société

Le pouvoir du conte

Lundi dernier, des dizaines de personnes étaient réunies au Randolph Pub Ludique Rosemont pour assister à l’enregistrement de la webdiffusion d’une partie de Donjons et Dragons. Autour de la table, on trouvait les gars des Appendices, Katherine Levac et Didier Lucien.

Il y a quelques années encore, s’associer publiquement avec le jeu de rôle pouvait s’apparenter à un suicide social, du moins dans certains cercles. Mais Donjons et Dragons (D&D) et les jeux de rôle en général semblent avoir plus que jamais la cote, auprès d’un public de plus en plus large. Les émissions à succès comme Stranger Things ou The Big Bang Theory font amplement référence aux jeux de rôle et des personnalités comme Vin Diesel, Stephen Colbert et Felicia Day ont publiquement affiché leur amour pour le jeu. Quand la cinquième édition de Donjons et Dragons est sortie à l’été 2014, elle s’est aussitôt hissée au sommet des meilleurs vendeurs d’Amazon et y a trôné quelques semaines.

« Le fait que certaines personnes connues aient fait leur coming out a peut-être rendu moins gênant le fait de parler de jeux de rôle », soutient Pierre-Louis Renaud, cofondateur du blogue Es-tu Game ?, à l’origine de la webdiffusion des parties de D&D loufoques du Pub Randolph. 

« Je pense aussi que le jeu de rôle bénéficie d’un courant nostalgique populaire actuellement. Il y a une esthétique rétro associée à ça, comme pour les vieilles cassettes de jeux Nintendo, par exemple. »

— Pierre-Louis Renaud, cofondateur du blogue Es-tu Game ?

Effet de mode

Es-tu Game ? se spécialise dans la critique de différents jeux de société, mais a ajouté les jeux de rôle à son catalogue à la suite de l’accueil enthousiaste réservé à la première webdiffusion, l’hiver dernier, avec la participation de Normand D’Amour, comédien et copropriétaire du Randolph Pub Ludique. « On voulait simplement faire un jeu d’impro en direct, précise Pierre-Louis Renaud. On avait prévu faire une seule partie. Mais le public a tripé et beaucoup de gens ont manifesté le désir de jouer à leur tour. »

La partie de lundi dernier représentait donc la cinquième webdiffusion, qui attire des invités spéciaux de plus en plus connus. « Il y a certainement un sympathique effet de mode geek chic, a reconnu le jeune maître de jeu de 29 ans. Ça va sans doute retomber dans la frange, mais ça va toujours exister, c’est un médium qui va toujours évoluer. Normand [D’Amour] jouait dans son jeune temps, c’était très marginal à l’époque. »

« Le jeu a perduré, il y a de nouveaux adeptes, mais tout ça n’a pas beaucoup changé : au fond, c’est le pouvoir du conte qui rassemble tout ce beau monde. »

Les parties organisées par Es-tu Game ? sont rigolotes à souhait, la présence des Appendices y étant certainement pour quelque chose. Mais ça reste du jeu de rôle. « Longtemps, le jeu de rôle a été pris un peu au sérieux, notamment parce qu’il y a des règlements et que les créateurs t’invitent à jouer d’une certaine façon, a expliqué Pierre-Louis Renaud. Moi, c’est Donjons et Dragons qui m’a donné le goût de faire de l’impro. Y a toujours des gens qui ont joué en déconnant un peu. »

Public diversifié

Au Valet d’Cœur, institution montréalaise qui vend jeux de rôle et jeux de société depuis 35 ans, on remarque justement que la clientèle est plus diversifiée que jamais. « Les clients n’ont plus nécessairement l’image stéréotypée des ultra-geeks, analyse la conseillère Rachael Hardies. On rencontre maintenant le père qui a joué dans son enfance et qui veut initier ses enfants, des jeunes qui en ont parlé à leurs parents et aussi de plus en plus de femmes. »

Cantonné dans une formule où les femmes étaient bien souvent réduites au rôle de fantasme de joueurs exclusivement masculins, le jeu de rôle s’est en effet considérablement ouvert à la gent féminine. « Les jeux de rôle ont changé, il y a plus de choix, tu peux trouver un jeu qui est basé sur ce que tu aimes, a soutenu la jeune vendeuse de 26 ans, qui joue elle-même depuis sept ans. Certains univers parlent davantage aux filles, mais je ne pense pas qu’on ait besoin d’archétypes féminins pour s’y retrouver. Au fond, il y a autant de filles que de gars qui ont le goût de défoncer la tête d’un orque ! »

L’abc du jeu de rôle

Le jeu de rôle invite les participants à incarner les traits d’un personnage, qui possède des aptitudes distinctes représentées par des statistiques déterminées selon les règles du jeu choisi. L’univers varie selon le type de jeu, qu’il soit médiéval fantastique, paranormal, futuriste, etc. Le jeu de rôle est caractérisé par la totale liberté d’action des joueurs ; c’est la responsabilité du maître de jeu d’adapter le scénario de base à leurs décisions. Dans certains cas, le résultat des actions des joueurs est déterminé en lançant les dés, qui peuvent avoir de multiples faces.

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