énergie et l’empreinte écologique au Québec étaient plus élevées chez les ménages ayant le revenu le plus élevé. Même si la consommation d’énergie par mètre carré était relativement constante, les ménages dont le revenu était inférieur à 20 000 $ utilisaient au total deux fois moins d’énergie que ceux qui gagnaient plus de 150 000 $.

Pour sortir du paradoxe de Jevons, nous n’avons d’autre choix que de parvenir à une meilleure compréhension de la façon dont nous utilisons les ressources au quotidien.

Concevoir des technologies plus performantes ne sera pas suffisant si les individus s’adaptent finalement à cette « efficacité énergétique » en consommant davantage !

Nous pouvons concevoir des habitats qui consomment l’énergie et l’eau de manière aussi responsable que possible, mais si les occupants ouvrent les fenêtres l’hiver pour faire entrer l’air frais tout en laissant les systèmes de chauffage fonctionner à plein régime, s’ils prennent des douches de 20 minutes ou s’ils accumulent les gadgets électriques et les chargeurs qui les accompagnent, les gains d’efficacité pèseront peu dans la balance énergétique.

Systèmes de partage

Non seulement nous devons concevoir des édifices de plus en plus performants, mais nous devons aussi revoir nos façons de vivre au quotidien. Par exemple, au lieu de nous concentrer sur la seule performance énergétique des voitures, nous pourrions commencer à favoriser d’autres formes de transport et encourager systématiquement les systèmes de partage : ce qui est loin d’être la règle aujourd’hui.

Face aux visions purement matérialistes de la question écologique, le grand défi consiste désormais dans la recherche d’approches permettant de formuler, au-delà des chiffres et des listes de critères quantitatifs, un environnement urbain qui rende les utilisateurs toujours plus conscients de l’impact de leurs comportements. Il nous faut, en somme, concevoir des environnements aussi écologiques que pédagogiques.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.