ROMAN QUÉBÉCOIS  VIRGINIA PÉSÉMAPÉO BORDELEAU

Au nom du père et du fils

Des pires douleurs naît parfois la beauté. De la mort tragique de son fils et d’événements difficiles de son propre passé, la romancière et peintre Virginia Pésémapéo Bordeleau a su tirer L’enfant hiver, un livre plus récit que roman, véritable mémorial poétique sans pathos ni faux-fuyants, empreint finalement de lumière. Entrevue avec la mère de Simon.

« Je sens bien que les gens ne savent pas comment le recevoir, ce livre-là », dit d’emblée Virginia Pésémapéo Bordeleau au bout du fil, du fond de son Abitibi bien-aimée, loin des hommes et de la route. « Je voudrais bien le partager, mais ce sont les autres qui n’en parlent pas… », dit-elle sans l’ombre d’un reproche, juste un constat un peu étonné, dans sa belle voix.

La vérité, c’est qu’il n’est même pas facile d’interviewer l’auteure d’origine métisse crie sur ce livre : les sujets douloureux sont nombreux dans L’enfant hiver, à commencer par la mort de ce fils bien-aimé en novembre 2012, fils qu’elle a abandonné, comme elle-même a été abandonnée.

« C’est vrai, je comprends que ce n’est pas facile, c’est l’histoire de ma famille, mais il fallait bien que je la dise à haute voix, une fois. »

« C’est à travers mon fils que j’ai vu clair, finalement. »

— Virginia Pésémapéo Bordeleau

« Mon papa était quelqu’un de bien, d’extraordinaire, mais c’est aussi lui qui nous achetait de la boisson, à mes frères et sœurs, à moi, à ma mère, complètement inconscient. Il faut se méfier des parents qu’on adore… »

Et disant cela, Virginia parle autant de son père, Gabriel, qu’elle a aimé plus que tout, que d’elle-même, adorée par son fils Simon, pour le meilleur et pour le pire : « C’est vrai, c’est la même chose, vous avez raison. Simon m’a aimée jusqu’à la fin, il ne s’est pas méfié… Mais dire les choses, même les plus difficiles, ça aide à vivre. »

AH, COMME LA NEIGE

Et ça aide aussi, parfois, de dire les raisons derrière certains gestes. « J’en ai beaucoup voulu à ma mère parce qu’elle nous a en quelque sorte abandonnés quand j’avais 6 ans ; j’ai dû m’occuper de mes frères et de mes sœurs comme si j’étais leur mère, explique Virginia. Jusqu’à ce que je réalise, quand la mort de Simon m’est rentrée dedans, qu’elle était aussi une victime. Une victime de papa, qui lui donnait à boire. Et papa le faisait parce que lui-même avait combattu pendant la Seconde Guerre mondiale en France, je pense qu’il souffrait vraiment d’un choc post-traumatique et qu’il ne réalisait pas certaines choses. Et comme en France, il avait vu les parents donner de la bière et du vin à leurs enfants… » Des problèmes de « consommation », de comportements discutables, toute la famille de Virginia va en connaître et en pâtir, y compris Simon.

Simon, qui naît en même temps que la neige tombe, dont toute la vie se déroulera sous le signe de l’hiver et des tempêtes, mais un Simon jamais froid, plutôt impétueux comme la poudrerie. Simon qui inspire d’ailleurs à sa mère des pages magnifiques, où elle évoque « le sel et le poivre du tronc des bouleaux » et où elle prête à son fils ses mots : « Tu t’en prends à l’infini de ma disparition, mais tu fais partie de l’infini, nous en sommes tous issus et si tu as la force d’accepter mon départ sans maudire la création, tu sauras recevoir les joies qui te sont destinées. »

SOUS LA COUVERTURE

C’est le premier des livres de Virginia Pésémapéo à n’être pas illustré d’un de ses tableaux : « C’est vrai, je n’avais rien qui convenait. Mais je trouve que celle choisie par l’éditeur [Mémoire d’encrier] est vraiment une couverture dans tous les sens du terme : comme une couverte pour se réchauffer ! »

On a bien besoin d’une petite « couverte », en effet, pour lire cet ouvrage construit en trois parties, où le passé simple se conjugue au dur présent : « La première [Le cri], je l’ai écrite quand j’étais très souffrante, mais il me fallait l’écrire pour rendre hommage à Simon et régler mes comptes avec mon père, mon frère. La seconde [La vie], c’est un moment étrange, où des amies viennent à mon aide – elles existent véritablement, celles que j’ai appelées Gabriella et Hélène, elles m’ont réellement aidée, même si l’épisode qui se passe chez les Sioux est, lui, inventé. Et la troisième partie [Sa voix], c’est… C’est un rêve que j’ai fait, mais qui m’a semblé plus vrai que vrai : Simon m’est apparu pour la fête des Mères, il m’a dit que tout était correct, qu’il allait bien… Il est venu pour me consoler. J’avais tellement froid aux mains quand je l’écrivais, cette partie, et puis j’ai eu les mains plus chaudes… Simon me manque encore, les choses drôles qu’on faisait ensemble me manquent ; c’est dur, passer Noël sans lui, son anniversaire sans lui. Mais j’ai peu à peu cessé de rêver à lui, parce qu’il est en moi. Avec ce rêve et ce livre, Simon vient de me redonner la vie », dit celle qui peint toujours et qui finit d’écrire un recueil de poèmes. « C’est plus facile, depuis un an, alors je dis merci. »

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