Chronique

Le Pakistan comme vous ne l’avez jamais vu

Le journaliste Guillaume Lavallée a passé deux ans au Soudan et trois au Pakistan comme correspondant de l’Agence France-Presse (AFP). Peu connu du public québécois, il arrive comme un ovni avec son livre Drone de guerre, visages du Pakistan dans la tourmente, en librairie depuis une semaine.

Guillaume Lavallée a un drôle de parcours. Il a d’abord étudié en philosophie à l’Université Laval. Il a terminé sa maîtrise à Beyrouth, au Liban. Le sujet de son mémoire est à des années-lumière du Pakistan : le philosophe allemand Jürgen Habermas et sa théorie de la modernité et de la discussion.

En 2001, il était à Beyrouth. Il a vécu le 11-Septembre « de l’autre côté », c’est-à-dire chez les musulmans.

De retour au Québec, il a obtenu une bourse pour faire son doctorat en études islamiques. Il a commencé à travailler pour l’AFP. Pendant deux ans, il a mené les deux de front, le boulot le jour, les études le soir. C’était trop.

« Je me suis dit : « Je vais rater les deux. »

Il a choisi le journalisme. Il ne l’a jamais regretté.

Je l’ai rencontré lundi dans un café en face de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), où il enseigne le journalisme depuis septembre 2016. Devant un espresso bien tassé, il m’a raconté ses années au Soudan et au Pakistan.

Même si sa blonde ne l’a pas suivi au Soudan, son couple a survécu. Il est revenu au Québec en 2011. En mars 2012, l’AFP lui a proposé un poste au Pakistan.

On lui a dit : « Tu as quatre jours pour te décider. » Il leur a répondu : « Je ne peux pas convaincre ma blonde de me suivre en quatre jours. »

Pas question de partir seul, il avait un bébé de quelques mois.

La petite famille est partie à Islamabad, la capitale du Pakistan, à l’été 2012.

« Qu’est-ce que tu as dit à ta blonde pour la convaincre ? lui ai-je demandé.

— Je ne m’en souviens plus, a-t-il répondu en riant. »

Avant de partir, il avait une image floue du Pakistan, où il n’avait jamais mis les pieds.

« Pour moi, c’était une étrange extension du monde arabe. Ça m’a pris un certain temps pour comprendre c’était quoi, cette bibitte-là. »

Cette « bibitte-là » était assez effrayante vue de loin. Le Pakistan est un pays violent, aux villes surpeuplées et anarchiques. C’est à Karachi que des islamistes ont décapité le journaliste du Wall Street Journal Daniel Pearl. En 2007, le magazine américain Newsweek avait titré à la une : « Pakistan, le pays le plus dangereux au monde ». C’est dans cette marmite que Guillaume Lavallée a atterri avec femme et enfant.

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Dans son livre, Guillaume Lavallée décrit un pays profondément bouleversé par l’après-11 septembre 2001.

Avant, précise-t-il, le Pakistan n’avait pas « vraiment connu d’attentats-suicides ». Depuis l’effondrement des tours, « le pays en a subi plus de 550, perpétrés par des talibans de tous poils ».

Il faut dire que le Pakistan partage une frontière commune de 2500 kilomètres avec l’Afghanistan.

Quand je lui demande de me résumer le Pakistan en un mot, il hésite.

« Je vivais là-bas, j’allais chez le barbier, au supermarché, j’avais des amis, un mélange d’expatriés et de Pakistanais. »

Il est incapable de résumer trois ans de vie et de reportage en une phrase-choc. Le Pakistan est un pays compliqué, divisé en quatre provinces qui forment autant d’États dans l’État.

Même si Guillaume Lavallée nous présente « son » Pakistan, ce n’est pas un livre au je-me-moi. Il parle des gens, il nous raconte des histoires étonnantes, loin des clichés du méchant Pakistanais qui passe son temps à se balader avec une ceinture d’explosifs autour de la taille.

Dans la foulée de Charlie Hebdo, il décrit le quotidien des caricaturistes pakistanais qui font « un travail très dangereux ». « Je ne touche pas à la religion ni au sexe », lui a confié Jawed Iqbal, doyen de la caricature.

Guillaume Lavallée amène le lecteur dans les zones tribales qui vivent sous la menace des drones, ces avions américains sans pilote qui larguent leurs bombes. Le bruit des drones « perturbe mentalement » les habitants. Guillaume Lavallée a parlé à des psychiatres qui soulignent les troubles anxieux, les dépressions et la consommation d’antidépresseurs dans la population.

Lavallée quitte ensuite les zones tribales qui longent la frontière afghane pour plonger au centre du pays, dans la province du Pendjab, secouée par la Loi sur le blasphème qui prévoit la peine de mort « pour quiconque porte atteinte au prophète Mahomet ».

Après un long (trop ?) détour dans le Baloutchistan, il termine son livre avec Karachi, la mégapole de 20 millions d’habitants avec ses talibans et ses partys jusqu’au petit matin où l’alcool, pourtant interdit au Pakistan, coule à flots. Il aborde les problèmes de consommation d’héroïne et le VIH.

Un bémol, l’écriture. Le style trop fleuri distrait le lecteur. Le Pakistan est déjà assez compliqué sans, en plus, entraver la lecture avec des formules trop recherchées. Autre bémol, la vulgarisation n’est pas toujours au rendez-vous. Quand j’ai lu le chapitre sur les partis politiques, j’étais mêlée. Entre le Lashkar-e-Taïba et le Tahir ul-Qadri, j’ai perdu le fil. Pourtant, je suis allée quatre fois au Pakistan.

Le livre vaut tout de même le détour, mais il faut s’accrocher.

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Les années au Pakistan ont filé. La femme de Guillaume Lavallée travaillait comme journaliste pour la radio française et son fils fréquentait une garderie où il apprenait à chanter des chansons en ourdou.

En 2016, la famille est revenue au Québec. La femme de Guillaume a obtenu un emploi permanent à Radio-Canada. Un poste s’est ouvert à l’UQAM. « Ma femme m’a demandé de postuler. »

Il a donc troqué l’AFP contre une salle de classe, plus compatible avec les horaires d’un jeune père de famille.

Il n’a pas renoncé au journalisme. Il n’a que 39 ans, il a tout le temps de retourner sur le terrain.

Guillaume Lavallée Drone de guerre, visages du Pakistan dans la tourmente. Boréal, 2017.

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