PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE : OPINION

Du rêve au cauchemar américain

J’ai reçu d’un ami cette blague dont je ne connais pas l’auteur. Mais comme dirait feu Gilles Latulippe, qui était un grand maître dans son art, une blague est l’esprit d’un anonyme et la sagesse de tous les boutentrains et raconteurs d’histoires de la planète.

Voilà la blague. C’est l’histoire d’un médecin de campagne qui discute avec un vieux fermier qu’il est venu soigner d’un bobo de travail. Pendant que le toubib examine sa main meurtrie, le vieux paysan désireux de parler politique lui dit que Donald Trump n’était rien de moins qu’une tortue sur un poteau. Déboussolé par l’expression, voilà le médecin qui demande au fermier d’élaborer pour l’aider à comprendre. Quand tu trouves sur un chemin de campagne une tortue en équilibre sur un poteau de clôture, tu sais que l’animal n’est pas monté sur le pieu de lui-même, qu’elle est arrivée à une hauteur incompatible avec ses compétences naturelles, mais tu te demandes surtout qui est l’imbécile qui l’a amenée jusqu’à cette hauteur.

En vérité, ce sont plusieurs acteurs qui ont combiné leurs efforts pour hisser la tortue Trump sur le poteau de clôture.

Évidemment, il y a la part de l’argent, car Trump était l’un des plus riches, mais certainement pas le plus clairvoyant des candidats républicains. Le deuxième acteur, ce sont certains médias de masse dont il a garni généreusement les coffres en recettes publicitaires. Alors, comme un arbre fruitier dont ils raffolaient des fruits, ils gagnaient égoïstement à arroser et accompagner la floraison de Trump qui, il faut le rappeler, était déjà un expert dans le brouillage des frontières entre la télé et la réalité.

La démocratie en crise

Mais la montée de la tortue Trump est surtout symptomatique d’un problème beaucoup plus préoccupant. Il est en effet la pointe de l’iceberg d’une crise profonde qui secoue la démocratie libérale américaine. En cause, le peuple, conscient de son incapacité de plus en plus manifeste de changer les choses, a progressivement cessé de croire à son pouvoir. Pour paraphraser une sagesse ironique, nombreux sont les gens qui croient maintenant que si la dictature est toujours restée « fermez vos gueules », la démocratie semble être devenue « causez toujours ».

Aujourd’hui, dans certaines démocraties libérales, dont celle de nos voisins du Sud, le côté libéral a presque avalé la démocratie et règne par procuration en télécommandant le politique. Quand, pendant huit années consécutives, le président Obama a les mains totalement liées malgré une sérieuse volonté de contrôler les armes à feu, c’est qu’il a affaire à plus fort que lui.

Malheureusement, à force de crier sans se faire écouter, de se faire trahir, brandir des fausses promesses pendant les élections, berner par les stratèges de la communication qui s’activent continuellement à dire aux politiciens comment présenter un mensonge pour une vérité et réemballer l’inacceptable pour tromper la population, la confiance s’est étiolée. Ce sont aussi ces désabusés qui encouragent maintenant le bulldozer Trump à foncer sur la maison et à faire table rase d’un système dont Mme Clinton incarne le symbole.

Si par malheur Trump est élu le 8 novembre, le Canada serait dans une fâcheuse position, car il incarne l’antipode des valeurs canadiennes si chères au premier ministre Trudeau.

Parmi les forces du mal qui ont hissé la tortue Trump sur le poteau de clôture, il y a aussi Mme Clinton, qui incarne profondément ces politiciens lugubres, encrassés et endémiques du système. Ses coups bas sur la campagne de Bernie Sanders, les révélations voulant qu’elle ait reçu les questions avant un des débats sont autant de preuves qui témoignent de son appartenance à cette tradition de mensonge et de duperie qui ont miné profondément la confiance envers l’exercice démocratique.

Que dire aussi de ses conférences à 250 000 $ données aux puissants banquiers de Goldman Sachs et dont elle a pris légalement toutes les dispositions pour cacher le contenu à la population. Un comportement qui laisse indéniablement croire, comme disait l’autre, que la politique est l’art d’obtenir de l’argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres.

Le candidat Trump est-il une incarnation ultime du rêve américain, en ce sens qu’on peut être ignorant, inculte, vulgaire, xénophobe, sexiste, se faire louanger par le Ku Klux Klan, et devenir quand même le président des États-Unis ? C’est ce que je pensais jusqu’à ce que le philosophe Normand Baillargeon me dise qu’au contraire, Trump incarnait le cauchemar américain. Obligée de choisir entre l’aristocrate dite manipulatrice et le vulgaire clown, l’Amérique est devant un double cauchemar qui dépasse le simple cadre de cette élection ! Je suis triste pour tous les progressistes de ce pays qui doivent désormais se mettre des sacs bruns sur la tête devant le champ de ruine laissé par cette campagne électorale.

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